Publié le 6 May 2013 - 20:01
TRAQUE DES BIENS MAL ACQUIS

Dans la jungle des Pca, Sage, Dage, Agents comptables,ect

On a bien tendance à les oublier jusqu’au jour où des procédures judiciaires les frappent. Eux, ce sont les Présidents du conseil d’administration (Pca), Secrétaires de l’administration générale et de l’équipement (Sage), Directeurs l’administration générale et de l’équipement (Dage) et Agents comptables payeurs. Moins médiatisés, leur responsabilité est pourtant engagée en cas de malversations financières. EnQuête qui fait parler des sources sous le masque de l’anonymat, vous livre leurs niveaux de responsabilités, de même que des cas…d’école à méditer…

 

 

Le Président du conseil d’administration ou du conseil de surveillance a un rôle de conseil et d’élaboration des politiques de l’entité. C’est à son niveau que se conçoivent les orientations et les politiques des sociétés et agences à la tête desquelles ils trônent. ‘’Un président de conseil d’administration est en quelque sorte externe par rapport à la gestion, mais il est fortement impliqué dans le seul sens d’assurer le contrôle de l’exécution des délibérations qui sont prises au sein du conseil et qui sont la feuille de route de l’entreprise’’, explique une source au cœur de l’Etat.

 

Quid de sa complicité en cas de faute de gestion ? L’expert en management public est formel. Lorsqu’un directeur général commet une indélicatesse et que cela soit couvert, ou avec la complicité d’un Pca, sa responsabilité est impliquée, parce que c’est lui qui doit veiller à la bonne marche de l’entreprise. ‘’Car certains actes lui sont soumis, pour signature avant que le directeur général ne les exécutent. S’il prend la responsabilité de signer des actes qui ne sont pas conformes à l’esprit ou à l’orthodoxie, il est engagé’’, nous souffle-t-il. C’est comme quelqu’un qui, poursuit-il, fait du recel par ailleurs. De ce fait, avant de signer tout acte lié au fonctionnement de l’entreprise, il doit veiller à ce que cet acte soit en conformité avec la loi, avec les textes qui organisent l’institution. ‘’S’il ne le fait pas, il peut être tenu responsable comme complice de pratique non orthodoxe qui aurait été commise par le Dg’’, analyse-t-il. Cependant ajoute notre analyste, il peut le faire par ignorance. Ils sont ‘’nombreux les Pca qui ne connaissent pas les attributions de leur fonction. Il peut effectivement se tromper de bonne foi. Mais il y a des erreurs qui naturellement peuvent vous coûter très cher’’, assène-t-il.

 

Des cas de mauvaise école

 

Argumentaire étayé par la réalité. 2008, le Président du conseil de régulation de l’Agence de régulation des postes et télécommunications (Artp), le professeur Abdoulaye Sakho est épinglé par un rapport de l’Inspection générale d’Etat au point de devoir écrire un livre, ‘’Ma part de vérité’’ qui est présenté au public le 1er septembre 2012. L’ouvrage-témoignage revient sur l’affaire de détournement d’1,6 milliard F Cfa qui avait impliqué le Conseil de régulation de l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp) dont il était le Président. Le professeur Sakho se défend des accusations portées à son encontre. Sa version des faits : «Il a été dit que nous avions fraudé, détourné des sommes que seuls les dirigeants de l’Artp se sont partagés, que nous avions agi en toute opacité et violé les procédures budgétaires.» Mais «les choses se sont passées en 2008, près de six ans après ma nomination au conseil de régulation de l’Artp. Le conseil avait, comme la procédure le requiert, approuvé, en ce début d’année, le budget de l’agence. Dans celui-ci, il y avait une prévision de recette exceptionnelle qui provenait de la vente par l’Etat sénégalais, sur les diligences de l’Artp, d’une licence globale de télécommunications. Cette cession, pour près de 200 millions de dollars, intervient effectivement en cours d’exercice budgétaire. Cette prévision de recette exceptionnelle reposait sur l’article 50 du Code des télécommunications du Sénégal qui dispose qu’il sera prélevé, sur chaque vente de licence, une quote-part au profit du budget de l’Artp. Le décret n°2008-222 est venu établir ce montant à 2% du coût total de la licence. En prévision de cette recette, le budget de l’agence que nous avons approuvé en début d’exercice prévoyait son affectation au renforcement du soutien institutionnel, qui est une prérogative propre du directeur général de l’Artp et à la création d’une prime exceptionnelle au profit de tous les travailleurs de l’agence, salariés comme dirigeants, en fonction de la position respective de chacun dans l’organigramme». Immédiatement après la diffusion de l’ouvrage-défense, l’inspection générale d’État (IGE) est sur les dents.

