Publié le 28 May 2020 - 22:40
POLLUTION DE L’AIR ET COVID-19

Une cohabitation à haut risque

 

La pandémie à coronavirus a changé les priorités. Mais puisque les Sénégalais sont condamnés à vivre avec le virus, certaines urgences refont surface…

 

Le port du masque s’impose à tous, depuis peu. Cependant, à Dakar, il devrait être systématique, car en dehors de la pandémie, c’est la qualité de l’air qui ne cesse de faire des dégâts. Tout porte à croire que pour respirer un air pur dans la capitale, il faut, au préalable, faire adopter un seul et unique concept : ‘’Restez chez vous.’’ La Covid-19 a, en tout cas, réussi ce pari. ‘’Les restrictions prises avec la pandémie de coronavirus ont contribué à la baisse des concentrations de polluants dans l’atmosphère, en particulier les particules en suspension (PM 10 et PM 2,5) et le dioxyde d’azote (NO2). A partir du 17 mars, la qualité de l’air s’est considérablement améliorée, en devenant moyenne la plupart du temps’’, affirmait, dans nos colonnes, il y a un mois, la cheffe du Centre de gestion de la qualité de l’air, Aminata Mbow Diokhané.

En effet, le couvre-feu, la réduction du trafic routier et le ralentissement des activités économiques ont pesé sur la balance. Or, depuis le 11 mai, le gouvernement a changé de paradigme. Il demande aux Sénégalais d’’apprendre à vivre avec le virus’’.

Certains ont repris, depuis lors, leurs bonnes vieilles habitudes. Les écoles rouvriront leurs portes et Dakar renoue peu à peu avec son effervescence d’avant Covid. Ainsi, toutes les questions mises entre parenthèses pendant quelques mois refont surface. D’autant plus que la cohabitation pollution de l’air-Covid-19 accentue l’agression des voies respiratoires.

De ce fait, Aminata Mbow Diokhané insiste sur la pérennisation du port du masque, surtout pour les personnes sensibles, craignant un retour à une mauvaise qualité de l’air.

‘’Je pense qu’après toutes ces années de service, je suis immunisé contre tous ces gaz. Cela fait partie du métier et vu l’âge des véhicules, on ne peut que s’attendre à ce qu’ils dégagent autant de fumée’’, lance Moussa Diop, juste avant de faire démarrer son engin de travail au terminus du marché de l’église sis à l’Unité 17 des Parcelles-Assainies. Une manœuvre qui s’avère plus difficile que prévu et s’accompagne d’un gros nuage de fumée. L’arrière du véhicule a perdu une de ses vitres. Il est conducteur de bus Tata depuis 2010 et annonce souffrir, de temps à autre, de difficultés respiratoires. Toutefois, pour lui, rien d’alarmant ; en tout cas rien qui nécessite une consultation dans une structure sanitaire. ‘’Les pêcheurs qui vont chaque jour en mer risquent de rencontrer une tempête et de ne même plus revenir. Mais ils y vont. C’est pareil pour nous. On ne peut pas espérer conduire des bus neufs et en bon état. Donc, on fait avec’’, ajoute-t-il d’un air dépité et pas très à l’aise avec son masque.

Comme à l’accoutumée, les files d’attente des passagers s’allongent peu à peu. Les foulards et mouchoirs utilisés auparavant pour se protéger des gaz d’échappement ont laissé la place aux masques de protection d’ailleurs baissés chez ceux-là qui estiment qu’il fait beaucoup trop chaud. Mamadou Diallo, en attente du remplissage de son bus, confie : ‘’Souvent, le problème se pose au niveau de la qualité du carburant. Lorsque ce n’est pas la bonne, le moteur se retrouve bourré de résidus et donc le liquide circule difficilement à l’intérieur des différents orifices. Cela cause de plus grandes quantités de gaz.’’ Ici, aucun conducteur ne dit souffrir de maladie respiratoire.

