L’Afrique est bien moins mal lotie qu’elle n’y paraît
Au Salon international de l’agriculture de Paris, la résilience du continent noir face aux chocs mondiaux a été discutée, lundi, dans le cadre d’une conférence sur le thème ‘’L'Afrique nourrit les Africains’’.
L’Afrique se voit-elle plus laide qu’elle ne l’est ? La question est permise, tenant compte de certaines interventions faites, lundi, au Salon international de l’agriculture de Paris. Une conférence sur le thème ‘’L'Afrique nourrit les Africains’’, à l’heure où les crises internationales mettent en lumière des dépendances du continent aux importations a été le cadre d’intéressantes discussions autour des possibilités et options pour l’Afrique d’assurer sa souveraineté alimentaire face aux chocs exogènes qui l’affectent.
Au-delà des discours officiels, les experts ont peint un tableau pas aussi dégradant que l’impression générale donne de la dépendance du continent vis-à-vis de l’extérieur pour s’alimenter.
Le cadre était déjà posé par le directeur général de l’Agence française de développement (AFD). Malgré les crises successives occasionnées par la pandémie de Covid-19 et la guerre entre la Russie et l’Ukraine, Rémy Rioux a affirmé, lors de son intervention, que ‘’l’Afrique a montré beaucoup de résilience dans les crises multiformes qui touchent le monde. La preuve, la catastrophe annoncée sur le continent n’a pas eu lieu, malgré quelques alertes sur la malnutrition. Il y a des forces sur lesquelles les politiques publiques agricoles peuvent s’appuyer’’.
L’Afrique subsaharienne ne dépend pas du blé pour se nourrir
Si les milliers de morts annoncés en raison de la pandémie n’ont pas eu lieu, les famines non plus n’ont pas été alarmantes. L’illustration a été faite par Nicolas Bricas, socio-économiste au Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Il affirme : ‘’C’est vrai que l’Afrique du Nord est très dépendante des importations de céréales. Mais c’est complètement faux pour l’Afrique subsaharienne qui, à part l’exception de la Zambie, de la Mauritanie et un petit peu du Sénégal pour les zones urbaines, ne dépend pas du blé pour se nourrir.’’
L’expert continue dans sa logique en expliquant que lorsqu’on refait le calcul en regardant ce que chaque pays produit et importe, et que l’on ramène cela en calories, ‘’sur la moyenne 2018-2020, c’est plus de 80 % des calories consommées en Afrique qui sont produites sur le continent. Les 20 % d’importation alimentaire que cela implique sont du même niveau que celles faites par un pays comme la France’’.
Non sans préciser qu’à l’intérieur du continent, subsiste une très grande diversité. Les pays du Nord dépendent du blé ; ceux d’Afrique de l’Ouest dépendent du riz qui n’a pas été vraiment touché par la hausse des cours mondiaux ; les pays d’Afrique australe dépendent du maïs et en importent assez peu et la partie est du Sahel, qui dépend du mil et du sorgho, donc de la pluviométrie.
Le niveau de dépendance alimentaire de l’Afrique est au même niveau que celui de la France
La conférence organisée par l’AFD, la CEDEAO, le Cirad, le Réseau des organisations paysannes et producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (Roppa) a vu la participation du ministre de l’Agriculture, de l’Équipement rural et de la Souveraineté alimentaire du Sénégal. Aly Ngouille Ndiaye a soutenu, dans son intervention, qu’avec 1/3 des 828 millions de personnes souffrant de la faim dans le monde, l’Afrique est un continent de paradoxes, car disposant d’environ 65 % des terres arables non cultivées restantes dans le monde et un réseau hydrographique très dense.
Face à ce constat, ‘’notre vulnérabilité au divers chocs par rapport à nos potentialités qui s’est davantage mise en exergue par la hausse des prix des denrées alimentaires et les perturbations de l’approvisionnement alimentaire mondial dues au Covid-19, aux changements climatiques et aux conflits tels que la guerre en Ukraine, aggrave l’insécurité alimentaire en Afrique’’.
Le Sénégal sur la bonne voie ?
En janvier dernier, le Sénégal a annoncé l’élaboration d’une stratégie nationale de souveraineté alimentaire sur la période 2024-2029. Ce programme prévoit de développer le potentiel de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche, afin de favoriser la croissance économique du pays à l’horizon 2035.
Selon le Premier ministre, la stratégie devra être en adéquation avec les objectifs de la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale. Cette loi consiste ‘’à réduire l’impact des risques climatiques, économiques, environnementaux et sanitaires par la maîtrise de l’eau, la diversification des productions, la formation des ruraux dans le but d’améliorer la sécurité alimentaire des populations et de réaliser, à terme, la souveraineté alimentaire du pays’’, précisait Amadou Ba lors du Conseil interministériel sur la souveraineté alimentaire afin d’élaborer une feuille de route pour la stratégie.
En outre, la stratégie devrait permettre de diversifier la production agricole et de développer les filières d’exportation correspondant à la demande internationale.
Le Sénégal se met-il ainsi sur la bonne voie ? Pour le Pr. Nicolas Bricas, c’est cette diversification de la production nationale qui mène à la résilience alimentaire. ‘’Plus les pays ont une production diversifiée, plus ils sont résilients. Et c’est la tendance générale d’évolution de la production alimentaire mondiale’’, assure l’expert du Cirad.
Le marché alimentaire intérieur bien plus dynamique que l’extérieur
Il n’y a pas besoin d’aller loin pour trouver un exemple pour le Sénégal. Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, avec quelque 216 millions d'habitants, selon l'ONU (2022), est pourtant l’un des moins dépendants pour son alimentation. ‘’La raison est qu’elle a beaucoup diversifié sa production de sorte que le pays produit pratiquement tout ce dont il a besoin’’, renseigne le Pr. Bricas.
Avec 1,4 milliard de consommateurs (2022), l’Afrique dispose d’un marché conséquent pour le développement de son économie. Aussi, remarque le Pr. Bricas, ‘’quand on compare la valeur économique des produits alimentaires qui sont vendus sur le marché intérieur avec celle des produits agricoles exportés sur le marché international (café, cacao, etc.), la valeur économique des produits intérieurs est incommensurablement plus élevée. Un seul pays fait exception (la Côte d’Ivoire), en raison de sa position de leader dans l’exportation du cacao. Cela veut dire que toute la dynamique agricole est tirée par le marché intérieur. Cela montre que la diversité alimentaire a permis l’accroissement des revenus des agriculteurs’’.
Lamine Diouf