 

Après une assemblée générale extraordinaire, le Vérificateur général du Sénégal (Vsg), Nafi Ngom Ndour, saisit le chef de l’État Macky Sall, "d’une correspondance pour demander la déclassification du rapport n°30/2008 du 3 juin 2008 qui avait révélé le scandale". Et nous voilà devant un conflit ouvert, non pas seulement avec le Pr Sakho mais aussi avec le Doyen des juges Mahawa Sémou Diouf qui avait délivré le 17 avril 2011, une ordonnance de non-lieu.

 

Télescopage

 

Ce n’est pas le seul télescopage entre l’Inspection générale d’Etat et les Présidents de conseils. Dans plusieurs rapports que nous avons parcourus, la responsabilité des Pca dans les malversations sont mises en épingle. Comme c’est le cas dans le dossier du Conseil sénégalais des chargeurs (Cosec). Si la presse ne s’est intéressée qu’au cas d’Amadou Kane Diallo dans sa gestion du Cosec, les Inspecteurs généraux d’Etat sont scandalisés par les décisions qu’avalisent les conseils d’administration. Les conclusions du rapport N°41/2008 de l’Inspection générale d’Etat, estampillé secret sur la «Vérification administrative et financière du Conseil sénégalais des chargeurs (Cosec) sont effarantes.

 

‘’En ce qui concerne le salaire et les avantages du Président du Conseil d’administration, ils doivent être revus, de façon raisonnable, à la baisse, en tenant compte des dispositions du décret N°88-1726 du 22 décembre 1988 qui fixe la rémunération des Directeurs généraux des entreprises du secteur parapublic’’. Il s’agit, pour eux, d’’’interdire aux Conseils d’administration des établissements publics, des sociétés nationales, des sociétés à participation publique majoritaire, de recourir à des clauses de «Golden parachut» ou «parachute doré» et de fixer des salaires exorbitants à allouer aux Directeurs généraux, sans accord préalable du président de la République’’. Les inspecteurs épinglent ainsi Ameth Fall Braya.

 

En fait, les griefs et recommandations sont formulés contre le Président du Conseil d’administration dont le mandat a expiré, note le rapport du 14 janvier 2008, mais qui continue à jouir d’avantages indus. Le niveau de rémunération d’Ameth Fall Braya, par ailleurs, député à l’Assemblée nationale, sort simplement de l’ordinaire. «Il était de 900 000 F Cfa en 2004», mais «est passé à deux millions, puis à 3,5 millions de F Cfa». Ce qui fait dire aux Inspecteurs que «la rémunération de l’actuel Président du Conseil d’administration, telle qu’elle est fixée actuellement, est en violation des dispositions de l’article 5 du décret N°90-034 du 15 janvier 1990 qui dispose que la rémunération est arrêtée par le Conseil d’administration et approuvée par le président de la République».

 

Les conclusions de l’Ige sont si effarantes que si Ameth Fall Braya a échappé à la prison, c’est juste parce qu’il était couvert par l’immunité parlementaire ; cumulant son poste de Pca avec celui de député. Pourtant nos interlocuteurs sont formels. Si un Dg tombe pour une affaire de malversation, quiconque contribuera de manière directe ou indirecte, volontaire ou involontaire, à l’exécution d’un acte qui n’est pas légal, sera passible des peines prévues par la loi. ‘’Si le Pca laisse passer un acte pour lequel il aurait pu avoir une attitude, il est tout aussi responsable que le Dg’’, laisse-t-il entendre.