Trois véhicules sur cinq roulent à Dakar

Durant la semaine du 24 au 28 février, Dakar et ses régions ont été envahies de nuages de poussière et l’impact sanitaire de cet épisode météorologique a inquiété plus d’un, au point que les masques de protection se vendaient comme de petits pains. L’indice de la qualité de l’air avait viré au rouge. Médecins, hommes de médias et même citoyens lambda ne se sont pas fait prier pour distiller des mesures préventives, surtout pour ceux et celles souffrant de maladies respiratoires. Pourtant, la logique voudrait que les Dakarois portent un masque de protection, tous les jours, si l’on se réfère au niveau de pollution de l’air. Chaque jour, la qualité de l’air est agressée par une multitude de gaz d’échappement qui atteignent un pic de pollution lors des multiples embouteillages. Un fait souvent passé sous silence, lié principalement à la vétusté du parc automobile. Les Dakarois inhalent quotidiennement un air de qualité exécrable auquel ils ont fini par s’habituer.

Au Sénégal, trois véhicules sur cinq roulent à Dakar et sur les 375 000 véhicules immatriculés à Dakar, 56 % ont plus de 16 ans. De quoi s’inquiéter, quand on sait que, selon les standards internationaux, les véhicules de plus de 15 ans sont les plus grands pollueurs. L’augmentation vertigineuse des véhicules dans la capitale, l’achat de voitures d’occasion (déjà en mauvais état) provenant d’Europe accentuent le problème. D’ici 2030, Dakar pourrait se retrouver avec 600 000 voitures.

Quant aux chauffeurs de ‘’cars rapides’’ et de ‘’Ndiaga Ndiaye’’, principaux auteurs de cette pollution, ils sont dans une logique très claire : ‘’Tant que ça peut rouler, ça va rouler.’’

Si le Centre de gestion de la qualité de l’air se charge de mesurer le taux de pollution des gaz d’échappement des véhicules, en collaboration avec le Cetud (Conseil exécutif des transports urbains de Dakar) il ne dispose cependant d’aucun moyen de sanction. En outre, la presqu’île ne fait que 550 km², soit 0,3 % du territoire, mais compte 3 600 000 personnes susceptibles de se rendre à leur boulot aux mêmes heures. Pour exemple, seulement 8 minutes sont nécessaires pour traverser la voie de dégagement nord (VDN 6 km). Cependant, à cause de la congestion du trafic routier, surtout aux heures de pointe, les automobilistes peuvent y perdre plus de 40 minutes. Et selon certaines études (data journalism) ce sont au total 26 heures qui sont perdues chaque mois sur ce tronçon.  Ce qui sous-entend une plus grande exposition des usagers de la route aux gaz pollueurs, néfastes pour la santé.

La pneumologue Yacine Dia : ‘’Les Dakarois sont exposés à des cancers broncho-pulmonaires’’

Cette dégradation de l’environnement est, de l’avis du directeur adjoint de l’Environnement et des Etablissements classés, Cheikh Fofana (également actif au CGQA) due à ‘’un ensemble d’actions individuellement anodines, mais globalement nocives’’. Pour l’heure, le Sénégal ne dispose pas de statistiques permettant de connaitre le taux de pollution émanant du trafic routier.

Selon la pneumologue Yacine Dia de l’hôpital Fann, les impacts sanitaires sont loin d’être négligeables. ‘’Ces petites particules contenues dans les polluants ont la capacité de se loger dans le poumon profond. A court terme, cela peut provoquer des crises d’asthme. En fait, ces polluants sont constitués d’irritants susceptibles de déclencher ces crises. On reçoit le plus souvent des patients qui vivent en bordure d’un trafic routier. Et chez les personnes souffrant d’insuffisance respiratoire chronique, on peut craindre des manifestations aiguës’’, explique-t-elle. Sur le long terme, ajoute-t-elle, les Dakarois sont exposés à des cancers broncho-pulmonaires. Les enfants et les personnes âgées étant les plus sensibles à cette pollution, déjà que la pneumonie est la principale cause de mortalité chez les moins de 5 ans.

