Les racines d’une intégration réussie
Présente dans le commerce, les finances, la médecine, l’industrie…, la communauté marocaine au Sénégal est un bel exemple d’intégration réussie, dans un monde où des barrières sont de plus en plus érigées entre les peuples.
L’image a récemment fait le tour des réseaux sociaux, au Sénégal. Des Marocains qui chantent la qualification du Sénégal à la Coupe du monde. Cela ne se passe pas dans les rues de Dakar, mais bien dans les stades du Maroc. ‘’Allez Sénégal ! Allez Sénégal !…’’, scandaient-ils. Une preuve supplémentaire de la belle intégration entre les peuples marocains et sénégalais, aussi bien au Maroc qu’au Sénégal. ‘’EnQuête’’ a essayé de faire immersion dans cette communauté blanche, parfois métissée, fondue au cœur de la capitale sénégalaise, depuis des dizaines, voire des centaines d’années.
‘’En s'arrêtant lundi pour moins de deux jours à Marrakech, où Hassan II l'a accueilli, le président Senghor fait pour la seconde fois une visite au Maroc. La première, qui était officielle, avait eu lieu en juillet 1963. Elle marquait la reprise de relations un moment assombries. Depuis lors, les contacts politiques et les échanges de missions furent nombreux…’’. Cet article du journal ‘’Le monde’’, daté du 25 mai 1966, en dit long sur la nature des relations entre le Sénégal et le Maroc.
Deux ans auparavant, en 1964, le souverain chérifien était reçu officiellement au Sénégal avec tous les honneurs. C’était pour les besoins de l’inauguration de la Grande mosquée de Dakar.
Plus de 50 ans plus tard, les relations restent au beau fixe. A bien des égards, l’intégration de la communauté marocaine reste un exemple de coopération réussie.
Entre le Sénégal et le Maroc, les relations sont très anciennes et ont été bâties sur des fondements très solides du sang et de la religion. Chaque année, ils sont nombreux, les Sénégalais, à se rendre à Fès pour se recueillir sur le mausolée de Cheikh Ahmed Tidjani, un des plus grands propagateurs de l’islam en Afrique de l’Ouest. S’y ajoutent tous ces ressortissants sénégalais au royaume chérifien, qui pour le travail, qui pour des raisons liées aux études.
Au Sénégal, la présence de la communauté marocaine remonte à plusieurs générations. Déjà dans les années 1960, ils étaient au nombre de 3 000. Aujourd’hui, sur les registres de l’ambassade du Maroc au Sénégal, sont comptabilisés près de 10 000 citoyens marocains. Mais dans la réalité, ils sont plus de 15 000, confiait récemment l’ancien ambassadeur Talleb Berrada, lui-même marocain né au Sénégal.
Interpellé sur le nombre de compatriotes établis au Sénégal, il disait : ‘’Malin sera celui qui vous donnera un chiffre exact. Vous savez, entre nos deux pays, il y a une dispense de visas, sur la base d’une convention d’établissement qui date de 1967. Par conséquent, les Marocains n’ont pas besoin de visas pour venir au Sénégal. Et c’est réciproque. Ensuite, il y a une liberté d’établissement des citoyens des deux pays dans l’un ou l’autre pays. Il est donc difficile d’avoir le chiffre exact. Certains, on ne les voit que quand ils ont besoin de papiers administratifs.’’
Sans visas, sans formalités particulières pour s’implanter au Sénégal, la communauté marocaine n’a cessé de grossir au fil des années, non sans se renouveler en permanence. Parfaitement intégrés, ils sont dans le commerce de tissus, la médecine, le grand business, particulièrement la banque et les assurances… En principe, dans beaucoup de domaines de la vie économique et sociale, ils jouissent des mêmes privilèges et sont assujettis aux mêmes obligations que les nationaux.
Dans le domaine fiscal, par exemple, la Convention d’établissement prévoyait : ‘’Les nationaux de l’une des parties contractantes ne peuvent être assujettis sur le territoire de l’autre partie contractante à des droits, taxes ou contributions, quelle qu’en soit la dénomination, autres ou plus élevés que ceux perçus sur les nationaux de cette partie.’’
