Publié le 28 Feb 2013 - 14:21
CPI

Gbagbo face à son destin

 

D'un côté, une accusation qui réclame l'ouverture d'un procès devant la CPI. De l'autre, une défense qui fait tout pour l'éviter à son client. En position d'arbitres, les juges de La Haye. Et au centre du ring, l'ancien président ivoirien, qui s'est préparé tel un athlète de haut niveau...

 

C'est un match de boxe en dix reprises qui s'est ouvert le 19 février à La Haye (Pays-Bas). Dix rounds pour dix jours d'audience, durant lesquels le bureau du procureur tente de démontrer la solidité de ses accusations, et la défense de les démonter. Les juges de la Cour pénale internationale (CPI), dans le rôle d'arbitre, devront se prononcer dans les deux prochains mois sur l'ouverture ou non d'un procès contre Laurent Gbagbo, soupçonné d'être coauteur de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.

 

Ce dernier n'était plus apparu en public depuis le 5 décembre 2011, et des rumeurs couraient sur son état de santé. On se demandait même s'il pourrait participer aux débats. On a désormais la réponse : l'ancien dirigeant ivoirien, qui bénéficie d'horaires aménagés, y participe pleinement.

 

Quatorze mois après son transfert à la prison de Scheveningen, dans la banlieue de La Haye, il a repris du poids et retrouvé sa bonhomie. Arborant un costume bleu nuit sur une chemise azur et une cravate sobre, il ne manque jamais, à chacune des audiences, de saluer la presse et ses partisans installés dans les galeries de la cour. Son relooking a été savamment pensé.

 

Ses lunettes rondes ne sont pas sans rappeler celles du Mahatma Gandhi, apôtre de la non-violence et combattant de l'indépendance de l'Inde. On s'est efforcé de gommer l'image qu'il a dans les pays du Nord, celle d'un despote africain, pour lui donner l'allure d'un commentateur de télévision occidental. Le but est de créer une sorte de connivence avec la presse.

 

 

 

La défense a aussi cherché à occuper le terrain lors des deux premiers jours d'audience, quand toutes les caméras étaient braquées sur l'événement. Elle a tenté de déplacer le champ de bataille en déposant une requête en irrecevabilité. Selon elle, Gbagbo doit être jugé en Côte d'Ivoire, où il est déjà poursuivi pour crimes économiques. Et les poursuites qui le visent ne doivent pas être dissociées de celles qui ciblent Simone Gbagbo, son épouse, Charles Blé Goudé, l'ancien leader des Jeunes patriotes, ainsi que plusieurs autres anciens ministres et responsables militaires, dont certains doivent répondre de génocide et de crimes de sang.

 

Pour l'accusation, les requêtes déposées ces derniers mois sont des manoeuvres dilatoires destinées à amuser la galerie. En fait, les avocats de Gbagbo jouent la montre depuis le début pour bien se préparer. « Le procureur dispose de toutes les pièces de l'échiquier, avec son armada de juristes et de gros moyens financiers, explique un proche de l'ancien président. La défense n'a qu'un roi, deux pions et un fou. Comme Napoléon à Austerlitz, elle doit jouer sur le temps, la mobilité, ouvrir des brèches pour attirer l'adversaire, frapper là où il ne l'attend pas. »

 

Gbagbo approuve sans réserve, lui qui pendant la longue crise ivoirienne avait toujours un coup d'avance sur ses adversaires.

 

Dramaturgie

 

Dans cette guerre asymétrique, la défense déploie aussi une stratégie globale, qui porte sur les questions politiques, juridiques et médiatiques. Le chef d'orchestre de ce plan, l'avocat français Emmanuel Altit, dirige une petite équipe très soudée et bénéficie de nombreux relais chez les amis de Gbagbo pour faire du lobbying et préparer son enquête contradictoire. Pour le moment, cette équipe se place sur le terrain politique, avec un art consommé de la dramaturgie.

 

Coups de théâtre, distillation au compte-gouttes des informations, démolition systématique du travail de l'accusation... La défense n'entend pas se faire imposer le tempo et protège son jeu. Elle ne dévoilera ses cartes - son dossier contradictoire - que si elle va au procès.

 

Chaque membre de l'équipe a une fonction bien précise. Dov Jacobs, professeur à l'université de Leyde (Pays-Bas), donne la réplique à Eric Mc Donald, le substitut du procureur. Il a réussi à le faire sortir de ses gonds, dès le premier jour, lors de son exposé sur l'irrecevabilité. Marie-Agathe Baroan, une avocate ivoirienne, oppose sa vision de défenseuse des droits de l'homme à Paolina Massidda, la représentante des victimes à la CPI. L'avocate française Nathalie Fauveau Ivanovic, elle, exploite la moindre faille dans la procédure.

