D’anciennes victimes majeures se livrent
Combien sont-elles dans les maisons, les entreprises, à vivre avec le poids d'un viol, sans avoir la possibilité de dénoncer leurs présumés violeurs à la police ? Elles, ce sont les filles qui ont eu subir ce supplice à l’état d’adolescence ou de mineure et qui en portent toujours les séquelles. D’anciennes victimes de viol et qui mènent diverses activités, ont décidé de briser le silence en se livrant à EnQuête, avec des confidences qui donnent des frissons.
Même si la presse nationale, à travers l’exploitation des procès-verbaux de police et ou de gendarmerie, ne cesse d’alimenter ses pages d'histoires de viols, souvent atroces, voire insoutenables, il y a dans l'ombre une foultitude de jeunes filles contraintes de subir une certaine omerta (cette loi du silence propre à la société sénégalaise qui veut que le sujet soit tabou dans les famille ou fasse l'objet d'arrangement). Car, leurs prédateurs sexuels sont souvent nichés au cœur des familles.
Le fait est que les cas de viols ne cessent de piluler dans notre société pourtant fortement ancrée dans la religion. Les bourreaux parviennent souvent à passer entre les mailles de la justice, laissant derrière eux des vies détruites et des cicatrices qui peut-être ne parviendront jamais à se cicatriser. Entre l’envie de ne jamais se marier, à cause du dégoût causé par leurs bourreaux, le vœu de les voir derrière les barreaux et le besoin de savoir pourquoi elles ont été violées, d'anciennes victimes mineures devenues aujourd’hui majeures ruminent en silence leurs tourments. Elles ne savent plus à quel saint se vouer. Et pourtant, elles ont accepté de se confier à EnQuête.
''Je n'oublierai jamais''
Ami* est aujourd’hui étudiante en licence de Marketing, dans un établissement scolaire de la place. Elle a vu sa vie basculer, il y a de cela plus d’une quinzaine d’années, quand son demi-frère l’a violée. ''J’étais à l’école élémentaire, raconte-t-elle quand un jour, alors que la maison était vide, mon frère avec qui nous partageons le même père, m’a attirée dans sa chambre et a abusé de moi''. Sa taille fine et sa démarche digne d’un mannequin lui donnent un air fragile. Le temps de ressasser ses souvenirs, de reprendre son souffle, elle poursuit : ''A chaque fois, que je commence à parler de cette histoire, je ressens à nouveau des douleurs qui sont pour moi comme des coups de couteau pointu au cœur. Même mes amis ne sont pas au courant de cette histoire qui hante mon sommeil depuis plusieurs années. Jamais de ma vie je n’oublierai ce jour-là’’, martèle Ami dont les lunettes donnent un air d'intello.
''J’en parle, pour mieux vivre avec''
Originaire de la basse Casamance Aby* a vu sa vie basculer dans l'horreur, il y a de cela 20 ans. Elle avait quitté sa Casamance natale, le temps des vacances chez une tante. ‘’C’est comme si c’était hier. Je me rappelle tous les détails. Il faisait 17h, quand un jeune habitué de la maison s’est brusquement présenté devant moi, dans la chambre où j'étais en train de m’habiller. Il m'a demandé de l’embrasser. Ce que j’ai refusé. Plus fort que moi, il a usé de toute sa force pour ôter ma serviette, et me violer''. Contrairement à Ami, Aby parvient à mieux gérer la douleur causée par cette agression sexuelle. C'est parce que, dit-elle, elle n'hésite pas à partager son histoire avec des personnes de confiance. ''Je n’ai aucune gêne pour en parler. J’ai constaté qu’à chaque fois que j’en parle, je ressens quelque chose au cœur, comme si une partie de ma souffrance s’envolait. C’est la raison pour laquelle, à chaque fois que j’ai le temps et l’occasion de partager cette pénible expérience avec une personne en qui j’ai confiance, je le fais''. Toutefois, Aby avoue avoir longtemps gardé le silence sur son traumatisme, en dehors des quelques membres de sa famille qui étaient au courant. Aujourd’hui Aby a 35 ans.
Violée par son oncle
Soukeyna* est elle élève en classe de Terminale. Elle a été violée à bas âge, par son oncle, il y a de cela plus de 10 ans. ''A chaque fois que j’entends quelqu’un dire du bien de mon oncle, je me rappelle mon histoire qui est comme une pilule amère à avaler. Cet oncle qui m’a vu naître, comment il a pu me faire une telle chose, alors qu’il est le frère germain de ma mère ?''. A peine a-t-elle entamé son récit qu'elle se laisse étreindre par l'émotion. Elle soupire et se met à crier, au point de commencer à inquiéter les autres clients de ce restaurant, lieu du rendez-vous. ''Excusez moi'', finit-elle par dire. Après avoir repris ses esprits, elle poursuit : ''Il faut me comprendre, c’est très dur pour moi de revenir sur cette histoire. Elle a été tellement dure. En abusant de moi, mon oncle m’a certes fait mal, mais le fait qu'il soit une personne qui m’est très proche, me fait enrager. Ce jour-là, après avoir enduré ses assauts pendant des heures, j’ai eu des douleurs qui ont duré longtemps. Je pensais que j’allais mourir’’, raconte-t-elle, le visage fermé et le regard noir.
