Publié le 30 Apr 2025 - 13:49
BENIN

Le nouvel épicentre du terrorisme sahélien

 

Une attaque djihadiste d’une ampleur inédite a frappé le nord du Bénin, le 17 avril dernier, causant la mort de 54 militaires. Revendiquée par le GSIM affilié à Al-Qaïda, cette offensive confirme l’enracinement du terrorisme au sud du Sahel.

 

Le Bénin est entré dans une nouvelle ère. Celle du sang et de la peur. Le jeudi 17 avril 2025, deux positions militaires de l’opération "Mirador" situées dans le parc W, au niveau des chutes de Koudou et du "triple point" — jonction frontalière entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger — ont été attaquées par des djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Le bilan est sans précédent : 54 soldats tués. Il s’agit de la plus meurtrière des attaques jamais subies par l’armée béninoise.

Le gouvernement a attendu jusqu’au mercredi 23 avril pour officialiser ce lourd tribut, soulignant la difficulté d’intervenir et de communiquer dans une zone de plus en plus instable. Cette attaque, revendiquée par un groupe affilié à Al-Qaïda, intervient dans un contexte de recrudescence des violences dans le nord du pays frontalier du Sahel en proie à des insurrections islamistes.

Une spirale de violence

Depuis 2021, les incursions terroristes dans le nord du Bénin sont devenues régulières. En juin 2024, sept soldats avaient déjà été tués dans une embuscade au parc de la Pendjari. En décembre, trois militaires ont péri et en janvier 2025, une autre attaque dans la même zone du "triple point" avait déjà causé la mort de 28 soldats.

Ces attaques sont généralement attribuées à des groupes djihadistes venus du Burkina Faso ou du Niger, deux pays dont les autorités peinent à contenir l’avancée des mouvements armés. "La menace s’intensifie", confie une source diplomatique à l’AFP. "Plus la situation au Niger et au Burkina Faso se dégrade, plus c’est dur pour le Bénin".

Une armée sous pression

Pour faire face, le Bénin a engagé, depuis janvier 2022, l’opération "Mirador", mobilisant d’abord 3 000 hommes, puis recrutant 5 000 soldats supplémentaires. La présence militaire dans le nord du pays dépasse aujourd’hui les 8 000 hommes, selon les autorités.

Malgré ces efforts, les défis restent immenses. L’armée béninoise, "toujours en construction", selon un diplomate ouest-africain, est confrontée à une guerre asymétrique pour laquelle elle n’a ni l’expérience ni les moyens logistiques nécessaires.

Pour combler ce déficit capacitaire, le Bénin s’appuie sur l’aide internationale. Fin novembre, l’ambassade des États-Unis a remis douze véhicules blindés, 280 plaques balistiques et 35 radios tactiques à l’armée béninoise, pour un montant de 6,6 millions de dollars. L’Union européenne a, quant à elle, annoncé le déblocage de 47 millions d’euros destinés à financer du matériel militaire et logistique.

"Cet appui est précieux, mais il ne résout pas tout", glisse une source militaire béninoise, soulignant les lacunes en formation, en renseignement et en coordination régionale.

C’est là l’autre talon d’Achille du Bénin. Selon le porte-parole du gouvernement, Wilfried Léandre Houngbédji, le manque de coopération avec les autorités burkinabé et nigériennes complique la tâche. "L’absence de dispositifs sécuritaires équivalents de l’autre côté de la frontière facilite les incursions", a-t-il regretté.

Le "triple point", situé dans le parc W, est devenu un carrefour stratégique pour les groupes djihadistes. Difficile d’accès, cette zone boisée et mal surveillée offre un refuge idéal aux combattants armés, qui y opèrent librement en l’absence d’une coordination transfrontalière efficace.

Réaction ferme de la CEDEAO

La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’est pas restée silencieuse. Dans un communiqué diffusé à Abidjan, elle a "condamné avec la plus grande fermeté cet acte barbare et lâche", en dénonçant une tentative de "déstabilisation de nos États membres".

Mais cette condamnation, aussi solennelle soit-elle, ne masque pas les divisions profondes entre États de la région. Depuis le coup d’État au Niger en 2023, les relations entre la CEDEAO et les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) se sont détériorées. Les mécanismes de coopération militaire sont suspendus, laissant le champ libre aux groupes armés qui profitent du vide sécuritaire et politique.

Vers un basculement régional

Le Bénin n’est pas un cas isolé. Le Togo, la Côte d’Ivoire et même le Ghana ont également été touchés ces dernières années. En avril 2024, une attaque à la frontière burkinabé a tué neuf soldats togolais et dix civils. La Côte d’Ivoire, frappée en 2016 à Grand-Bassam, reste en état d’alerte permanent dans ses régions Nord.

La contagion djihadiste du Sahel vers les pays côtiers semble désormais inévitable. Le nord du Bénin, longtemps considéré comme un rempart, apparaît aujourd’hui comme une brèche béante dans la sécurité régionale.

Avec 121 militaires tués depuis 2021, le Bénin paie un tribut de plus en plus lourd à la guerre contre le terrorisme. Isolé diplomatiquement, confronté à une menace multiforme, le pays tente de se défendre, mais ses capacités sont limitées.

Faute d’une coordination régionale sérieuse et d’un appui durable, le nord du Bénin risque de devenir un nouveau foyer d’instabilité en Afrique de l’Ouest, à quelques centaines de kilomètres de Cotonou et de l’océan Atlantique.

L'alerte de l'ISS : coopération ou extension de la menace ?

 

Face à la montée de l’activisme djihadiste dans le nord du Bénin et l’expansion de la menace vers les pays côtiers, l’Institut d’études de sécurité (ISS) appelle à une coopération renforcée entre la CEDEAO et l’AES.

Selon l'ISS, surmonter la méfiance entre ces deux ensembles régionaux est aujourd'hui indispensable pour permettre un réel partage du renseignement et coordonner les actions de lutte contre le terrorisme.

Les récentes attaques contre les forces béninoises et togolaises sont synonymes de la gravité de la situation : le 8 janvier 2025, une attaque au "point triple" du parc W au Bénin a fait plus de 30 morts parmi les soldats. Elle rappelle les offensives subies par l'armée togolaise à Kpekpakandi en juillet 2024, puis en octobre lors de la surveillance de tranchées à la frontière burkinabé où au moins 19 personnes – militaires et civiles – ont perdu la vie.

Selon cet institut de recherche, l’expansion du terrorisme ne doit plus être mesurée uniquement par le nombre d’attaques : les réseaux de financement, de recrutement et de ravitaillement, souvent transfrontaliers, sont tout aussi déterminants. Le vol de bétail, l’orpaillage clandestin ou encore les trafics locaux alimentent les groupes armés au Ghana, en Côte d’Ivoire et désormais au Bénin et au Togo.

À travers ses recherches, l’ISS met en garde contre une perception trop militaire du problème : derrière les coups de force visibles, se déploie un travail souterrain d’implantation sociale et économique. Les forêts protégées et les parcs transfrontaliers – comme le complexe W-Arly-Pendjari, le parc de la Comoé ou encore Oti-Kéran-Mandouri – servent de refuges stratégiques et de bases de repli pour des groupes qui élargissent progressivement leur zone d’influence au-delà du Sahel.

Sans coordination régionale sérieuse, avertit l’ISS, les pays côtiers, aujourd’hui en état d’alerte, risquent, à moyen terme, d’être eux aussi durablement contaminés par l’instabilité sahélienne.

 

AMADOU CAMARA GUEYE

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