Publié le 20 May 2025 - 17:08
SEPT FÉMINICIDES ENREGISTRÉS  EN  CINQ MOIS AU SÉNÉGAL    

Chronique d'une hécatombe de femmes

 

 

L'année 2025 s’illustre tristement  au Sénégal par une série de drames conjugaux et familiaux, plaçant la question des violences faites aux femmes et des féminicides au cœur de l'actualité et du débat public. De janvier à mai, sept  vies de femmes ont été brutalement fauchées, laissant derrière elles des familles endeuillées et une société sous le choc. ‘’EnQuête’’ fait une rétrospective sur ces tragédies qui ont marqué les premiers mois de l'année.

 

 Retour sur les meurtres de Diary Sow, Yamou Ndiaye et Sadel Sow

La nouvelle année avait à peine commencé que l'horreur s'invita dans le quotidien des Sénégalais. En effet,  dans la nuit du 31 décembre 2024 au 1er janvier 2025, la jeune Souadou Sow dite ‘’Diary’’, âgée de seulement 12 ans, perdait tragiquement la vie. Si les circonstances exactes de son décès restent sujettes à l'enquête, l'arrestation d'un homme d'une trentaine d'années, qui a reconnu l'avoir tuée sous l'emprise de la drogue tout en niant une tentative de viol, a jeté une lumière crue sur la vulnérabilité des jeunes filles face à la violence. Les résultats des  enquêteurs chargés de cette affaire ont  attesté  que  le décès est dû à une asphyxie mécanique par strangulation manuelle associée à une hémorragie méningée causée par un traumatisme par objet contondant, sans lésions périnéales récentes. Un prélèvement vaginal systématique a également été effectué pour frottis. Un certificat d'inhumation a été délivré, à la demande de la famille éplorée.

L'affaire, qui a défrayé la chronique durant plusieurs jours, a ravivé les inquiétudes concernant la sécurité des enfants et la nécessité d'une protection accrue.

Quelques jours plus tard,  la ville  de Touba était secouée par un drame d'une autre nature, mais tout aussi tragique. Yamou Ndiaye, mère de quatre enfants, était poignardée à mort par son propre beau-frère, lors d'une dispute apparemment anodine concernant une pelle de ménage. La rapidité avec laquelle l'altercation avait dégénéré en meurtre laissait une communauté sous le choc. Les informations relayées dans la presse révélaient que le meurtrier présumé était un jeune homme d'une vingtaine d'années souffrant de troubles mentaux.

Ce drame tragique a relancé le débat crucial sur la gestion des troubles mentaux au sein des familles et la nécessité d'un soutien psychologique adéquat pour prévenir de tels actes irréparables.

Quelques semaines plus tard, en fin  janvier 2025, une autre affaire macabre venait secouer le pays. À Yang Yang, dans le département de Linguère,  un berger du nom de G. Sow avouait un crime d'une sauvagerie inouïe : le meurtre de sa propre femme,  Sadel Sow, dont le corps avait été retrouvé démembré. Selon les informations, le quinquagénaire, père de sept enfants, aurait attiré sa femme sous un prétexte avant de commettre l'irréparable. Il avait avoué son crime en ces termes : ‘’C’est moi qui l’ai tuée. Je l’ai découpée en morceaux. Cependant, j’ai agi sous la dictée de Satan.’’  Sa tentative d'expliquer son acte par une prétendue possession démoniaque n'a fait qu'ajouter à l'effroi suscité par cette tragédie. Un acte qui a plongé tout un village dans la stupeur.

Double tragédie en avril : meurtres de femmes à Keur Ndiaye Lo et à Linguère

Le mois d'avril a également été marqué par des actes de violence mortelle au sein du cercle familial. Au début  du mois avril,   Keur Ndiaye Lo  était  le théâtre d'un crime odieux. Kindy Bah, originaire de la Guinée, une femme de ménage de 36 ans, mère de deux enfants, était découverte sauvagement assassinée au domicile de ses employeurs. La violence des coups portés, notamment au cou, et l'absence de vol ont rapidement orienté l'enquête vers un mobile plus sinistre, évoquant une possible tentative de viol ayant mal tourné. Jusque-là,  les auteurs de cet acte restent introuvables.

Alors que le meurtre de cette femme défrayait la chronique, en mi-avril, dans le département de Linguère, un homme de 79 ans avouait  le meurtre de sa belle-sœur nonagénaire. Aly Dia a été arrêté et déféré devant le parquet de Louga, accusé du meurtre de sa belle-sœur Diène Dia, une femme de 90 ans.

Dans un récit troublant, le mis en cause a tenté d'expliquer son geste par des provocations répétées de la part de la victime. Il aurait déclaré que sa belle-sœur l'insultait de manière persistante. Le bourreau  a affirmé avoir émis des avertissements préalables, mais que les provocations auraient finalement dépassé le seuil de sa tolérance, le poussant à commettre l'irréparable. Le mise en cause  aurait même exprimé sa propre surprise face à la violence de son acte, confessant ‘’ne pas comprendre ce qui l’avait poussé à une telle extrémité’’.

