“Marame ak Birane” *
Malgré les arguments de l’État qui invoque le syndrome de l’autoroute à péage Dakar - Diamniadio pour justifier son choix de confier la gestion du TER pour une courte durée, des experts dénoncent et soutiennent que l’offre de Méridiam était nettement plus avantageuse pour un projet comme le Train express régional, qui n’a pas vocation à avoir une rentabilité financière. Au-delà des questions liées à la pertinence du choix, l’enquête montre des relations souvent heurtées entre le gouvernement, en particulier le ministère de tutelle, et la SNCF, maison-mère de la Seter.
Le choix est quand même difficilement compréhensible. Malgré le contexte difficile, la raréfaction des ressources et l’augmentation des besoins, l’État a choisi une option qui lui fait dépenser des milliards de francs CFA pour l’exploitation et la maintenance du TER, en lieu et place d’une option qui lui aurait fait gagner de l’argent, déchargé de tous les risques. Il s’agit de la fameuse offre spontanée dont parlait le journal français ‘’Le Figaro’’. Il y a quelques semaines, nos confrères du journal ‘’L’info’’ avaient déjà donné les détails de cette proposition de Méridiam, pour se substituer à la SNCF dans l’exploitation du TER. ‘’Meridiam avait, en effet, proposé un contrat financièrement très avantageux pour le Sénégal qui, au lieu de mettre des sous dans l’exploitation du TER, en gagnerait.
D’abord, elle s’engageait à mettre à la disposition du Sénégal 135 milliards F CFA, en guise de droits d’entrée, mais aussi 30 milliards pour la recapitalisation de la Seter et 30 autres milliards de revenus concessifs, pour une proposition de concession de 25 ans, avec la possibilité pour l’État de réduire la durée’’, révélait le journal. Mieux, l’entreprise, qui a déjà gagné le marché du BRT, s’engageait aussi à financer la phase 3 du TER et à acheter des rames supplémentaires. Sans compter qu’elle accepte également de partager les surperformances.
Malgré cette offre alléchante, l’État a opté pour la continuité avec la SNCF qui, en revanche, est, comme le décrivait ‘’L’info’’, ‘’un véritable gouffre à milliards, ne voulant prendre aucun risque. ‘’C’est l’État qui finance tout, pour plus de 40 milliards par an. Elle se contente d’exploiter et de se faire payer ce service, autour de 12 milliards par an’’, relevaient nos confrères. Pire, l’actuel gestionnaire a eu à faire montre d’une ‘’arrogance’’ inqualifiable dans ce dossier, à travers notamment le choix des dirigeants de sa filiale.
Si l’on en croit les informations du ‘’Figaro’’, le patron de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, est allé jusqu’à limoger l’ancien président de la Seter, le Franco-Sénégalais Stéphane Volant, au motif qu’il s’est opposé au durcissement par la maison-mère des conditions dans le nouveau contrat qui était en préparation. En son temps, le ministre des Infrastructures et des Transports avait réagi pour contester la décision. ‘’Dans un courrier du 12 mai 2022 adressé à Jean-Pierre Farandou, le ministre sénégalais des Transports et des Infrastructures, Mansour Faye, contestait cette nomination, car, disait-il, elle enfreignait les articles 29, 30 et 31 des conditions générales’’, renseigne ‘’Le Figaro’’, qui signale que ce courrier a mal été perçu par la SNCF, qui a multiplié les actes de défiance. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette opposition a été sans effet.
Des heurts récurrents entre Mansour Faye, ministre de tutelle, et la SNCF
Volant viré, la SNCF a continué à dérouler. Il faut rappeler que ce n’était pas la première fois que l’entreprise française tienne tête au ministère des Transports et à ses services. Au mois de mars 2022 déjà, le journal ‘’Le Témoin’’ revenait sur un bras de fer entre la société et les hommes du ministre des Transports Mansour Faye. Il aura fallu plus deux mois après le début de l’exploitation, sans que le contrat de préexploitation devant lier les deux parties ne soit signé.
Une fois n’était pas coutume, la tutelle s’était attaché toutes les compétences requises pour négocier ferme. Un comité technique de négociations (CTN) composé des différents directeurs avait été mis en place… Au bout de trois mois de discussions acharnées, les choses bloquent toujours sur deux points essentiels à leurs yeux, mais dont ne veut pas entendre parler la Seter, particulièrement son président du conseil d’administration. À l’époque, c’était M. Volant, aujourd’hui présenté par ‘‘Le Figaro’’ comme un homme soucieux des intérêts du Sénégal. À l’époque déjà, mars 2022, il faut le souligner, Abdou Ndéné Sall était déjà présenté comme soutien de la SNCF, selon le journal ‘’le Témoin’’.
Revenant sur les points de blocage, le journal déclarait : ‘’Le premier point de blocage concerne l’exigence d’une garantie mère que doit apporter la SNCF à sa filiale et qui doit figurer dans le contrat en négociation. Quant au second, il a trait à un malus de 1,2 milliard de francs exigé à la Seter en cas de non atteinte des objectifs d’exploitation. Des exigences somme toute raisonnables, mais inacceptables pour le tout-puissant Stéphane Volant. Lequel bénéficie curieusement, dans son attitude de refus, du soutien du directeur général de la Senter, c’est-à-dire la société nationale de patrimoine censée contrôler la Seter ! Allez savoir pourquoi.’’
