‘’Nous avons les moyens de contrôler les principes actifs des médicaments’’
La question des médicaments intéresse les populations, au point que des interrogations sont faites sur leur provenance et leur fiabilité. Dans cet entretien, le professeur Yérim Mbagnick explique les différentes étapes à mener, avant qu’un produit soit mis sur le marché, en passant par les pays importateurs, la production locale ou sous-régionale. Il demande, par ailleurs, à l’Etat de donner à l’autorité de régulation et de réglementation les moyens de sa mission.
D’où proviennent les produits pharmaceutiques commercialisés au Sénégal ?
Les médicaments viennent de partout où les gens peuvent avoir le crédit. C’est l’Inde et la Chine qui fabriquent 60 % des matières premières. On ne peut pas chercher les médicaments autre part que là-bas. Mais nos produits ne viennent pas que de l’Inde. Il y a des produits français, anglais, espagnols, turcs, allemands. Ces gens-là fabriquent leurs produits en Inde et ils les envoient dans leurs pays d’origine pour la consommation. Mais eux, ils ont les moyens de bien contrôler les Indiens. Des moyens que nous, peut-être, nous n’avons pas. Mais on les met en place. On ne peut pas dire que l’Inde, c’est du mauvais, non. C’est l’autorité, ici, qui doit s’organiser pour ne pas recevoir du mauvais. C’est nous qui devons exiger un niveau de qualité pour nos populations égal au même niveau que les pays développés. Parce qu’il n’y a pas deux types de santé et deux types de personne ; nous sommes des hommes. On ne prend pas tout ce qui vient.
Le Sénégal est le pays le plus compliqué de la sous-région, en matière d’AMM (autorisation de mise sur le marché). Les gens se glorifient quand ils ont le papier du Sénégal. Parce que l’autorité est très regardante. Mais nos produits viennent en partie de l’Inde via la France. Pour 80 %, cela passe par Rouen. Les centrales d’achats sont là-bas pour les grossistes privés. Mais il y a des souches qui viennent de l’Egypte, du Maroc, de l’Europe. Le niveau de qualité est assez élevé. Ils ne vont pas accepter n’importe quoi dans leurs hangars. Nous aussi, on est regardant sur ça.
Il est dit que les principes actifs des médicaments venant de l’Inde sont insuffisants. Est-ce réel ?
Ce sont de fausses rumeurs, des informations erronées. On a les moyens de le contrôler. Un médicament est très, très régulé. Quand tu annonces 100 milligrammes, tu dois donner 100 milligrammes plus 5 au moins. Ce sont les référentiels de la pharmacopée.
Donc, quand cela n’atteint pas ce qui est demandé, c’est un mauvais médicament. Ce n’est pas de la qualité. Entre autres, quand le médicament ne se dissout pas bien, quand on le met en contact avec de l’eau, ce n’est pas aussi de la qualité. Tout cela, on a les moyens de le vérifier. Mais comme je l’ai dit, on ne peut pas vérifier pour 6 000 références en même temps. Il faut une stratégie de contrôle. C’est l’approche par les risques. On fait une analyse des risques. C’est-à-dire, on prend les produits à risque sur lesquels on met un focus pour faire une surveillance continue, post-autorisation. Il y a d’autres mécanismes qu’on est en train de développer. On sait ce qu’on doit faire pour protéger les Sénégalais. On sait où l’on va. Mais on doit nous donner les moyens de le faire. Il y en a, mais il faut qu’on augmente les choses.
Comment est gérée la sécurisation de l’importation ?
Il y a au moins quatre piliers de l’assurance qualité qui permettent de garantir les médicaments que l’on utilise, qui passe par le circuit normal. C’est-à-dire les médicaments importés par le privé et ceux importés par la Pharmacie nationale d’approvisionnement. L’importation est un processus très long. Le premier niveau de verrous, c’est l’autorisation de mise sur le marché. Un produit ne peut être vendu au Sénégal, s’il n’a pas reçu au préalable une autorisation de mise sur le marché. Cette autorisation, au-delà de l’arrêté ministériel appelé AMM, c’est un processus d’évaluation du rapport bénéfique, risque du produit. On évalue le produit ; c’est pour cela que c’est long. C’est des experts qui évaluent. Ensuite, une commission nationale se prononce pour octroyer ou non l’AMM. A partir de ce moment, les grossistes peuvent importer ce produit.
Au moment de l’importation, chaque lot importé doit faire l’objet d’une demande à la DPM. Ce qu’on appelle l’autorisation d’importation. Cette autorisation d’importation plus l’AMM sont des documents que la douane utilise pour vérifier par la DPM à travers leur Orbus afin de libérer les produits qui viennent au port. Le troisième point, c’est l’inspection réglementaire. On inspecte les lieux où les produits sont stockés et ceux où les produits sont fabriqués localement et à l’étranger. On ne peut pas tout inspecter. Mais on a toujours des lots de laboratoires qu’on choisit sur lesquels on va faire des inspections réglementaires avec des inspecteurs sénégalais. Juste avant la crise au mois de mars, une équipe s’est rendue au Pakistan pour inspecter une douzaine de laboratoires. A la suite de cette inspection, 8 laboratoires ont reçu les bonnes pratiques de GNP (encyclopédie pratique du médicament) du Sénégal. On les a reconnus comme bons laboratoires.
