Du coup de fil de Gadio au réflexe d'Alioune Tine
«Tout est parti le 16 juin au soir. J’ai d’abord eu l’appel téléphonique du Dr. Cheikh Tidiane Gadio alors que j’étais à Genève où je devais présenter notre rapport sur les 50 ans d’indépendance aux Nations-Unies. Il m’a dit : Alioune, il y a un projet de réforme de la constitution avec un ticket permettant d’élire un président et un vice- président avec 25% des suffrages exprimés. Si çà passe, la dévolution monarchique du pouvoir est entérinée».
Visite écourtée
C'est le déclic le patron de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme (Raddho). Un appel d’un journaliste du groupe Walfadjri qui a voulu prendre sa réaction confirme les propos de Gadio. Le gouvernement d’Abdoulaye Wade venait d’adopter ledit projet de loi qui devait passer par la suite à l’hémicycle. Plus de temps à perdre. Tine écourte sa visite en Suisse et rentre à le 17. «Arrivé à Lisbonne, j’ai commencé à appeler des gens dont Mame Adama Guèye, Abdou Aziz Tall, Assane Dioma Ndiaye, Abdou Lo, Fatou Sow Sarr, Cathy Cissé Wone, Marie- Angélique Savané et d’autres», explique le futur coordonnateur du M23. Un petit comité est alors monté. Suit une conférence de presse le 18 juin à notre siège. Le lendemain, le 19, c’était le grand assaut. «Les lieux étaient pleins à craquer.»
Les connexions ont commencé à être établies, ajoute Alioune Tine. Les imams de Guédiawaye sont contactés, les politiciens après. «Le 20, on est allé voir les membres de Benno Siggil Sénégal chez Dansokho. Quand on leur a parlé du projet, ils ont tous accepté.»
Très vite, le mouvement s'élargit. «Les syndicalistes avec Mamadou Diouf, Mamadou Mbodji, Abdou Aziz Dièye, des figures religieuses comme Serigne Mansour Sy Djamil et Serigne Abdou Samath Mbacké sont venus se joindre à nous», se rappelle Tine. Les rangs grossissants, le comité qui allait devenir le M23 lance des messages forts et appelle au rassemblement le 22 juin lors de l’émission «Diiné ak diamono» sur Walf- Tv.
La machine sur les rails
La machine contestataire contre Wade est sur les rails. «En lançant des appels à la mobilisation, note Alioune Tine, on ne s’imaginait pas voir autant de monde. On a eu du mal à tenir tous les leaders dans la salle de Daniel Brottier. Personne ne voulait manquer le rendez-vous.» Et la tension était tellement forte que l’Assemblée générale n’a pu être tenue. Et pour cause, «le public ne voulait pas écouter les leaders et leurs grands discours. Les yen a marristes étaient là pour dire basta ! il faut agir.»
Dans cette salle archi-comble et surchauffée, deux questions sont posées, toutes fermées. «Voulez-vous qu’on tienne l’assemblée générale, ou qu’on manifeste ?» Un plan d’actions pensé lors de réunions publiques tenues à la Raddho et qui devait être entériné ce jour est adopté. Place aux manifestations. Le lendemain, relève Alioune Tine, on semblait être dans un autre Sénégal. «C’était un moment de remontée citoyenne inouïe. On a vu que c’était le début d’une révolution citoyenne. Le pouvoir a tellement sous-estimé les réactions du peuple qu’il s'est fait surprendre.»
Aujourd'hui, se réjouit le leader de la Raddho, le M23 est devenu une sorte de modèle mondiale, un «laboratoire de citoyenneté, de démocratie et de liberté», pour apporter le changement ailleurs.
BIGUÉ BOB