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FACULTE DE MEDECINE UCAD
Le symbole de l’intégration
Sur la base de ces fondements novateurs, les Marocains au Sénégal comme les Sénégalais au Maroc peuvent, en principe, étudier, travailler, entreprendre, sans beaucoup d’entraves.
Chaque année, ils sont des dizaines, voire des centaines de ressortissants marocains qui choisissent Dakar, en particulier sa faculté de Médecine, pour poursuivre leur cursus. La trentaine, Dr Mehdi Hatim est témoin de ces flux importants de ses compatriotes depuis environ 10 ans. Ancien secrétaire général de l’Association des étudiants marocains au Sénégal, il s’explique sur l’attrait de certains Marocains pour la faculté de Médecine de l’Ucad. ‘’L’école sénégalaise de médecine, de pharmacie et de médecine dentaire, dit-il, est connue pour être une référence. Les diplômes qui y sont délivrés font partie des rares reconnus officiellement par les autorités marocaines. La faculté de Médecine est une institution centenaire qui a eu à former des sommités du monde médical’’.
Déjà en cours de formation, les lauréats marocains qui retournent au pays pour des stages ruraux facilités par les autorités universitaires sénégalaises, laissent une très bonne impression sur place, renseigne Hatim. ‘’Cette qualité de la formation fait que même des médecins marocains formés au Maroc se ruent vers le Sénégal pour décrocher une place dans l’une des formations spécialisées proposées par l’Ucad. Vraiment, les médecins spécialistes formés au Sénégal n’ont rien à envier à leurs collègues formés au pays. Dans certaines spécialités, ils sont même mieux formés et plus aguerris’’, ajoute le jeune médecin qui est à la fin de sa spécialisation en ophtalmologie.
Au-delà de la qualité de la formation, les conditions sont nettement plus favorables par rapport à d’autres destinations, notamment européennes. En raison des conventions signées entre les deux pays, les étudiants marocains au Sénégal ont accès à tous les services sociaux des universités sénégalaises. Au même titre que leurs camarades sénégalais. Ils paient les mêmes frais d’inscription, ont accès aux bourses de l’Etat du Sénégal (40 000 F CFA qui passent à 60 000 F CFA à partir de la 5e année par mois, plus une trousse annuelle de 35 000 F CFA), ils ont aussi accès à la couverture médicale. Ils peuvent manger dans les restaurants universitaires (250 F CFA pour les trois repas quotidiens) et ont un quota de chambres au niveau de la cité universitaire.
‘’Ceci, sans compter l’accueil très chaleureux des Sénégalais qui nous font oublier l’éloignement de nos familles’’, tient à souligner M. Hatim, non sans préciser que le ministère de l’Enseignement supérieur octroie chaque année 150 bourses à des élèves marocains désireux de poursuivre leurs études au Sénégal. Ce, compte non tenu des autres qui viennent sans bourse de l’Etat.
Si Dakar (90 % de l’effectif) et la faculté de Médecine accueillent le gros du lot, d’autres choisissent de déposer leurs baluchons dans les universités de l’intérieur : Thiès, Saint-Louis, Ziguinchor et Bambey. En sus des études en médecine, il y en a aussi qui viennent suivre d’autres filières comme l’agronomie.
En outre, conformément à l’accord entre les deux pays, à la fin de la formation, ceux qui le désirent peuvent bien guetter des opportunités sur leur terre d’accueil. Le ministère de la Santé et de l’Action sociale, dit-on, a même recruté des médecins marocains affectés dans certaines régions souvent présentées comme des déserts médicaux et ils y font un travail remarquable. Ils sont à Ziguinchor, à Touba, à Thiès, à Dakar, pour ne citer que ces exemples, renseigne notre interlocuteur.
Il n’empêche, précise Mehdi Hatim, la majorité préfère retourner au Maroc, pour se rapprocher notamment de leurs familles, mais aussi parce que certains comme les pharmaciens n’ont pas la possibilité d’ouvrir des officines au Sénégal.
