Le business prend le dessus sur la protection
Le port du masque est obligatoire, depuis ce 19 avril 2020, dans les services de l’Administration publique et privée, les marchés, les moyens de transport, etc. Un tour dans ces lieux, à la Médina et à la Gueule-Tapée, deux quartiers principalement touchés par la transmission communautaire de la Covid-19, a permis de voir plus clair dans l’appropriation de la population de cette décision. Ainsi, à première vue, l’on pourrait croire que le port du masque est respecté à la règle dans ces deux quartiers. Mais, en réalité, le business du produit prend le dessus sur la protection.
REPORTAGE
Gros sac noir au dos, plusieurs masques entre les mains, ce jeune marchand ambulant, tout de noir vêtu, fait la navette entre les nombreuses banques et autres grands lieux de commerce situés aux alentours du carrefour ‘’Poste Médine’’. Il crie : ‘’Aywa masque, aywa masque !’’ Il s’appelle Amadou Diop et s’est investi, depuis quelques jours, dans la vente de masques de fabrication locale. Très sollicité, on l’interpelle de partout. Contrairement à ses camarades marchands ambulants assis tranquillement dans le hall de l’agence Sonatel d’à côté, en attendant désespérément d’éventuels clients, Amadou, lui, n’a pas le temps de s’asseoir, ni de se reposer. Les clients fusent de tous les côtés du carrefour. Sa marchandise est en vogue. Elle marche très bien. Ayant le sens des affaires, le jeune Diop n’a pas choisi fortuitement ce carrefour pour son nouveau business.
En effet, les vigiles des différentes institutions financières contigües au carrefour renvoient les clients qui viennent sans masque de protection. Ainsi, ce marchand ambulant fait la navette entre ces institutions, pour épuiser sa marchandise. Très sollicité, M. Diop n’a pas le temps pour bavarder. Il décline ainsi notre interpellation et donne uniquement son nom. Son objectif actuel est de profiter au maximum de la situation pour se faire de l’argent.
Comme lui, Babacar Ndiaye, marchand ambulant, s’est aussi lancé dans le business des masques. Avant la survenue de la pandémie, il vendait essentiellement des accessoires de téléphone portable, comme la plupart de ses camarades. Les clients devenant rares à cause de la crise sanitaire, Babacar a décidé d’enrichir sa palette de marchandises, en y ajoutant des masques de protection de tout genre. ‘’Je vends à 600 F les masques provenant des pharmacies et à 400 F ceux confectionnés par les tailleurs locaux. Ça marche très bien. C’est pourquoi je me suis lancé, depuis trois jours, dans ce business, puisque pour les autres marchandises, je ne trouve presque plus de preneurs. Les gens sont obligés d’utiliser les masques pour se protéger et pour fréquenter certains lieux comme les banques. J’avais remarqué que les vigiles d’à côté renvoyaient beaucoup de clients qui ne portent pas de masque. C’est pourquoi je me suis lancé dans la vente’’, explique-t-il.
Pour la marchandise, Babacar s’approvisionne auprès des pharmacies et des tailleurs. Il achète ainsi dans les officines de pharmacie des masques médicaux à 500 F l’unité pour les revendre à 600 F pièce. Les autres sont fournis par des tailleurs locaux et coûtent 400 F.
Pour ces marchands, l’arrêté du ministre de l’Intérieur qui a rendu obligatoire le port du masque est très salutaire. C’est aussi l’avis de la plupart des personnes interpelées.
En effet, avec leur lot de cas communautaires, la plupart des habitants de la Médina et de la Gueule-Tapée prennent, de plus en plus au sérieux la situation. Beaucoup pensent aussi que mieux vaut respecter le port du masque pour freiner la propagation de la maladie avant que le confinement ne soit obligé. ‘’L’obligation du port de masque est une très bonne mesure qui permet aux gens de se protéger des cas communautaires. C’est mieux que le confinement total qui sera très difficile pour nous qui vivons au jour le jour. Les clients sont devenus très rares, maintenant. Mais on est obligé de venir travailler pour la dépense quotidienne’’, explique Ibrahima Ndiaye, chef de famille. Il habite aux Parcelles-Assainies et quitte chaque jour son domicile pour passer la journée à la Médina’’. Il y vend des téléphones portables et des puces d’abonnement. Pour lui, il faut tout faire pour éviter le confinement qui serait une catastrophe pour les populations démunies.
Une mesure prise plus pour la mode que pour la protection
En parcourant les rues de la Médina et de la Gueule-Tapée, l’on pourrait dire que l’arrêté du ministre Aly Ngouille Ndiaye rendant obligatoire le port du masque est respecté à la règle. Presque tout le monde a son masque. On en voit de toutes les couleurs et de tous les modèles. Les prix aussi semblent accessibles à toutes les bourses.
