Publié le 12 Aug 2014 - 20:44
LIBRE PAROLE

Souleymane Keita, le sculpteur de lumière 

 

Etant l’un des premiers élèves d’Iba NDIAYE, ce pionnier de l’art contemporain sénégalais, Souleymane KEITA laisse en héritage aux jeunes générations d’artistes et de critiques d’art, une production artistique fort instructive. Car se trouvent bien étendus ses registres formels, graphiques et chromatiques. C’est un grand livre ouvert qu’il a su écrire patiemment au fil des étapes de sa carrière, avec des outils à travers lesquels, il franchissait subtilement la frontière qui pouvait séparer d’une part, la représentation picturale de la lumière et d’autre part, la sculpture directe de celle – ci sur la toile, parfois avec la toile elle – même.

La plume, le pinceau, la brosse, les ciseaux, l’aiguille, le fil à coudre, la brindille, le bout de bois, le bâton, ces outils qu’il a pris le temps d’apprivoiser, ont permis au véritable professionnel qu’il était, de dominer le support qu’il savait convoquer au corps à corps, dans le plus grand respect. La toile, qu’elle soit de jute ou de coton, est chaque fois impeccablement apprêtée, après être tendue avec le soin que l’on devine aisément, sur un châssis fabriqué par un artisan goréen et contrôlé par l’artiste[1].

Des pièces de tissus, invitées à rompre la monotonie éventuelle de la toile blanche pouvaient simplement devoir leur présence aux précautions de l’artiste face à la naissance imminente de la forme arrivée en fin de gestation. Tantôt ces pièces obéissaient à la planéité de la toile – mère,   tantôt elles acceptaient de bonne grâce le jeu manuel initié par l’artiste qui, avec ses doigts de fée, les formatait d’abord, avant de leur attribuer définitivement leurs places respectives dans une composition sollicitant leurs structures, textures, matières, couleurs et valeurs.

Le carton peint et traité avec le ciseau à lame unique ou double, s’est frayé un passage furtif dans la démarche plastique de Souleymane KEITA. Il en est de même du fixé – sous – verre qui a eu à lui apporter les atouts de transparence et de réversibilité du verre, dont le format n’est pas forcément orthogonal. Sans doute était – ce des réminiscences de la céramique, assurément technique initiatrice de l’expression plurielle de l’artiste.

En effet, lorsque l’on sait sentir les exigences des formes colorées sur une pièce de céramique, avant sa cuisson à des centaines de degrés de fournaise, devient plus lisible le registre des couleurs, des graphismes et des formats de l’expression picturale de SOULEY. Sur la toile la peinture est posée comme sur un pan de céramique, avec toutes les précautions d’usage. Coulures et fioritures sont évitées, tant qu’elles ne sont pas convoquées par l’inspiration de l’artiste. Par contre, hachures, trainées et frottis contribuent à identifier signes et symboles, constellations et gerbes, dans un éternel tourbillon ployant ou noyant teintes et camaïeux.

Les surfaces colorées sont posées parfois en aplat comme pour annoncer quelque apparition stellaire, tantôt fondues, tantôt traversées par des signes pressés de participer au festin graphique. Les formats des réalisations artistiques de Souleymane KEITA se veulent libres, allant de l’orthogonal, comme les séries ETUDES, ATTITUDES et SYNTHESES, au lunaire comme, SIGNE DU DOGON et PLEINES LUNES. Avec HOMMAGE A AL LOVING le format quitte simplement les sentiers battus de l’histoire de l’art, le tissu recevant toutes ses prérogatives de « Support – Surface », cette indistinction entre le fond et la forme. Ainsi, l’artiste s’arroge  son droit le plus absolu de créer le format qu’il faut au contenu qu’il a librement composé, faisant comprendre au passage qu’en matière de création artistique le contenu détermine le contenant.  Il savait également, que c’est ce niveau de créativité qu’exigeait son inspiration voyageuse, qui aura visité les espaces aussi différenciés que sont l’environnement marin de son île de Gorée, celui de sa cité continentale, celui de son séjour américain et les interpellations de son séjour malien en pays Dogon.  

La représentation picturale de la lumière et la sculpture de la lumière avons – nous dit. En effet, le traitement des contrastes chez Souleymane KEITA est généralement caractérisé par une dominante d’espaces sombres et profonds ayant pour fonction de laisser éclore une constellation de signes graphiques lumineux, virevoltants et complexes. Si bien que le déséquilibre apparent du contraste clair – obscur crée un dynamisme presque obsessionnel, dans des compositions que l’on ne se lasse jamais de contempler. Les PLEINE LUNES en sont des exemples éloquents. Ainsi, le tableau de peinture fait descendre sur le mur la lumière dont les rayons sont captés par l’œil sinon par la conscience de l’artiste.

Mieux encore, lorsque marouflées de cuir, les toiles monochromes d’ocre sahélien accueillent diverses  incrustations, l’œuvre bi - dimensionnelle devient quasiment un bas – relief qui se lit comme une sculpture. La lumière ne se contente plus de se faire représenter, de se laisser croquer. Elle préfère marquer sa présence à travers le jeu de reliefs produit par l’introduction non seulement des bouts de bois, des fils de coton et autres objets, mais surtout par celle des pièces de tissus étalées sur la toile ou boursouflées, parfois froncées avant d’être cousues à même le support. Cette descente effective de la lumière sur les toiles de Souleymane KEITA, constitue sans aucun doute la plus grande prouesse technique et spirituelle du peintre. Qu’il arpente cette Voie Droite un jour du mois béni de Ramadan devrait nous réconforter. Salut l’artiste, sculpteur de lumière ǃ

Alioune BADIANE,

Membre de la section sénégalaise

de l’Association internationale des Critiques d’Art (AICA)

 

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