De son point de vue, cette question concerne autant le ministère de l’Environnement, de l’Urbanisme que celui de la Santé. ‘’Le parc automobile sénégalais est dans un état de vétusté très avancé. Il faut penser à le renouveler et aussi augmenter le nombre d’espaces verts. Ce sont des mesures qu’on peut prendre. Il y a également le covoiturage qui peut être une solution, même si cela n’est pas ancré dans nos habitudes’’, poursuit-elle, en soulignant que des maladies cardio-vasculaires sont également à craindre.

Par ailleurs, les mesures du Centre de gestion de la qualité de l’air montrent des concentrations de polluants atmosphériques comme le dioxyde de soufre, le dioxyde d’azote, le monoxyde d’azote et le benzène. ‘’Nous allions leurs taux de concentration et leur impact sur la santé. Pour venir à bout de cette pollution, il faut une action continue de l’Etat, dans le cadre du rajeunissement du parc automobile’’, renchérit Cheikh Fofana qui, dans la même veine, plaide pour le maintien et l’entretien du centre. A l’en croire, ses faibles ressources ne permettent pas l’extension de ses activités aux régions. Celles-ci ne se limitent qu’à quelques départements de Dakar.

‘’Aujourd’hui, le cancer de la gorge fait rage chez des jeunes…’’

L’être humain inhale 15 000 l d’air par jour, soit 20 kg. Paradoxalement, l’indice de la qualité de l’air dans la capitale vacille souvent entre l’orange et le rouge (mauvais à très mauvais). En 2016, l’Organisation mondiale de la santé a identifié Dakar comme étant la deuxième ville la plus polluée d’Afrique. ‘’On peut être sur la même table et manger différemment, mais quand on est dans une même salle, on respire le même air. Chacun doit faire quelque chose pour améliorer cet air’’, pense pour sa part le docteur Mamadou Fall du Laboratoire de toxicologie de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Selon lui, tous les organes peuvent être affectés. ‘’On peut citer le système ORL. Aujourd’hui, le cancer de la gorge fait rage chez des jeunes qui n’ont jamais fumé. La stérilité masculine, des naissances prématurées, les maladies des yeux et surtout les maladies respiratoires.  Respirer 15 000 l d’air qui sont pollués, c’est vraiment inhaler énormément de matières toxiques’’, affirme-t-il.

En 2017, les étudiants de ce laboratoire ont effectué des mesures embarquées. Ce qui consiste à monter dans des bus Tata et faire au moins trois allers-retours avec différentes lignes. ‘’Nous avons recueilli 400 particules avec des normes de 50 pour l’OMS et 100 pour le Sénégal. On en avait de l’ordre de 250 microgrammes. Si on ne prend pas garde, les efforts de lutte contre les cancers causés par le tabac risquent d’être anéantis, car les chiffres de cette étude montrent que chaque Sénégalais fume entre 5 et 20 cigarettes par jour, sans le savoir. La cigarette, c’est 22 microgrammes de particules par mètre cube’’, détaille le spécialiste en toxicologie.

En outre, l’exercice scientifique s’est intéressé à 190 conducteurs de bus. Et au terme de l’étude, il s’est avéré que 45 % d’entre eux sont asthmatiques, 25 % ont des maladies broncho-pulmonaires et moins de 15 % avait une respiration normale. Pourtant, avant l’enquête, juste 5 % savaient qu’ils souffraient d’asthme. ‘’La situation est vraiment alarmante. Aussi, un passager peut faire 78 minutes de son point de départ à sa destination, avec plus de 40 événements sources d’embouteillages. Ce qui accentue la pollution de l’air et expose à des niveaux très élevés ces professionnels du transport’’, précise-t-il.

Le Sénégal est pourtant armé juridiquement pour combattre cette pollution. En effet, la loi L99 du Code de l’environnement stipule clairement qu’’est punie d’une amende d’un à deux millions de francs CFA et d’une peine d’emprisonnement de 6 mois à un an, de l’une de ces peines seulement, toute personne ayant altéré la qualité de l’air en contrevenant aux dispositions correspondantes de la précédente loi’’.

Mais, encore une fois, ces textes réglementaires sont rangés dans les tiroirs.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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