Quand la famille protège les violeurs
Autant, ces trois victimes ont été abusées dans leur plus tendre enfance, leurs bourreaux n'ont jamais été inquiétés. Ils ont continué à vaquer tranquillement à leurs occupations, comme si de rien n'était. Pour ces trois cas, il n’était pas question pour les familles respectives de s'en ouvrir à la police, dans l'unique dessein de leur éviter un long séjour à l’hôtel zéro étoile. C’était et ça continue d'être : motus et bouche cousue.
Ami* a vu son père refuser catégoriquement de croire un seul instant à son histoire. ''Lorsque j’ai été violée par mon demi-frère, je m'en suis ouvert à ma mère, après quelques jours de silence et de douleurs. Elle est allée à son tour en parler à mon père qui n’a pas cru à un seul mot de cette histoire. ''Que cette fausse histoire de viol montée de toutes pièces s’arrête là. Comment ton frère peut-il faire une telle chose ? Vous voulez faire voler en éclats ma famille, mais vous êtes trop petite pour y arriver. Voilà ce que mon père avait dit.'' Malgré la position de son père, elle avait pris la décision, avec sa mère, de porter l’affaire devant la justice, mais de bonnes volontés avaient réussi à convaincre sa maman de ne rien faire. ''Si c’était aujourd’hui, je ne vois pas une personne sur terre qui pourrait m’en dissuader. Si je rencontrais quelqu’un dans la même situation que celle que j'ai vécue, avec ou sans l’aval de ses parents, j’amènerais l’affaire au commissariat le plus proche. Quitte à ce que je perde tout ce que j’ai. Ces genres de personnes sont des dangers ambulants pour la société'', fulmine Ami*. Qui confie : ''Je veux bien me marier, mais au fond, j’ai peur des hommes, comme si tous étaient atroces. Beaucoup de personnes, qui ont eu vent de mon histoire, m’ont conseillée d’aller voir les services d’un psychologue, pour avoir une opinion moins tranchée sur les hommes.''
Contrainte de côtoyer son bourreau
En ce qui concerne Aby, non seulement sa famille n'a pas réagi, mais son agresseur a continué à fréquenter la maison, comme si rien ne s'était passé. ''Après mon viol, j’en ai parlé avec la personne qui m'hébergeait. Elle m’a dit qu’on allait me soigner, à cause des douleurs que je ressentais et que tout serait rangé aux oubliettes. Sans que je sache le motif de cette décision. C’est quelques années plus tard que j’ai su, par le biais d'un membre de la famille, qu’on avait agi de la sorte pour lui éviter un séjour carcéral.'' Après un long silence, Aby confesse : ''Aujourd’hui, je me rends compte qu’à cause de ce viol, je ne veux même plus être à côté d’un homme. A chaque fois qu’un mec me fait des avances, je revois le film de mon viol. La question que je me pose est : Jusqu’à quand va durer cette situation ?’’
''Tôt au tard, je serai obligée de fonder une famille, mais...''
Soukeyna, elle, n’a pas revu son bourreau. Il a quitté le pays, après son forfait. ''Après son acte, un membre de ma famille dont je tairai le nom a pris toutes ses économies pour aider mon oncle à quitter le Sénégal. Lorsqu'il appelle, il demande à me parler mais je refuse. Il envoie des émissaires pour me dire des messages du genre : ''Je ne sais pas pourquoi j’ai agi de la sorte. C’était l’œuvre de Satan''. Je ne lui pardonnerai jamais ce qu’il m’a fait et je me vengerai un jour'', jure-t-elle. À la question de savoir comment elle compte s'y prendre, elle répond : ''Je sais que je ne peux plus l’amener en justice. Mais, je ne vous dirai pas non plus, ce que je compte faire. Ce n’est pas que je sois rancunière, mais il m’a fait trop de mal. Je parviens à avoir des copains, mais à chaque fois qu’ils me parlent de rapports sexuels, je me sépare d'eux''. Elle se trouve confrontée à la problématique de fonder un foyer. ''Je sais que tôt au tard, je serai obligée de fonder une famille. Mais, il me faudra un homme très patient, qui prendra le temps de me connaître, sinon notre union ne durera que le temps d’une rose'', confie Soukeyna.
*Noms d'emprunts