 

Quant à Me Altit, il mène personnellement la charge contre Fatou Bensouda, la procureure de la CPI. Dans son propos liminaire, il a comparé le dossier d'accusation de cette dernière à « une revue de presse alimentée par les autorités ivoiriennes, les ex-rebelles et la presse pro-Ouattara ». Selon lui, les arguments du bureau de la procureure ont forgé une « réalité légitimant la prise de pouvoir de Ouattara ». Et de dénoncer l'utilisation, par ledit bureau, d'une vidéo de massacres tournée en réalité au... Kenya.

 

Une accusation grave que Bensouda tient à relativiser : « Oui, nous avons entendu un témoin qui nous a remis cette vidéo par mégarde. Mais on ne va pas l'utiliser et nous l'avons d'ailleurs transmise à la défense, qui en fait une utilisation malhonnête. » Cette affaire est aussi celle de Paris, a enfin rappelé Me Altit, notant que l'armée française est intervenue une quarantaine de fois en Afrique lors des cinquante dernières années. Son message est clair : les dommages collatéraux toucheraient de plein fouet l'ancienne puissance coloniale si un procès devait être organisé. Altit souhaite à tout prix éviter celui-ci à son client. Il est même allé le dire personnellement, en début d'année, à un proche d'Alassane Ouattara et de François Hollande.

 

« Il est venu négocier et nous amadouer, prétendant que Gbagbo n'était pas le véritable coupable, qu'il était prisonnier de son entourage, notamment de sa femme et des sécurocrates du régime, explique l'intermédiaire français. Il nous a aussi expliqué qu'il était parvenu à instiller le doute dans l'esprit des juges de la CPI en le faisant passer du statut de bourreau à victime, et que la défense serait intraitable en cas de procès. »

 

 

 

L'information est remontée au chef de l'État ivoirien, qui ne s'en est pas ému outre mesure. Mais la défense ne désespère pas. Elle estime que le bilan de Ouattara en matière de droits de l'homme et de réconciliation ne joue pas en faveur de l'actuel président, et que la divulgation, le 26 février, du rapport d'Amnesty International sur les exactions des forces armées ivoiriennes le discréditera un peu plus auprès de la communauté internationale.

 

Dignité

 

La défense cherche aussi à diluer les actes de Gbagbo dans une responsabilité plus collective et historique. De manière inattendue, Paolina Massidda a apporté de l'eau à son moulin en soulignant le rôle néfaste des idéologues du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI, parti d'Henri Konan Bédié). « Pour comprendre la tentative de coup d'État de septembre 2002, il faut remonter au décès d'Houphouët-Boigny, en décembre 1993, et à la querelle de succession entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara », a-t-elle expliqué. Gbagbo, qui ne s'exprimera qu'à la clôture des débats, a approuvé. Tel un acteur, il utilise le body language - un geste, un sourire, une moue dubitative... - en guise de commentaire.

 

Cette audience, c'est un retour à la vie, à sa dignité de chef d'État. Ses défenseurs lui donnent du « président Gbagbo » et parlent simplement de « son rival Alassane Ouattara ». Sa comparution le replonge inéluctablement dans son combat politique et ses dix années de pouvoir. Durant les débats, l'enfant de Mama se montre très impliqué et envoie régulièrement des petites notes à ses avocats. « Gbagbo est son premier défenseur », explique le Français Bernard Houdin, son ancien conseiller à la présidence. Dans son allocution finale, dont la teneur est gardée secrète, il entrera directement en scène et fera sans nul doute étalage de ses talents d'orateur. « Ce sera un historien dans le prétoire, confie l'un de ses fidèles. Comme après la signature des accords de Kléber-Marcoussis ou au début de la crise électorale, il considère que c'est jouable. Il va jouer sa partition à fond et dénoncer le complot ourdi par la France. »

 

Son objectif sera d'attendrir les juges et de séduire l'opinion internationale. Il est en tout cas prêt et serein. Dans son for intérieur, il estime être tombé dans un piège tendu par Nicolas Sarkozy. « Nous irons jusqu'au bout, c'est un procès politique devant l'Histoire, a-t-il confié récemment à son ami Guy Labertit, ancien délégué Afrique du Parti socialiste français. J'ai lu tous les documents du bureau de la procureure. Tout ce qu'on me reproche, c'est des actes commis en tant que chef d'État et chef des armées, mais aucun ne m'est personnellement reproché. »

 

Les juges seront-ils sensibles à ces arguments ? « Les deux parties ont sans doute toutes les deux raison, explique l'un des conseillers juridiques des magistrats. Gbagbo porte certainement une responsabilité, mais il n'est pas le seul protagoniste de la crise ivoirienne. »

 

 

 

 

JeuneAfrique

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