Publié le 17 Feb 2014 - 17:50
RÉFORME DES INSTITUTIONS

Douche froide collective

 

Paradoxe ! Décidément, le rapport de la Commission nationale de réforme des Institutions (Cnri) est plus gros de dangers pour la cohésion de la majorité présidentielle qu’il ne contribue à sa perpétuation dans sa configuration actuelle. L’équipe dirigée par le Pr Ahmadou Makhtar Mbow, pour autant qu’elle apporte de bonnes réponses à de vraies questions, a en effet jeté un malaise au sein des principaux partis politiques qui soutiennent le président Macky Sall dans le cadre de la coalition «Benno Bokk Yaakaar», celle qui a eu raison du régime de Me Wade, le 25 mars 2012, lors de la dernière présidentielle.

Selon toute vraisemblance, bon nombre des propositions émises par la Cnri seront rejetées par les «barons» de l’actuel régime. La plupart ne s’y retrouvent pas. Pourquoi ? C’est comme si les principaux acteurs actuels étaient rattrapés par leur…longévité ou leurs nouvelles ambitions : d’un côté, le président de la République qui réfléchit à un second mandat ; de l’autre, ses alliés du Parti socialiste et de l’Alliance des Forces de Progrès dirigés par des mis out pour la prochaine présidentielle.

Déjà, le président Macky Sall est concerné au premier chef. Il ne faut pas s’étonner du fait ce que ce sont d’influents responsables du parti présidentiel, l’Alliance Pour la République (Apr), qui ont été les premiers à ruer dans les brancards après la publication du rapport de la Cnri, pourtant «très dans l’air du temps», surtout que ce sont des personnalités réputées respectées qui y ont planché.

CASSUS BELLI

L’article 63 du projet de constitution de la Cnri propose que la fonction de président de la République soit incompatible avec l’appartenance à toute assemblée élective nationale ou locale ainsi qu’avec l’exercice de toute autre fonction, publique ou privée ; il ne pourrait exercer aucune fonction dirigeante dans un parti politique ni appartenir à toute autre association.

Entre autres cassus belli à venir, l’encadrement de l’âge pour pouvoir se présenter à la présidentielle : 35 au minimum et 70 au maximum. La plupart des chefs de parti actuels membres de la majorité présidentielle seraient exclus de tout futur scrutin pour le palais de l’avenue Senghor. Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, au premier chef. C’est ce qui va mettre le feu aux poudres car les membres de la Commission représentent une caution à la fois morale et intellectuelle, en raison de leur réputation et de leur pedigree. Mais aussi parce que les chefs des «grands» partis qui entourent Macky Sall seront fragilisés, leurs suivants les sachant non présidentiables.

Hier, le président du groupe parlementaire, Moustapha Diakhaté, invité de l’émission «Grand Jury» de la Rfm, n’a rien fait pour arranger les choses. Il a estimé que la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) est allée «au-delà de ses prérogatives». A ses yeux, «on leur demandait juste de réfléchir, pas de proposer une nouvelle Constitution». Ce qui a mis le feu aux poudres est la proposition de la Commission d’interdire au président de la République d’être en même temps chef de parti. Levée de boucliers.

En tournée dans le département de Bambey, Thérèse Faye Diouf, directrice de l’Agence nationale de la Case des tout-petits, avait annoncé la couleur en début de week-end : «Nous ne l’accepterons pas», dixit la responsable des Jeunesses féminines de l’Apr, en compagnie du ministre de l’Environnement, Mor Ngom.

C’est que les propositions de la Cnri élaguent volontiers «les dimensions» du chef de l’Etat dans leur structuration actuelle. On se retrouve comme en 2001, quand le président Wade, alors qu’il présentait son projet de nouvelle Constitution aux Sénégalais, avait carrément refusé de quitter la tête du Pds. 

MALAISE EN VUE

Pour boucler la boucle, le député Moustapha Cissé Lô, baron «apériste», a suggéré hier à Macky Sall de ne «prendre que ce dont il a besoin» dans les conclusions de la Cnri. Lui aussi pense qu’il est «hors de question» que le chef de l’Etat quitte la présidence de son parti politique. C’est un retour de bâton pour les alliés qui s’étaient ligués contre le président Wade en 2012 et les «barons» de «Benno Bokk Yakaar».

Pour arriver à le terrasser, ils avaient accepté toutes les propositions des «Assises nationales» ; toutefois, au cours de l’entre-deux tours de la présidentielle, Macky Sall (toujours contre le régime parlementaire et l’abandon de son statut de chef de parti) avait rendu une mémorable visite au domicile du Pr Mbow pour lui signifier son adhésion au projet de «Nouvelle République» que l’ancien directeur général de l’Unesco concoctait.

Les « apéristes » se rendent finalement compte que la Cnri reprend dans une large mesure ce que les «Assises nationales» avaient proposé. La proposition de lutte contre le cumul des mandats en interdisant aux députés, ministres ou directeurs généraux de diriger des collectivités locales, n’arrange pas plus la formation présidentielle.

Dans beaucoup de localités, il sera difficile de trouver le personnel politique favorable au parti présidentiel pour diriger des communes, s’ils ne sont pas déjà «casés», alors que justement «L’Acte 3 de la Décentralisation» écarte les analphabètes en français de ces fonctions.

Quel serait le coût politique d’un rejet des conclusions –ainsi que l’y poussent ses partisans- par le Président Macky Sall de la plupart des conclusions de la Cnri ? Naturellement, ce serait le malaise au sein d’une coalition avec déjà la Ligue démocratique qui annonce la couleur avec les attaques frontales de son secrétaire général Mamadou Ndoye contre le régime. C’est bien le Pds de Me Wade (lui-même de plus en plus contesté pour ses méthodes), tête de file de l’opposition, qui doit rire sous cape. Mais chacun à ses problèmes….

Lamine SENE

 

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