Publié le 7 Nov 2014 - 02:37
ANTA SARR, DELEGUEE GENERALE A LA PROTECTION SOCIALE ET A LA SOLIDARITE NATIONALE

‘’La bourse, à elle seule, ne permet pas de sortir de la pauvreté’’

 

L’ancienne ministre de la Femme et de la Famille et nouvelle Déléguée générale à la protection sociale et à la solidarité nationale, après deux jours de contact avec les bénéficiaires du programme de Bourse familiale, dévoile sa feuille de route qui consiste à enrôler 100 mille ménages en 2015. Entretien.

 

De ministre de la Famille, vous êtes aujourd’hui Déléguée générale à la protection sociale et à la solidarité nationale. Est-ce un lot de consolation après votre limogeage ?

Je rappelle que le président de la République avait annoncé la couleur avant les Locales. Il avait dit que tous ceux qui auront perdu dans leurs localités seront sanctionnés. Donc, ayant perdu dans ma commune, c’est tout à fait normal que cette sanction tombe sur moi. Maintenant, ce n’est pas parce que je suis Déléguée générale que c’est un lot de consolation pour moi.

J’ai correctement fait mon travail au Ministère de la Famille et le président de la République, en toute souveraineté, a décidé de me confier de nouvelles missions pour que je puisse continuer à servir mon pays. Mieux, le chef de l’Etat pouvait même ne pas me nommer et cela ne changerait rien à mon engagement à ses côtés. Je le remercie d’ailleurs pour m’avoir confié la Délégation sur qui repose toute la politique sociale du pays.

Mais quand, dans une interview à Jeune Afrique, le chef de l’Etat souligne que son adversaire, ce n’est pas les politiques, mais les inégalités sociales, en avez-vous peur ? N’est-ce pas lourd à porter ?

C’est la raison d’ailleurs de notre présence dans le Madina Yéro Foula. Nous sommes là pour écouter les populations, pour mieux coller à leurs besoins en matière de politique sociale, notamment le programme de bourse familiale. Effectivement, il y a une bonne partie de la population qui est pauvre. Donc, pour réussir l’émergence dont parle le Président Macky Sall, il faut que ces couches pauvres ou vulnérables ne soient pas exclues, il faut combattre les inégalités sociales.

Quelle sera alors la touche personnelle de Mme Anta Sarr ?

Vous savez, l’Etat, c’est la continuité. Mais des fois, il peut y avoir certaines difficultés dans l’exécution des missions. Ainsi donc, nous comptons faire le tour du pays, recueillir les difficultés dans l’exécution du programme et les résoudre. Et nous comptons dès que possible aller à la recherche de partenaires pour renforcer les capacités des familles bénéficiaires et leur permettre d’avoir des activités génératrices de revenus. Parce que la bourse, à elle seule, ne permet pas de sortir de la pauvreté. Il faut la compléter avec des activités génératrices de revenus. La bourse fait partie d’un ensemble et nous devons chercher d’autres bailleurs, d’autres partenaires pour venir en soutien à l’action de l’Etat.

Mais pour l’instant, on ne sent pas trop les partenaires. Est-ce à dire qu’on ne croit pas à ce programme ?

Du tout ! La Banque mondiale, à travers le projet IDA, vient pour nous accompagner avec un projet qui a déjà démarré par le recrutement du coordonnateur et de son staff. C’est pour dire que la Banque mondiale ne met pas ses sous dans un programme qui ne tient pas la route, qui ne donne pas des résultats dans le futur. Et d’autres partenaires ont déjà manifesté le désir de nous accompagner, tout comme des ONG. Je peux citer HKI qui nous accompagne à Guédiawaye pour l’autonomisation des familles bénéficiaires de cette bourse familiale.

Que retenir de la phase pilote du Programme national de bourse familiale, deux années après son lancement ?

Après les deux jours (Ndlr : les 22 et 23 octobre 2014) que nous venons de passer avec les bénéficiaires du département de Madina Yéro Foula, dans la région de Kolda, nous pouvons dire que cette initiative de Monsieur le président de la République est plus que salutaire. La phase pilote a été concluante et je peux même dire que c’est un succès.