Cependant, il est une chose d’avoir son masque et une autre de le porter correctement ou convenablement. En effet, en prêtant attention au comportement de la plupart des porteurs de masque rencontrés dans les rues de ces quartiers cités, on se rend facilement compte que le port du masque est plus pris pour un effet de mode ou une manière de se conformer aux directives des autorités, de faire ses courses sans être inquiété, voire d’échapper au contrôle policier que de se protéger de la Covid-19.
A la porte de la Banque de l’habitat du Sénégal (BHS) en face de la RTS, l’on voit de nombreux clients en train de porter leur masque au seuil de la porte pour entrer dans l’office et l’enlever aussitôt après à la sortie. C’est le même constat au niveau des institutions contigües au carrefour ‘’Poste Médina’’. Que ce soit les marchands ambulants, les clients et même les passants, presque chacun a son masque, mais très peu le portent convenablement. Certains, au lieu de protéger le nez et la bouche, accroche cet outil de protection autour du cou. Il y a aussi ceux qui le range dans leur poche et le sortent aussitôt qu’on les interpelle sur la mesure. Sans compter ceux qui, pour parler à une personne, l’enlève tout simplement.
Assis devant une table remplie de téléphones portables et d’autres accessoires, Ibrahima Ndiaye s’active à débarrasser la poussière de sa marchandise, tout en discutant avec ses deux camarades. Tous les trois ont des masques avec eux, mais personne ne se protège convenablement. ‘’C’est à cause de la chaleur que j’ai enlevé mon masque. Il m’empêche de respirer correctement. Je l’enlève de temps à temps pour souffler. En réalité, le port du masque me gêne beaucoup’’, fait savoir Ibrahima.
Taille élancée, forme généreuse, assise juste à côté de son ami Babacar, le vendeur de masques qu’elle est venue rendre visite, Ndèye Konaré est aussi du lot de ceux qui préfèrent garder leur masque de protection dans la poche. C’est, dit-elle, pour pouvoir respirer à l’aise. ‘’Je souffre de la sinusite. C’est pourquoi je ne supporte pas le port du masque. Il m’empêche de respirer correctement. Je le mets de temps en temps, quand je marche dans la rue ou au marché. Sinon, je préfère l’enlever‘’, ajoute-t-elle toute insouciante. Pourtant, elle dit habiter à la Médina et a des voisins mis en quarantaine.
L’Impossible distanciation sociale
Outre le port du masque, la prévention par la distanciation sociale aussi souffre d’application dans ces deux quartiers. Ce groupe de jeunes assis côte-à-côte sur un banc public discute et rigole en se tapotant. Des marchands ambulants ils sont. N’ayant pas vu l’ombre d’un client pour leur marchandise, ils discutent pour, disent-ils, évacuer le stress du marché. Interpelés sur la nécessité de respecter la distanciation sociale pour se protéger de la Covid-19, ils donnent leurs excuses. ‘’Il n’y a pas assez de places assises pour se reposer. C’est pourquoi les gens continuent de s’entasser sur ces quelques bancs pour juste se reposer quelques minutes avant de reprendre le boulot. En plus, les clients sont devenus très rares. Ce qui fait qu’au lieu de passer inutilement tout son temps à arpenter les rues à la recherche hypothétique de clients, on préfère échanger pour diminuer le stress et la pression’’, se défendent-ils.
Le non-respect de la distanciation sociale est plus frappant dans les lieux de commerce. Au marché Tilène de la Médina, l’affluence est importante et l’ambiance très aminée. Il est midi passé. Le coin réservé à la charcuterie est bondé de monde. Les allées entre les différentes cantines embouteillées de femmes. On se bouscule et se frotte pour y entrer ou sortir. La plupart des dames portent des masques de protection. Mais, bizarrement, beaucoup l’enlèvent en s'adressant aux vendeurs pour, peut-être, mieux se faire attendre, vu ce brouhaha assourdissant. L’on a l’impression que ces Sénégalais s’habituent difficilement à cette nouvelle mesure.
‘’Le port du masque me gêne. Je n’arrive pas à respirer correctement avec. En plus, il fait très chaud et quand on parle, on a l’impression que la voix est inaudible. C’est trop difficile, mais il y a les forces de sécurité à l’entrée du marché. On est donc obligé de porter nos masques. Heureusement, la police s’arrête à l’entrée. On peut donc enlever nos masques en faisant les courses pour souffler un peu’’, explique cette dame en train de se faufiler, toute insouciante, dans les embouteillages de ce coin appelé ‘’Rokkuu Yapp’’, pour sortir.
ABBA BA