 

Évoquant les prérogatives de chacun, il dit : ‘’le Dg a une responsabilité de gestion. Le Pca a un rôle de conseil et de suivi de l’application des délibérations issues du conseil d’administration. Le Dg peut prendre des décisions à l’insu du Pca et que cela soit des décisions de nature frauduleuse. A partir de ce moment, le Pca n’est pas du tout impliqué’’, relève-t-il. Mais si le Dg prend une décision, ‘’le soumet au Pca et que celui-ci l’approuve, sa responsabilité est engagée’’. C’est pourquoi, note-il, ‘’il est important, ce qui n’est pas toujours le cas, qu’aussi bien le Dg que le Pca, que chacun sache la nature de ses attributions et le niveau exact de son degré d’implication dans le fonctionnement de la structure’’. C’est sans doute ce principe qui a fait qu’Ibrahima Condetto Niang est tombé avec Baïla Wane, pour détournements présumés de deniers publics et complicité de faux en écritures etc. Mahawa Sémou Diouf, doyen des juges, les inculpera tous les deux, le 2 août 2012. Il lui a été reproché dans le secret du cabinet du doyen des juges, d’avoir laissé passer des choses auxquelles il aurait pu s’opposer. Condetto Niang, le dernier Pca de la Lonase sous le régime de Wade n’a pu obtenir la liberté provisoire que le 1er février 2012.

 

 

Selon les entreprises, le conseil se réunit une fois par trimestre. Cela fait quatre sessions l’année. Il peut y avoir des réunions à caractère extraordinaire. Ces sessions ont pour but de vérifier si l’entreprise fonctionne de manière conforme aux orientations qui ont été définies par le conseil.

Quant aux membres du conseil, ils sont issus soit de l’administration, soit du secteur privé ou parapublic. Ils sont censés avoir une expérience dans le domaine. Dans la réalité, les membres sont choisis selon des critères très politiques. ‘’Une personne du troisième âge, en fin de carrière politique’’, est vite placée à des niveaux de responsabilités qui exigent de la compétence’’.

 

Le degré d’implication des membres du conseil peut être théorique, ou même moral dans la mesure où ce sont eux qui sont censés définir la politique de l’institution et assurer son suivi. S’il y a un manquement sur les décisions qui sont prises au niveau du conseil d’administration dans le suivi de l’exécution du budget, ‘’ne serait-ce que moralement, ils sont responsables’’. Mais le premier responsable est le Pca, car c’est lui qui est censé, signer ou cosigner des actes, pour donner l’aval au Dg. ‘’En cas de malversation, il peut être entendu à titre de témoin. De même que les membres, s’il s’avère, qu’ils sont impliqués’’, signale notre interlocuteur.

 

De l’avis de Mame Mactar Guèye, ancien Pca du Centre international pour le commerce extérieur (Cices), il appartient au tribunal de voir s’il n’y a pas une connexion entre le Dg et le Pca en cas de détournement. Ayant les outils de contrôle a priori et a posteriori, ‘’le Pca peut être responsable d’avoir manqué de vigilance au point de laisser se produire des actes de prévarication. Mais comme il ne gère pas de ressources financières, il n’est pas complice’’, souligne-t-il. Sauf, déclare-t-il pour le cas particulier de l’Institut de prévoyance retraite (Ipres), où le Pca contresigne les chèques.

Une source juridique attribue plutôt la faute au commissaire aux comptes en cas de malversations. ‘’C’est lui qui évalue les comptes et les certifie et veille en même temps à l’équilibre des comptes’’, indexe-t-il.

 

Des poursuites selon le degré d’implication

 

Pour ce qui est des Directeurs de l’administration et de l’équipement (Dage) et les secrétaires de l’administration et de l’équipement (Sage), ce sont les exécutants des crédits alloués au niveau des ministères. Ils reçoivent des ordres de l’administrateur du crédit, en l’occurrence le ministre de l’Économie et des Finances ou de la hiérarchie. Ils sont tenus de suivre l’exécution et la validation de la dépense. ‘’Ils sont supervisés par le contrôleur des opérations financières qui valident les engagements’’, informe un de nos interlocuteurs à la cour des comptes. Quand au comptable, il est à la phase finale de la dépense. Il doit faire un contrôle sur l’ensemble des pièces avant de payer. ‘’Par exemple, si la dépense est imputée au bon compte. En cas de dépassement, il engage sa responsabilité’’, assure l’auditeur.

 

Selon une source basée au Trésor, l’Acp doit vérifier la qualité de l’ordonnateur (son habilitation) et l’assignation de la dépense. Il doit aussi voir la validité de la créance appréciée à partir de la vérification du service fait et de l’intervention des visas préalables, ainsi que le caractère libératoire du paiement (est-ce qu’on a payé dans les formes requises à la bonne personne ?).

