La région de Kolda malade de sa santé
Les structures sanitaires de la région de Kolda sont malades. Leurs maux sont multiformes. Au manque de respirateurs d’anesthésie, s’ajoute celui de microscopes, de fauteuils dentaires, de cardiologues, de médecins réanimateurs, de gynécologues, de radiographie…. La non-ouverture du centre de dialyse aux populations bénéficiaires, l’insécurité galopante à l’hôpital régional de Kolda et le district sanitaire de Médina Yoro Foula qui n’existe que de nom, viennent noircir un tableau peu reluisant. L’Etat est interpellé.
Dans la sous-région, le Sénégal est considéré comme un modèle en matière de plateau médical et de personnel qualifié. Mais la performance reste concentrée à Dakar, la capitale, avec des hôpitaux de niveau 3 et des cliniques qui sont proches des normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
En revanche, dans les régions, la quasi-totalité des services d’urgence des structures sanitaires sont très en deçà des normes requises pour une prise en charge acceptable. Avec la pandémie du coronavirus, le plateau médical de certaines régions mérite d’être relevé. C’est le cas de Kolda, une région située à 730 km au sud-est de Dakar. Dans cette région, on note un manque cruel de personnels qualifiés en urgence dans les trois départements.
L’hôpital régional, construit à coups de milliards de francs CFA, manque de matériel et de spécialistes. Le plus désolant est le déficit sécuritaire. Depuis presque trois ans, une bonne partie du mur de l’hôpital s’est effondrée. A chaque fois que l’administration le reconstruit, il s’effondre de nouveau. Cela s’explique par le fait que l’hôpital est construit sur une nappe phréatique. Conséquences : à chaque saison des pluies, l’hôpital régional subi des inondations qui débordent dans tous les services (maternité, réanimation, radiologie, chirurgie et médecine générale).
‘’Ça pose un réel problème de sécurité. Parce qu’il y a des chèvres, des chiens, des ânes, entre autres animaux errants, qui entrent partout. L’hôpital n’a pas les moyens pour construire un bon mur’’, explique Mamadou Bayo Sy, technicien supérieur en anesthésie-réanimation au service du bloc opératoire dudit hôpital.
Pas de respirateur d’anesthésie au bloc opératoire
Depuis six ans, le bloc opératoire n’a pas de respirateur d’anesthésie. C’est au mois de février dernier que l’actuel directeur a pu en trouver un, mais il n’a fonctionné qu’une seule semaine avant de tomber en panne. Et jusqu’ici, le bloc opératoire n’a plus de respirateur. ‘’Imaginez un hôpital sans cet appareil. C’est une bombe à retardement. Parce qu’à tout moment, ça peut virer à la catastrophe. Actuellement, le bloc opératoire fonctionne et a toujours fonctionné sans respirateur d’anesthésie’’.
Le représentant du personnel au conseil d’administration poursuit : ‘’Maintenant, comme nous n’avons pas de respirateur d’anesthésie, quand on opère un malade, il faut d’abord l’anesthésier. En ce moment, le malade est carrément relâche, il ne respire pas.’’
En effet, le secrétaire général du Syndicat autonome des techniciens supérieurs de santé de la région de Kolda explique que ‘’c’est le respirateur d’anesthésie qui prend le relais et permet de contrôler les paramètres vitaux, notamment la respiration et l’oxygénation. Maintenant, à place de la machine, c’est quelqu’un parmi les techniciens de santé qui se met à la tête du malade pour le ventiler à l’aide d’un éventail. Donc, s’il y a d’autres urgences, cette personne ne peut pas se libérer. Sinon, le malade va mourir. Or, c’était le travail du respirateur d’anesthésie’’.
Pas de microscope
Le service de l’ophtalmologie ne dispose pas de microscope, depuis des mois. Ainsi, pour faire des interventions de cataracte, les personnes atteintes sont obligées de se rendre à Tambacounda, à Ziguinchor, à Dakar où dans les cliniques qui en ont.