Le troisième volet, c’est le contrôle de qualité aux laboratoires de contrôle des médicaments. Il y a un programme qu’on appelle PMS (Post marketing surveillance paliti contrôle). Parce qu’on ne peut pas tout contrôler, mais on peut faire un plan de contrôle en fonction du risque et venir sur chaque type de produit. Risque basé sur des critères, par exemple le critère de stabilité, parce que tous les produits n’ont pas la même stabilité. Il y a aussi le critère d’utilisation sur un produit utilisé. C’est une approche basée sur les risques pour faire le contrôle qualité. Cela, en dehors du contrôle que l’on peut faire, quand il y a des problèmes. Le quatrième pilier pour la sécurité sanitaire, c’est la pharmacovigilance. Même si le produit a l’AMM et bien contrôlé, on peut avoir des surprises pendant l’utilisation, une exigeage comme on dit. La pharmacovigilance contribue à surveiller le médicament pendant son utilisation. En ce moment, il y a deux équipes de la DPM qui sont dans la zone Casamance, Sédhiou, Kolda, Ziguinchor et à Tamba, Kédougou depuis lundi. C’est la deuxième vague. Il y a un mois, on avait fait la même chose dans le cadre de la Covid. Il y a des verrous, mais cela ne veut pas dire que tout est rose. On a beau être vigilant, s’il y a des médicaments qui passent, entrent par un marché parallèle, cela peut poser des problèmes. C’est pour cette raison qu’il faut donner à l’autorité de régulation et de réglementation les moyens de sa mission à assurer à tous les Sénégalais l’accessibilité et la disponibilité des médicaments de qualité.
Vu tout ce schéma, n'est-il pas temps, pour le Sénégal, de créer ses propres entreprises pharmaceutiques ?
Le Sénégal a des entreprises pharmaceutiques depuis plus de 50 ans. Hier (jeudi) il y avait une grande réunion entre les futurs fabricants et les fabricants actuels. C’est en cours. Sur instruction du président, on a un plan de développement de l’industrie pharmaceutique locale. Avec la situation de crise que nous avons connue avec la Covid, il y a actuellement deux ou trois industries naissantes qui vont commencer bientôt à mettre leurs produits sur le marché. On accompagne ce processus.
Il y a des projets, mais c’est tout un ensemble qu’il faut revoir. Il faut des incitations pour que les gens viennent fabriquer le médicament ici. Parce qu’il y a aussi la réalité du coût de production et la rentabilité. L’Etat est en train de faire des pieds et des mains au niveau du ministère des Finances, du ministère de l’Industrie et de la Pharmacie pour voir comment mettre des conditions très favorables pour susciter des investissements dans le secteur pharmaceutique et être rentable. Parce qu’il faut une clientèle, il faut vendre les médicaments que l’on produit.
Tout cela, il faut beaucoup réfléchir avec la tête bien froide, afin de voir les meilleurs moyens pour rendre disponible les médicaments y compris la fabrication locale de certaines molécules essentielles si possible. Il faut également élargir notre gamme dans la chaine d’approvisionnement, pour pouvoir acheter partout où le médicament se trouve. Maintenant, il faut juste que l’autorité soit assez forte, ainsi que le laboratoire de contrôle de la Direction de la pharmacie, pour faire face à l’assurance qualité afin de s’assurer que les médicaments sont de bonne qualité.
Il faut aussi se consacrer à la lutte contre les faux médicaments et le marché illicite, parce que, malheureusement, c’est une réalité. Le ministère de la Santé veut bien changer de paradigme pour sécuriser les populations et protéger le bon médicament. On a des techniques de solution en cours.
Il y a des projets oui, mais est-ce que le Sénégal seul peut y arriver ?
Il faut que l’on soit souverain et autonome sur certaines lignes de produits. Ce n’est pas facile. Parce qu’à l’échelle nationale, ce n’est pas facile. Il faut peut-être réfléchir à l’échelle sous-régionale UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) et mettre des pôles d’excellence. Par exemple, le Sénégal peut fabriquer les produits biologiques, d’autres pays fabriquent telle gamme de produit. On peut s’arranger dans la sous-région ouest-africaine pour avoir des pôles de compétences dans des domaines pharmaceutiques bien précis. Cela pourra permettre à chaque industrie installée dans la zone de s’adresser à 300 millions d’individus, si on y ajoute le Nigeria. Mais si on veut fabriquer que pour 15 millions de Sénégalais, vous voyez les coûts de fabrication par rapport à un Indien qui fabrique pour un milliard d’Indiens et d’autres pays. C’est la réalité de la production pharmaceutique qui est là. Il faut un marché et le marché, ici, est très faible.
Néanmoins, il y a des projets qui sont en cours (pharma police, il y a une étude récente qui n’est pas encore publiée de Makendis sur le secteur pharmaceutique industriel du Sénégal). Il y a des propositions intéressantes. Des groupes de travail sont en train de réfléchir sur la meilleure façon de rendre le Sénégal un peu plus souverain sur le plan thérapeutique et pharmaceutique.