Des soupçons de complaisance entre Abdou Ndéné Sall et la SNCF
Aujourd’hui encore, M. Sall se montre prompt à monter au créneau pour défendre la SNCF. Cette fois, avec le porte-parole du gouvernement, qui lui aussi est monté au créneau pour porter la réplique aux détracteurs, défendre l’alliance avec la SNCF de toutes leurs forces. Revenant sur l’offre de Méridiam, le gouvernement réagit en ces termes : ‘’Entre la souveraineté sur la gestion et le choix de nos partenaires au bout de ces trois ans nécessaires à l’atteinte de l’équilibre et l’octroi à un autre postulant d’une concession sur 25 ans (ce que proposait Méridiam : NDLR), nous avons préféré la première option beaucoup plus avantageuse. L’autre alternative, la concession longue durée à laquelle l’auteur (‘Le Figaro’) fait référence, est celle qui avait été choisie lors des négociations autour de l’autoroute à péage Dakar - Diamniadio. Le président Macky Sall, arrivé par la suite à la tête de notre pays, avait dû imposer au concessionnaire une renégociation. Car ce dernier, au bout de quelques années d’exploitation, bénéficiait déjà d’un retour sur investissement.’’
Outre cet argument, le porte-parole du gouvernement met aussi en avant l’argument sécuritaire et l’expérience incontestable de la SNCF.
La prouesse de l’expertise sénégalaise qui a déjà prouvé qu’elle n’a plus besoin de la tutelle technique de la SNCF
Une chose est sûre. C’est que le terrain n’a jamais été aussi propice pour que l’État aille aux négociations en position de force. En plus d’être propriétaire de son TER et de toutes les infrastructures connexes, de la concurrence suscitée avec l’intervention de Méridiam, il a surtout cette chance de pouvoir compter sur une jeune expertise sénégalaise venue des différents coins du globe pour se mettre au service de la patrie. Notre interlocuteur de citer de jeunes ingénieurs comme Latyr Niang, Directeur de projet du TER à l’Apix, Mame Fall de Railway Systems and Rolling Stock Manager, Aby Koita, pour ne citer que ceux qui sont à l’Apix, souffle notre source. Qui ajoute : ‘’Ce sont de jeunes cadres sénégalais, extrêmement patriotes, qui sont venus de partout : notamment du Canada, de la Belgique, de la RSA et même de la France pour relever le défi. Aujourd’hui, l’assistance technique ne se justifie presque plus. C’est juste, il faut le dire, que les exigences que les autres peuvent avoir, nous pouvons difficilement les satisfaire à cause de la politique. Mais si on met les hommes qu’il faut à la place qu’il faut, je vous assure qu’on peut gérer le TER tous seuls. Maintenant, pour moi, rien ne presse non plus. Le choix de la continuité pour les trois ans à venir est logique.’’
Pour étayer son propos, notre interlocuteur insiste sur la nécessité d’aller au niveau des différents centres de maintenance pour voir la main-d’œuvre sur place. ‘’Ce sont des Sénégalais bon teint que vous trouverez dans ces centres. Il en est de même des conducteurs que vous voyez tous les jours. En vérité, les Français ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent et je crois que c’est le plus important. Nos techniciens ont fait du bon boulot jusque-là. Ils ont démontré que sans la France, on peut gérer le TER. Nous l’avons d’ailleurs fait pendant un an. Aujourd’hui, les Français n’ont plus le contrôle technique du TER. Ils ne sont que dans l’exploitation. À un moment, ils avaient mis la pression, pensant que si nous ne signons pas, le train n’allait pas rouler. Ces jeunes dont je vous parle leur ont démontré le contraire. Depuis, les négociations se mènent dans un plus grand respect’’.
À l’en croire, sur ce coup, la SNCF n’a rien imposé. Ils ont au contraire été obligés de se plier à nos exigences. ‘’Allez plutôt vous intéresser au pourquoi la presse française s’en mêle. Ils se battent juste pour notre fromage qu’ils n’ont pas réussi à disposer comme ils l’entendaient. Ils ont l’exploitation juste pour trois ans et le PCA sera sénégalais. Dans trois ans, le projet TER sera fini. Nous aurons au moins 100 km de TER reliant le triangle Dakar – Thiès - Mbour. L’État pourra alors prendre une option plus éclairée’’. Dans une interview publiée hier par Emedia, le directeur général de la Senter se réjouissait d’ailleurs du fait que sur les 1 000 employés du TER, les 984 sont des Sénégalais.
Malgré ces assurances, d’autres sources soutiennent mordicus que l’État a été berné. Que l’offre de Méridiam était bien plus avantageuse pour un projet comme le TER, d’autant plus que nous avons les compétences sur place. ‘’Même le ministère des Transports n’était pas trop d’accord avec cette option. On a dû leur tordre le bras’’. À la question de savoir en quoi ce contrat serait défavorable pour l’État, il informe : ‘’C’est surtout au niveau des charges et surtout du traitement des dirigeants. Je pense que l’État aurait pu être plus ferme sur cette question.’’
Par ailleurs, il faut rappeler qu’à l’origine, c’est le Fonsis qui était pressenti pour porter les 34 % de l’État dans le capital. Là également, le Fonds souverain a été évincé à la dernière minute. À la place, il y aura la Senter qui va porter les actions, même si le porte-parole du gouvernement parle du secteur privé national qui ne semble nullement intéressé.
MOR AMAR