L’approche religieuse de Cheikh Ahmadou Bamba
Dans le cadre de la lutte contre le radicalisme religieux chez les jeunes, qui est en vogue dans de nombreux pays de la sous-région dont le Sénégal, le chercheur en sociologie et traducteur, Serigne Cheikhouna Mbacké Awa Kébé, propose l’approche religieuse de Cheikh Ahmadou Bamba qui, dans ses écrits, a donné des pistes de solution à cette épineuse question.
Le radicalisme religieux est devenu un phénomène mondial. Nombreux sont les pays qui en subissent les conséquences. Avec la montée en puissance de Boko Haram au Nigeria, d’Al Qaida au Maghreb islamique ou encore des Chebaabs en Somalie, elle est devenue un phénomène socio-politique inquiétant en Afrique, notamment dans la sous-région ouest-africaine. Les attaques terroristes au Mali, au Burkina, au Nigeria et plus loin au Cameroun, placent ce sujet au centre du débat public. Les gouvernements n’arrivent pas à trouver la parade.
Le Sénégal suit d’un œil vigilant cette gangrène qui a fini de saper les fondations de ces Etats. L’un des défis des dirigeants est de contrer la montée du radicalisme, surtout chez la population jeune.
Selon le traducteur et chercheur en sociologie Serigne Cheikhouna Mbacké Awa Kébé, l’Etat cherche à l’écarter par les moyens dont il dispose et à empêcher sa propagation. Car il s’attaque à nos valeurs culturelles aussi bien que démocratiques. Sous ce rapport, Serigne Cheikhouna Mbacké Awa Kébé pense que les références locales religieuses sont d’une importance non-négligeable dans la stratégie de prévention de toute menace.
En effet, renseigne-t-il dans un entretien avec ‘’EnQuête’’, les enseignements des grands marabouts tels que Cheikh Ahmadou Bamba, Al Hadj Malick Sy, Cheikh Ibrahima Niass, pour ne citer que ceux-là, basés sur le soufisme, ont été sentis dans tous les combats du pays. Leur implication dans l’édification de la cohésion sociale est aussi soutenue qu’appréciable. L’islam de tolérance, de non-violence et de cohabitation pacifique qu’ils ont prôné, est le socle de la naissance et du développement des centres d’enseignement et d’éducation spirituelle ayant contribué à la construction nationale et à la formation des élites.
Ainsi, pour prévenir la radicalisation violente, il convoque ‘’la contribution de la pensée de Cheikh Ahmadou Bamba. Un exemple qui, dit-il, peut bien représenter les enseignements des autres leaders religieux. ‘’En effet, comment peut-on se baser sur les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba pour juguler la menace du radicalisme religieux ? Quelle est la participation de l’éducation religieuse dans cette prévention ? Comment préserver nos valeurs traditionnelles et spirituelles selon le cheikh ? Sans aucune prétention à répondre à ces questions particulièrement complexes et encore moins à fournir des réponses exhaustives, je souhaite me référer à lui pour démontrer son approche dans la recherche de solution’’, déclare le jeune marabout.
Qu’est-ce que le radicalisme religieux ?
Selon lui, aucune définition universelle ne lui permet de baliser le concept. Cependant, dans le monde académique, la définition du sociologue F. Khosrokhavar semble faire consensus. Ce dernier le définit comme un processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel.
Il s’agit, donc, du fait d’avoir des positions religieuses extrémistes et d’en contester toute autre position différente, au point de ne pas écarter la possibilité d’utiliser la violence pour l’imposer. ‘’La radicalisation violente peut ainsi être appréhendée comme un processus dans lequel un individu embrasse petit à petit des idées radicales, s’endoctrine progressivement et se fait recruter par des groupements extrémistes étrangers qui peuvent conduire à des actions terroristes’’, (Coolsaet, 2016).
‘’En se basant sur les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba, la prévention et la lutte contre le radicalisme religieux passent par plusieurs points dont l’éducation religieuse, l’assimilation des valeurs religieuses et sociales, et la lutte contre le fanatisme. La plupart des radicaux ne possèdent pas un bon niveau en sciences islamiques. Leur connaissance est limitée et leur compréhension des préceptes religieux qu’ils ont appris est erronée. Cette inculture ou méconnaissance renforce le potentiel de crédulité qui permet d’adhérer à une version simplifiée des textes sacrés et du corpus dogmatique’’, souligne-t-il.
Pour Cheikh Ahmadou Bamba, l’acquisition du ‘’savoir bénéfique’’ avec des objectifs bien définis, est au cœur du combat. Dans sa versification intitulée ‘’Les verrous de l’Enfer et les Clés du Paradis’, il dit : ‘’Ayez quatre objectifs au début de la quête du savoir, afin d’obtenir le salut par la droiture. Le premier consiste à sortir de l’ignorance ; le deuxième d’être utile aux créatures de Dieu ; le troisième de vivre la science et le quatrième d’appliquer la science.’’
Pour éviter que le jeune soit influencé par tout autre groupe étranger, préconise-t-il, Serigne Touba l’appelle à apprendre les sciences religieuses et de les comprendre en profondeur. Le fondateur du mouridisme dit, à ce propos, dans ‘’Le viatique de la jeunesse’’ : ‘’O vous la génération des jeunes ! Si vous redoutez la honte, faites précéder l’action de la science. Commencez d’abord par les dogmes de la coutume prophétique qui sont exempts de controverse. Ensuite, (étudiez) la jurisprudence et après ces deux, la science du soufisme qui écarte les vices. Après cela, des instruments sont absolument indispensables à l’étude de la tradition (du Prophète) et des versets (du Saint-Coran). ‘’Comme la grammaire, la prosodie, la rhétorique, la linguistique arabe et la sémantique. Hâtez-vous tous alors vers la recherche du savoir et combattez vos âmes charnelles pour la compréhension. Ne remettez pas la recherche du savoir à votre âge adulte, car cela prive de l’éminence’’.