Kolda manque aussi de cardiologue, depuis 2016. Pourtant, la ville dispose d’un hôpital dit de niveau 2. D’après les précisions du décret n°2009-521 du 4 juin 2009, relatif à la carte sanitaire du Sénégal, un hôpital de niveau 2 est un établissement régional public dénommé centre hospitalier régional ‘’dont les capacités sont fixées en médecine, chirurgie, gynéco-obstétrique et pédiatrie’’, mais aussi en activité de médecine préventive, d’éducation pour la santé et leur coordination, etc. Mais le centre hospitalier régional de Kolda est loin des standards précités. Comme en atteste l’absence d’une spécialité pointue comme la cardiologie.
Pour se faire traiter, les malades du Fouladou ont, pendant un moment, été suivis par un cardiologue établi à Ziguinchor (ville du sud du Sénégal, distante de 186 km de Kolda), mais qui venait de temps à autre soulager les patients de Kolda. ‘’L’hôpital régional de Kolda peut même avoir un statut sous-régional, vu que nous sommes dans une région frontalière. Située dans le sud-est du Sénégal, Kolda est à cheval entre la Gambie au nord et la Guinée-Bissau et la Guinée au sud. Il y avait un cardiologue qui faisait la navette entre Ziguinchor et Kolda, mais il a arrêté depuis […] Et malheureusement, il y a beaucoup de cas de maladie cardiovasculaire à Kolda’’, déplore Mamadou Bayo Sy.
Le statu quo impose donc un jeu d’équilibriste. ‘’Nous essayons de gérer, mais si la situation nous dépasse parfois, on évacue carrément les patients à Tambacounda, à Ziguinchor ou à Dakar’’, confesse-t-il.
L’absence de cardiologue n’est, en réalité, qu’un des signes du déficit de médecins spécialistes dans cette région qui, jusqu’à présent, n’a pas de gynécologue.
Pas de médecin radiologue, réanimateur et anesthésiste
Le service de radiologie est aussi l’un des exemples de service en difficulté. Il souffre d’une grande pénurie de praticiens. Ceux qui sont là présentement ne sont que des techniciens. C’est pourtant un service stratégique au sein de l’hôpital. La radiologie permet de gérer au mieux une partie des examens. Jusqu’ici, ce problème reste sans solution.
A l’hôpital régional de Kolda, l’inventaire des spécialistes donne le tableau suivant : un gynécologue, un pédiatre, un chirurgien généraliste, un urologue, un orthopédiste, un spécialiste ORL, un néphrologue qui vient par mois. Parce que son unité de dialyse n’est pas encore fonctionnelle (ouvert au public). Soit sept médecins spécialistes en fonction, alors qu’on compte plus d’une cinquantaine de spécialités médicales.
Toutefois, selon des sources médicales, le nombre de spécialistes dans un hôpital ou une structure de santé dépend de nombreux paramètres allant de la capacité d’accueil à la vocation de l’établissement.
Difficile donc de dire quel serait le nombre acceptable de spécialités que l’on pourrait retrouver dans les hôpitaux.
Mais les syndicalistes du secteur de la santé s’accordent à dire que pour un bon service dans les hôpitaux régionaux, il existe un certain nombre de spécialités prioritaires dont il est difficile de se passer (gynécologue, pédiatre, cardiologue, urgentiste, médecin-réanimateur, médecin-anesthésiste).
Technicien supérieur de santé présent depuis six ans à l’hôpital régional de Kolda, Mamadou Bayo Sy renseigne également de l’absence d’un médecin-anesthésiste et d’un médecin-réanimateur.
Au total, 11 médecins exercent à Kolda. Il s’agit de cinq chirurgiens, cinq médecins généralistes et un infectiologue, révèle Mamadou Bayo Sy, Secrétaire général du Syndicat autonome des techniciens supérieurs de santé au niveau de Kolda. Ce qui est dérisoire, au regard de la taille de la population estimée à plus 796 582 habitants, selon les chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD).