Mai sanglant au Sénégal : deux féminicides en moins d'une semaine

Le mois de mai a été particulièrement éprouvant, avec la survenue de plusieurs féminicides qui ont ravivé la douleur et la colère face à la persistance de la violence masculine contre les femmes. Un nouveau féminicide vient endeuiller le Sénégal, cette fois dans le village de Ndiouwar, près de Fatick. Marie-Louise Ndour, une femme de ménage de 41 ans et mère de quatre enfants, est abattue en plein jour par son mari Mouhamed Diouf, un ancien militaire de 46 ans. Le drame s'est déroulé sous les yeux de la mère de la victime, suite à une dispute conjugale survenue la nuit précédente. La rancune et la haine avaient conduit à un acte d'une violence extrême. L'homme avait quitté le domicile avant de revenir armé et d'ôter la vie à sa femme d'une balle en pleine poitrine. La réaction de la communauté locale, submergée par l'horreur, fut immédiate et violente : Mouhamed Diouf est lynché par les habitants avant d'être secouru in extremis par les gendarmes.

Ce drame, qui a laissé quatre enfants orphelins, soulignait une fois de plus la spirale de violence qui peut s'installer au sein des couples et les conséquences tragiques qui en découlent. Ce crime intervient suite à un autre  perpétré il y a moins d’une semaine.

La commune de Joal était endeuillée par un féminicide d'une brutalité glaçante. Serigne Fallou Diop, un maçon, passait à l'acte après cinq années de vie commune avec Fatou Guèye. Rongé par une jalousie maladive et la suspicion d'infidélité, il a étranglé sa femme dans son sommeil. L'horreur ne s'arrêtait pas là : l'homme restait allongé aux côtés du corps sans vie jusqu'au matin, dans une tentative macabre de faire croire à une mort naturelle. La vigilance des voisins, alertés par son comportement étrange, a permis de découvrir la vérité. Les aveux glaçants de Serigne Fallou, justifiant son acte par ses soupçons et la confirmation de la mort par strangulation lors de l'autopsie, ont plongé la communauté de Santhie 2 dans une consternation totale.

Une femme ou une fille tuée toutes les 10 minutes par un proche, selon ONU Femmes

Le dernier rapport sur les féminicides publié en novembre 2024 révèle que 60 % des meurtres de femmes sont commis par un partenaire intime ou un autre membre de la famille. En moyenne mondiale, une femme ou une fille est assassinée toutes les dix minutes par son partenaire intime ou un autre membre de sa famille. D'après l'étude,  l'Afrique enregistre les taux les plus élevés en 2023, suivie des Amériques et de l'Océanie. ONU Femmes et l'ONUDC appellent à une action urgente et coordonnée, incluant des lois robustes, une meilleure collecte de données et un engagement mondial pour éradiquer cette violence avant le 30e anniversaire du Programme d'action de Beijing en 2025. Les agences onusiennes soulignent la nécessité de renforcer la justice pénale, de soutenir les survivantes et de démanteler les inégalités de genre et les normes sociales néfastes qui alimentent ces crimes.

Un crime lié au genre, fruit d'inégalités et de discriminations, selon les experts

Le féminicide, défini par ONU Femmes comme l'homicide volontaire motivé par le sexe de la victime, représente la forme la plus extrême de violence à l'égard des femmes et des filles. Contrairement à un homicide classique où le mobile peut être divers, le féminicide est intrinsèquement lié à la discrimination, aux rapports de force inégaux, aux stéréotypes de genre et aux normes sociales préjudiciables. Cette violence ultime s'inscrit dans un continuum de maltraitances multiples, qu'elles se manifestent au sein du foyer, sur le lieu de travail, à l'école ou dans l'espace public, incluant la violence conjugale, le harcèlement sexuel, les pratiques néfastes et la traite des êtres humains.

Si les statistiques actuelles sur les féminicides sont alarmantes, l'Organisation des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et ONU Femmes soulignent que ces chiffres ne représentent que la partie émergée de l'iceberg.

En effet, près de quatre meurtres intentionnels de femmes et de filles sur dix ne peuvent être catégorisés comme féminicides en raison des disparités dans les systèmes nationaux de recensement et d'enquête des justices pénales. Pour appréhender l'ampleur réelle de ce fléau et y apporter des réponses efficaces, ils estiment la nécessité  de disposer de données exhaustives et ventilées. Dans cette optique, l'ONUDC et ONU Femmes ont conjointement élaboré un cadre statistique pour la comptabilisation des meurtres de femmes et de filles liés au genre, communément appelés "féminicides", qui a été approuvé par la Commission statistique des Nations Unies en mars 2022. Derrière chaque statistique se cache une vie brutalement interrompue par la violence masculine, la misogynie et les normes sociétales qui tolèrent et perpétuent la violence à l'égard des femmes et des filles.

Cependant, les experts de l'ONUDC et d'ONU Femmes insistent sur le fait que les meurtres liés au genre et les autres formes de violence envers les femmes et les filles ne sont pas une fatalité. “Le féminicide est souvent l'aboutissement d'une escalade de violence fondée sur le genre, ce qui signifie qu'une intervention précoce et efficace est essentielle pour le prévenir. Les initiatives axées sur la prévention primaire, la modification des normes sociales et l'engagement de l'ensemble des communautés pour instaurer une tolérance zéro face à la violence envers les femmes sont considérées comme les plus efficaces pour enrayer ces homicides”, souligne ONU Femmes. Les experts estiment que les forces de l'ordre et le système judiciaire ont un rôle primordial à jouer en accordant “crédibilité et soutien” aux survivantes, en répondant promptement aux signalements de violence et en sanctionnant les auteurs afin de mettre fin à l'impunité.

“Trop souvent, les victimes de féminicide avaient déjà signalé des violences et leur mort aurait pu être évitée. Une approche prometteuse pour améliorer les réponses institutionnelles consiste en des examens approfondis des meurtres liés au genre, impliquant les familles et les communautés, afin d'identifier les lacunes et de mettre en place des réformes préventives”, concluent les experts.

F. BAKARY CAMARA

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