C’est là un des rares domaines qui résistent à l’ouverture presque sans limite. Pourquoi ? Nous avons essayé de joindre le Dr Assane Diop, Président du Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal, pour de plus amples éclairages sur ce qui ressemble à une ‘’anomalie’’ par rapport à l’esprit de la coopération entre les deux pays. Il explique : ‘’Ce que je sais, c’est que pour ouvrir une pharmacie au Sénégal, il faut être de nationalité sénégalaise. Maintenant, il peut arriver que le Sénégal signe un accord avec un autre pays, pour que les ressortissants des deux pays puissent s’établir dans n’importe lequel des deux pays. Par exemple, que les Sénégalais puissent s’établir au Maroc et vice-versa. Mais aujourd’hui, à mon humble avis, peut-être l’ordre pourra y répondre de manière plus précise ; ce n’est pas encore le cas. Un Sénégalais ne peut pas ouvrir une pharmacie au Maroc. Et vice-versa.’’
CONVENTION D’ETABLISSEMENT Aux origines d’un marché commun sénégalo-marocain Il y a quelques décennies, les deux pays, sous l’impulsion de Senghor et d’Hassan II, signaient une convention qui donnait aux nationaux de chaque pays le droit de s’implanter librement dans l’autre pays, sans entrave. Une convention sérieusement remise en cause par les accords ultérieurs sur l’UEMOA et la CEDEAO. Retour sur ce bel outil qui, pendant longtemps, a régi les rapports socio-économiques entre les deux pays. Outre le domaine fiscal, presque tous les volets de la vie économique et sociale étaient visés par cette convention très ambitieuse. Il en est ainsi des emplois publics objet de l’article 1er de ladite convention. Qui précise : ‘’Sans préjudice des conventions intervenues ou à intervenir entre les deux parties contractantes, les nationaux de chacune des parties pourront accéder aux emplois publics de l’autre partie, dans les conditions déterminées par la législation de cet Etat.’’ Aux termes de l’article 2, les nationaux de chacune des parties sont assimilés à ceux de l’autre, sauf dérogation imposées par la situation économique et sociale, dans les domaines de l’ouverture d’un fonds de commerce, de la création d’un établissement industriel, commercial, agricole ou artisanal, ainsi que de l’exercice des activités professionnelles salariées. Les dérogations en question, souligne le texte, ne doivent pas avoir pour effet de porter atteinte à l’essentiel des droits reconnus par le présent article au bénéfice des nationaux de chacune des parties contractantes sur le territoire de l’autre. Dans la même veine, Marocains et Sénégalais, selon toujours la convention, ont accès aux professions libérales, aux marchés publics, aux contrats de concessions dans n’importe lequel des deux pays… Ils jouissent également des mêmes privilèges offerts par le droit du travail, la sécurité sociale… Même le droit civil n’a pas été en reste dans le périmètre de la Convention d’établissement. Il résulte, en effet, de l’article 6 que tout national de l’une des parties jouit sur le territoire de l’autre des mêmes droits civils que les nationaux de ladite partie. Il les exerce selon la loi applicable d’après les règles des conflits de lois. ‘’En particulier, souligne l’alinéa 2 de l’article 6, le statut personnel des Marocains sur le territoire de la République du Sénégal est régi par la loi marocaine, le statut personnel des Sénégalais sur le territoire du Maroc est régi par la loi sénégalaise’’. Toutefois, avec l’avènement de l’UEMOA, cette convention qui existe toujours et qui est parfois citée en référence, est devenue caduque, selon Sidy Mohamed Lahlou, Président du Club des investisseurs marocains au Sénégal, par ailleurs co-fondateur et secrétaire général du Cercle Sénégal-Maroc d’amitié et de fraternité, qui fonde beaucoup d’espoir au Groupe d’impulsion mis en place par les gouvernements, pour booster encore plus les échanges (voir interview). |
AMADOU FALL