Les normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de personnel de santé sont d’un médecin pour 5 000 à 10 000 habitants ; un infirmier pour 300 habitants et une sage-femme pour 300 femmes en âge de reproduction. La région de Kolda est en deçà. On a un médecin pour 32 785 habitants et une sage-femme pour 4 480 femmes en âge de reproduction. Non seulement, le Sénégal ne compte pas suffisamment de médecins spécialistes, mais encore, leur répartition inéquitable à l’échelle du territoire national pose problème.
La radio du district est en panne
Après l’hôpital régional, cap sur le district sanitaire de Kolda. Ici, les malades souffrant de maux nécessitant les services de radiologie doivent prendre leur mal en patience.
En effet, ils sont obligés de parcourir des kilomètres pour rejoindre l’hôpital régional. Et pour cause ! La seule unité de radiologie est tombée en panne, depuis plus de six mois. Une situation qui indispose les populations et le personnel soignant, du fait des accidents récurrents des usagers de la route.
‘’C’est une radio numérique qui n’est pas facile à gérer dans un milieu tropical comme Kolda où il fait chaud. C’est un manque à gagner pour le district. Parce que la radio est l’un des poumons du district. Parce qu’il rapporte beaucoup d’argent. Et c’est avec cet argent que nous parvenons à payer les relais communautaires. Nous sommes là sans travailler. Il y a le scanner qui ne fonctionne pas. L’imprimante aussi. Chaque fois, c’est en panne et le matériel coûte cher’’, déplore Youssouf Diatta, technicien supérieur de santé médicale dans la structure.
Depuis plus de 7 ans, Vélingara n’a pas une radiographie
Même cas de figure au district sanitaire de référence de Vélingara qui n’a jamais disposé de radiographie. Cette situation alarmante complique la situation des malades. En cas de fracture, par exemple, le district est obligé de référer les cas à Kolda, la capitale régionale.
Pour trouver une solution à ce problème, le médecin-chef du district sanitaire de ladite localité, Dr Oumar Sané, demande l’aide de l’Etat. ‘’Nous réclamons une radiographie numérique au niveau du district sanitaire de Vélingara. C’est seulement le centre de santé de la cité religieuse de Médina Gounass qui avait une radiographie. Mais cette radiographie est tombée en panne. Tandis que le district sanitaire de Vélingara n’en a pas, depuis sa création’’, dit-il, avant d’ajouter : ‘’Les structures sanitaires de la région de Kolda n’ont pas tous des incinérateurs. Il n’y avait que deux incinérateurs qui sont à Vélingara, mais voilà plusieurs mois qu’ils sont en panne.’’
MYF réclame un district sanitaire digne de ce nom
Depuis plus de sept ans, le district sanitaire du département de Médina Yoro Foula (MYF) n’existe que de nom. Jusqu’à présent, la pose de la première pierre n’a pas été faite. Et pourtant, le département, zone carrefour, a fortement besoin d’infrastructures sanitaires comme un hôpital que ne cesse de réclamer la population.
Selon le docteur Oumar Sané, Secrétaire général du Syndicat autonome des médecins supérieurs du Sénégal, section Kolda, par ailleurs Médecin-Chef du district sanitaire de Vélingara, la préoccupation principale des populations est d’avoir un hôpital, vu la position stratégique du département de Médina Yoro Foula. Plusieurs raisons justifient cette réclamation.
‘’Nous demandons à l’Etat de diligenter cette situation. Parce que le poste de santé a été érigé en district sanitaire et reconnu au niveau national. Donc, l’Etat doit accélérer les choses, afin de faire de ce poste de santé un district sanitaire digne de ce nom. C’est une nécessité de disposer d’un hôpital ou au moins d’un centre de santé de niveau 2 avec un bloc opératoire’’, déclare le Dr Sané.
NFALY MANSALY