Sonko, la tentative de résistance du Sud
Les partisans d’Ousmane Sonko restent mobilisés dans sa ville de Ziguinchor afin, disent-ils, de protéger leur leader contre les forces de sécurité dans un contexte d’ouverture de son procès pour viol. Cette décision du maire de Ziguinchor d’aller trouver refuge auprès de ses ‘’frères casamançais’’ semble avoir une dimension symbolique avec un leader qui aspire à porter les espoirs de toute la région sud du pays.
C’est un choix qui est loin d’être fortuit. La décision du leader de Pastef/Les patriotes d’aller se ‘’bunkeriser’’ dans son fief de Ziguinchor va au-delà de la symbolique à l’ouverture de son procès dans l’affaire de viol l’opposant à Adji Sarr. À l’appel de la désobéissance civile lancée par l’opposant, le sud du Sénégal a répondu par une volonté de défendre le ‘’fils du pays’’ contre les agressions de l’État central. Des foules de jeunes, pour la plupart originaires de Bignona, Oussouye et Niaguiss ont bloqué les routes et rues menant au domicile de l’opposant depuis week-end passé. Des pierres ont été jetées sur les forces de l’ordre qui ont réagi en lançant des grenades lacrymogènes semant le chaos dans la commune de Ziguinchor ainsi que dans plusieurs autres localités comme Goudomp et Bignona, depuis le 15 mai.
Ces jeunes entendent aussi s’opposer à toute tentative d’arrestations de leur leader. Comme pour saluer ses troupes, Ousmane Sonko s’est offert un bain de foule mercredi, en venant saluer ses partisans dans les barricades. La ville est devenue ‘’l’épicentre de la résistance’’, affirme Abdou Sané, coordonnateur du parti Pastef à Ziguinchor.
Le politologue Mamadou Sy Albert a salué le choix du gouvernement de ne pas trop aller vers l’escalade, avec le risque d’un embrasement de toute la région. ‘’Si les autorités avaient eu l’imprudence d’aller cueillir Sonko chez lui, on aurait pu aboutir à un vrai massacre. Je ne pense que l’État s’engage dans cette voie avec le risque d’une explosion des violences’’, affirme-t-il.
La mobilisation pourrait-elle faire tache d’huile, dans une région marquée par plusieurs décennies de conflit avec la rébellion du MDFC ?
En janvier dernier, un mouvement, regroupant des femmes diolas a tenu une assemblée dans le but de défendre ‘’leur fils’’ Ousmane Sonko et adressé un message au président Macky Sall ainsi qu’à certains membres du gouvernement qu’elles accusent de vouloir mettre des bâtons dans les roues du ’’probable 5e président de la République Ousmane Sonko’’.
Ce dernier semble vouloir incarner, au-delà de la jeunesse, cette dynamique du Sud qui, depuis les indépendances, a du mal à s’intégrer dans la communauté nationale. Le déclenchement du conflit casamançais, en 1982, a suscité la méfiance envers les politiciens originaires du Sud comme Robert Sagna, Youba Sambou, Balla Moussa Daffé, entre autres. L’échiquier politique sénégalais a semblé laisser peu de places aux hommes politiques casamançais bien longtemps marginalisés en raison du conflit irrédentiste dans le Sud.
Ousmane Sonko, Maire de la capitale de la Casamance, semble capable d’incarner cette envergure nationale qui a tant manqué à des politiciens originaires du sud du pays comme Assane Seck (ministre sous Senghor et Diouf), Abdoulaye Diop (ancien maire de Kolda), Balla Moussa Daffé (ancien maire de Sédhiou) et l’ancien maire de Ziguinchor Abdoulaye Baldé. Ces derniers étaient souvent cantonnés dans leur fief et victimes de la division ethnique de la Casamance naturelle entre pays diola, mandé et peul.
L’ex-inspecteur des impôts entend s’imposer comme nouveau porte-voix de la Casamance : monnaie locale, déclaration tapageuse contre une présumée stigmatisation des Casamançais par le régime Macky Sall.
Risques d’embrasement sur fond de conflit gelé
Son dernier acte de ‘’désobéissance civile’’ depuis Ziguinchor veut s’inscrire dans cette quête de représentation d’une figure tutélaire incarnant de la partie sud du pays. La signature, le 13 mai 2023, de l’accord de paix entre l’État du Sénégal et la faction du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) de Diakaye, dans la commune de Djinaky (Nord-Bignona) semble vouloir ouvrir une nouvelle page pour la Casamance. Les opérations de ratissage contre les autres bastions du MFDC des chefs de guerre César Atout Badiate et Salif Sadio ont fortement nui à la capacité opérationnelle du MFDC depuis 2019.
Cette nouvelle situation sécuritaire semble ouvrir la voie à un nouveau chapitre pour le retour de la paix définitive en Casamance. De ce fait, ces incidents pourraient ouvrir de nouveaux foyers de tension en Casamance et agrandir un peu plus le fossé entre la région méridionale et le reste du pays. Les habitants de cette région qui souffrent toujours de l’enclavement et d’un sentiment d’abandon de la part du pouvoir central sont susceptibles de voir dans la répression contre Pastef, un moyen d’anéantir les chances de leur ‘’champion’’ Ousmane Sonko. Une situation qui pourrait alimenter un peu plus le narratif des indépendantistes du MFDC autour d’un discours faisant état d’une Casamance brimée et qui peine à trouver sa place dans un Sénégal toujours méfiant à son égard.