Une bonne éducation islamique, selon Serigne Touba, poursuit-il, est une solution pour prévenir et lutter contre la radicalisation violente. ‘’Cet islam authentique qui rejette la violence de quelque bord qu’elle provienne, est extrêmement important. Son apprentissage implique le rejet des interprétations déviantes des théologiens classiques ou de toute contextualisation pouvant mener au radicalisme. Ainsi, les livres doivent être vérifiés de même que ceux qui les enseignent doivent être bien choisis sur la base de leur compétence et juste-milieu. Pour éviter l’influence étrangère, le cheikh s’était engagé à écrire pour les disciples des ouvrages dépourvus de toute idéologie extrémiste. Ces livres touchent toutes les disciplines religieuses et linguistiques telles que le droit islamique, le soufisme, le tawhid, etc. Parmi ces livres, nous pouvons citer ‘Tazawudu Zighar’, ‘Tazaduwu Chuban’, ‘Mawahibu Qudos’, etc.’’, explique le traducteur.
Assimilation des nobles valeurs
Selon le chercheur en sociologie, pour le serviteur du Prophète (PSL), il ne suffit pas tout simplement d’apprendre et de comprendre authentiquement la religion, il faut aussi et surtout inculquer aux jeunes les valeurs de l’ouverture, de l’esprit de dépassement, le sens de la responsabilité, la bonne conduite, la loyauté envers la communauté, la fraternité et la stabilité sociale, etc. Dans une lettre adressée à ses disciples, Serigne Touba leur dit : ‘’J’ordonne à toute personne qui s’accroche à moi d’obéir à Allah et son Prophète (PSL), d’avoir une bonne conduite envers les dirigeants dans ce bas-monde, de s’abstenir ensemble de tout ce qui peut conduire à la corruption aussi bien ici que dans l’au-delà, et d’éviter tout ce qui peut conduire à la corruption et la secousse sur terre.’’
Il dit aussi : ‘’Souhaitez le bien à toutes les créatures de l’Inventeur (Allah)’’ ; ‘’La paix et la facilité dans le bas-monde et dans l’au-delà proviennent du fait de souhaiter le bien, de dire le bien, de faire le bien et de fréquenter les gens du bien.’’ ‘’Pour lui (Serigne Touba), pour que la société vive dans la paix et l’harmonie, il faut qu’il y règne le respect mutuel et le sentiment de l’existence de l’autre qui n’est pas obligé de partager les mêmes convictions et visions que soi. Il dit : ’La voie de la bonne conduite, c’est que tu fasses preuve d’indulgence envers le jeune et que tu le traites comme son père l’aurait fait, avec tendresse, et sa mère avec affection et qu’ensuite, tu respectes la grande personne, fût-elle un esclave d’Abyssinie et que tu traites ton prochain comme tu voudrais qu’on te traite, et ce, pour la simple Face de Dieu, le Magnanime’, poursuit-il.
Combattre le fanatisme et le racisme
Le fanatisme et le racisme, selon M. Mbacké, sont à l’origine de plusieurs dissidences. Ils sèment les graines de l’hostilité et conduisent à la guerre et au terrorisme. Aussi bien dans le domaine religieux, ethnique et autre, le racisme doit être combattu, sinon tous les efforts consentis seront des poussières éparpillées.
En ce qui concerne le fanatisme religieux, poursuit-il, le cheikh le rejette avec la dernière énergie et appelle à l’unité de tous les musulmans. A ses disciples, il déclare : ‘’Je vous commande de faire tout ce que vous pouvez des invocations des vertueux et des pôles ; où que vous les trouvez.’’ Et il dit ailleurs : ‘’Ne soyez jamais hostiles à une personne qui croit en Dieu.’’
Dans son livre ‘’Les Itinéraires du Paradis’’, il commande au disciple mouride d’utiliser tout wird amenant à Allah ; qu’il soit le wird tidjan, qaridite ou autre. Le cheikh sait que le fanatique dénie le droit à la différence et impose avec énergie ses points de vue. Ce qui fait dire que le fanatisme est un processus conduisant au radicalisme. Il s’en prend aux valeurs de démocratie et de liberté individuelle enseignées par toutes les religions révélées.
‘’Dans le même élan, le cheikh voit que tous les humains sont égaux et que les ethnies ne sont faites que pour donner la possibilité de se connaitre et de s’entraider dans la construction de l’humanité. Le Coran dit : ‘’Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux’’ (Hujurat : 13). C’est pourquoi, à chaque fois qu’il s’adressait à ses disciples, il ne faisait pas la différence entre les catégories sociales, car il voit que chacune d’elles est importante et que la plus noble est et reste toujours la plus pieuse et la plus attachée aux recommandations divines. Ce que les hommes ne sont pas en mesure de juger’’, ajoute l’ancien étudiant à l’université al-Azhar d’Egypte.
Ainsi, ‘’pour répondre aux aspirations des jeunes et renforcer leur résilience aux messages extrémistes, il est extrêmement important de conjuguer les efforts et d’impliquer les religieux. Tout combat politique, social et religieux qui est mené sans leur implication est voué à l’échec. Même si le radicalisme religieux est lié à plusieurs facteurs : stigmatisation, exclusion sociale, pauvreté…, il faut le combattre avec les acteurs de la paix sociale’’, conclut-il.
CHEIKH THIAM