Liberté 6 et son élan de solidarité

Tous les quartiers ne sont pas frappés par cette situation rocambolesque de pénurie d'eau que rencontre Dakar depuis quinze jours. A Liberté 6, zone jusque-là épargnée, les habitants offrent généreusement et gratuitement l'eau potable aux ressortissants des autres quartiers. Au risque de se retrouver plus tard avec des factures de Sde très salée. Reportage.
Liberté 6 hier après-midi, vers 18h. Les habitants de ce quartier de Dakar ont une sacrée veine. Ils font partie des ''très rares'' Dakarois à voir couler de leur robinet le liquide précieux alors que beaucoup d'autres quartiers en sont privés depuis quinze jours. Un embouteillage monstre se dessine aux niveaux des deux voies de Liberté 6. En s'engouffrant dans les dédales du quartier, c'est un autre spectacle qui se présente au visiteur. Voitures, calèches, vélos, motos, et piétons en grande majorité transportent des bidons en plastique ou ceux de dix litres de Kirène avec le même contenu : l'eau.
Devant une clinique jouxtant l'école privée de formation sages-femmes d'État, se tient une femme avec un nombre impressionnant de bidons. Elle répond aux sollicitations par un long sourire malicieux. ''J'ai pris l'eau ici'', dit-elle, indexant l'école, demandez plutôt à l'intérieur''. À l'intérieur, c'est une sage-femme qui nous accueille. Assise sur un canapé et tenant en main un gros agenda, la dame Amélia Da Sylva, blouse blanche de rigueur, certifie qu'il y a bien de l'eau dans le quartier et dans la clinique où elle travaille. ''Il y a de l'eau ici mais en face il n'y a pas d'eau, nous la donnons gratuitement'', confie-t-elle. ''L'eau, ce n'est rien, c'est à la portée de tout le monde en temps normal, c'est la source de vie et c'est essentiel. C'est pour cela qu'on la donne gratuitement'', assure-t-elle. Elle précisera également que dans son quartier où elle vit aux HLM 4, elle laisse également ceux qui connaissent cette situation de pénurie venir se servir gratuitement.
À tout juste 25 mètres de là se trouve le terminus de la ligne 9 de la régie de transport en commun Dakar Dem Dikk (DDD). Un groupe d'individus, entourés de plusieurs bidons, devisent à côté d'un robinet. Il se trouve que ce sont tous des agents de la société de transport. Djibril Bâ est l'un d'eux : ''Ici, c'est gratuit. On remplit nos bidons avant de rentrer. Il n'y a pas que nous, d'autres agents viennent également et quittent même la banlieue'', explique-t-il, avant d'être appuyé pas son collègue receveur et homonyme parfait ...Djibril Bâ. ''Ils quittent les Parcelles, Guédiawagne, Niary Tally... Il y a de l'eau depuis une semaine et nous nous servons gratuitement'', dit l'agent de DDD.
Par ailleurs, des personnes se baladent, bidons en mains ou en voiture, la malle arrière chargée. Certains s'arrêtent, sonnent, négocient, pénètrent chez un ami, un parent ou même un inconnu, puis ressortent avec le précieux liquide. Chez la famille Mané, la maman se tient debout devant le domicile, sa fille de 6 ans sur son dos. Elle discute avec deux hommes, des collègues venus s'approvisionner en eau. ''Ils habitent Liberté 5'', renseignent-elle. Selon Mme Mané, c'est juste par chance que le quartier ne connaît pas de pénurie, ce qui la pousse à conclure qu'elle peut se trouver dans la même situation. Et c'est pourquoi elle ne trouve pas de raison de faire payer l'eau.
Gare à la prochaine facture
Mais cette solidarité aura un coup quand viendra la prochaine facture de la Sénégalaise des eaux (Sde). La sage-femme Amélia Da Sylva affirme ne pas trop s'en soucier. ''C'est la première fois que cela arrive donc ce n'est pas un problème ; j’espère juste que cela ne va pas se reproduire'', souhaite-t-elle. Même son de cloche chez Mme Mané : ''J'en donne à des inconnus car c'est une situation très grave. Des gens n'ont plus d'eau depuis des semaines, j'en ai, et en tant que musulmane je dois en donner quel que soit le coût de ma facture d'eau.'' Cependant, elle recommande à la Sde de ne pas présenter de facture salée. ''(Les responsables de la Sde) doivent pouvoir comprendre que notre consommation a augmenté parce qu’on a fait ce qu'ils n'ont pas pu faire. D'ailleurs ils doivent deux semaines de consommation gratuite d'eau à toute la ville de Dakar'', a martelé Mme Mané.