En dehors de ces contrôles effectués exclusivement sur pièces, ‘’le comptable n’est pas habilité à en effectuer d’autres’’, indique-t-il. De ce fait, ‘’Il n’a pas aussi à se faire juge de toutes autres considérations dont éventuellement la conformité de la dépense proposée à son paiement avec l’intérêt général’’, signifie la source. D’ailleurs promet-il, ‘’il se rendrait de ce fait coupable d’une immixtion dans la gestion de l’ordonnateur et glisserait dans un contrôle d’opportunité incompatible avec son statut et ses attributions’’.

 

Ce que semble récuser le chargé du contrôle des comptes publics qui estime que le comptable payeur a le droit de refuser de payer une dépense s’il a des réserves. Dans ce cas, ‘’il y a un incident de paiement. Il peut y avoir une réquisition de la hiérarchie, mais à ce moment, il dégage toute responsabilité’’, renseigne-t-il. Cependant le trésorier persiste et signe : ‘’Le Comptable n’a ni à se faire juge de la légalité des actes administratifs qui lui sont présentés, ni à se déplacer pour procéder à un contrôle sur place’’. A quel saint se vouer ? En cas de faute de gestion, ‘’les responsabilités sont situées et les poursuites engagées selon le degré d’implication des uns et des autres’’, renseigne une source judiciaire. En clair, s’il est établi une connexion entre ‘’l’ordonnateur, le Sage, le Dage ou l’Agent comptable payeur, ils répondront de leur complicité’’, clarifie la même source.

 

En réalité, ils sont bien nombreux à faire les frais de leur complicité avec les directeurs généraux et responsables d’agences nationales. Le cas sans doute le plus frais est celui de l’ex-comptable de l’Agence des aéroports du Sénégal (ADS), Ibrahima Konaré, épinglé en même temps que Mbaye Ndiaye, ex-Directeur général des Ads. Ils partagent le même sort jusqu’au…pavillon spécial. Avant lui, en janvier 2011, Mamadou Ifra Niang, ancien Dage d’alors du ministre de l’Hydraulique, avait fait les frais de son implication dans des affaires de détournements publics, alors que son ministre passait à travers les mailles des filets. Même cause, mais avec des effets différents, avec l’inspecteur du Trésor, Mamadou Bâ, agent comptable particulier de l’Artp, accusé d’avoir cautionné les écritures frauduleuses de Ndongo Diaw, avec qui il est tombé.

 

Des réformes à engager…

 

Aujourd’hui, il est souhaitable que le Pca ait le profil par rapport aux missions qui l’attendent. ‘’Ça éviterait de commettre un certain nombre d’impairs, d’assumer pleinement leur mission qui est noble et utile sur l’orientation et le contrôle de l’entreprise et, à tout moment, d'apporter des mesures correctives dans le fonctionnement de l’organisation’’, relate un expert en la matière. C’est pourquoi, il est établi la tenue du conseil de façon périodique.

 

Dans cette réforme, le point focal est le renforcement des capacités, pour mieux édifier les personnes intéressées à comprendre leur rôle et surtout faire de sorte que les Pca ne se mêlent pas de la gestion de l’entreprise. ‘’Il y a ce qu’on appelle les actes de gestion. Le Pca ne doit pas recruter dans l’entreprise. Il ne doit pas s’impliquer sur l’utilisation des ressources en matière de gestion. Le Dg pilote, lui il conseille et l’oriente’’. Il doit y avoir de même la cohérence dans le choix des personnes. Cela dépend bien évidemment de la nature de l’activité de l’entreprise. ‘’On ne peut pas être conseiller dans un domaine où l’on ignore les fondamentaux. Si vous ne connaissez rien dans le domaine de la presse, vous ne pouvez pas être Pca d’un organe de presse’’, conseille-t-il. Cependant, Il arrive aussi qu’il y ait des Pca qui jouent pleinement leur rôle. Des Pca qui refusent de signer si on leur présente des choses auxquelles ils ne trouvent pas d’éclairage. ''Ça, il ne faut pas l’occulter'', reconnaît-il.

 

PIERRE BIRAME DIOH

 

 

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