Seulement, nous avons recueilli auprès des bénéficiaires certaines préoccupations comme la fonctionnalité des Comités locaux, des difficultés dans le paiement de la bourse, et la résistance de la carte de bénéficiaire, appelée carte Yaakaar. Nous avons rassuré les bénéficiaires. Pour ce qui est du problème majeur des paiements, il faut savoir que cela est juste dû à un manque d’information parce qu’à deux jours de la fête de Tabaski, il y avait un rush des bénéficiaires sur les deux seuls points de paiement de tout le département. On nous a même annoncé qu’un bénéficiaire a eu à se casser le bras dans la bousculade parce qu’ils se sont rués vers le lieu de paiement. Ainsi donc, nous allons corriger ce manque d’information.

Les bénéficiaires nous ont même suggéré des points de paiement et La Poste est disposée à nous accompagner en mettant des équipes mobiles de paiement. Vous savez, Madina Yéro Foula est très vaste, les villages sont très éloignés les des autres, il y a d’énormes difficultés de transport. Donc, ces équipes mobiles devront véritablement faciliter le paiement de la bourse familiale aux bénéficiaires. D’ailleurs, je dois signaler qu’avant mon déplacement dans la région de Kolda, j’avais reçu le Directeur financier de La Poste pour échanger avec lui et voir comment faire pour que les bénéficiaires accèdent très facilement à la bourse. Donc, le Préfet du département, le Comité départemental et les Comités locaux vont nous proposer des points de paiement et La Poste va s’y coller.

Mais avec tous les systèmes de paiement qui existent, pourquoi se limiter à seulement La Poste qui ne couvre pas toutes les localités du pays ?

Je vous rappelle que nous étions dans une phase pilote qui a eu un grand succès. On ne pouvait pas s’aventurer à utiliser tous les systèmes de paiement. Pour le moment, nous travaillons toujours avec La Poste, mais nous allons voir d’autres possibilités déjà avec La Poste comme le Poste One qui informera par message les bénéficiaires, par zone par exemple, de la disponibilité de leur argent. Il n’est pas non plus exclu qu’à l’avenir nous puissions nous tourner vers d’autres que La Poste.

Vous avez annoncé l’extension de la bourse à 100 000 nouveaux ménages pour 2015. Pouvez-vous y revenir plus en détail ?

Le président de la République avait donné l’instruction d’enrôler 250 mille ménages d’ici fin 2016. Maintenant, il veut qu’à cette date, nous ayons 300 mille bénéficiaires de la Bourse familiale. Comme nous avons déjà 100 000 bénéficiaires (50 mille en 2013 et 50 mille en 2014), il nous faudra, pour atteindre cet objectif de 300 mille bénéficiaires, enrôler 100 mille en 2015 et 100 autres mille en 2016. Si je prends le département de Médina Yéro Foula, nous avons actuellement 1 120 ménages bénéficiant de la bourse pour 2013 et 2014 ; ce nombre va être doublé pour 2015. D’ici au mois de février, nous comptons boucler la phase de sélection de ces nouveaux bénéficiaires.

Quid du ciblage des ménages ?

C’est l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) qui fait le ciblage suivant trois modes. Un ciblage géographique, un ciblage communautaire et un ciblage catégoriel. En visitant le département de Madina Yéro Foula, j’ai constaté que les maires issus de l’acte III de la décentralisation ne sont pas très impliqués dans le travail des Comités. Avant, on ne parlait qu’aux chefs de quartier, de village ou aux imams.

J’ai demandé que cela soit corrigé pour que les maires soient partie prenante du processus de ciblage. Cela renforce davantage la transparence dans le processus de ciblage. Etant entendu que le Conseil municipal représente toutes les forces politiques dans une localité, je me dis même pourquoi pas impliquer toute l’équipe municipale ? De ce fait, l’on comprendra que la bourse familiale n’est pas distribuée sur des bases politiciennes, il n’y aura pas de tricherie.

Qu’en est-il du suivi évaluation des bénéficiaires pour une utilisation adéquate de la bourse ?

La réussite de ce programme dépend de la réussite du suivi évaluation qui, à son tour, repose sur une bonne fonctionnalité des Comités locaux. Comme je l’ai dit plus haut, ceux qui ont aidé à choisir les cibles (les chefs de village, les chefs de quartier, les imams, les maires que je souhaite intégrer dans le processus, etc.), sous la supervision des sous-préfets et des préfets, vont effectuer le suivi. Ainsi donc, les données vont être rapportées à chaque fois que de besoin et des correctifs apportés en temps réel. Mais, il nous faut une approche multisectorielle, une alliance stratégique avec les autres départements ministériels.

C’est-à-dire ?

Dans le questionnaire administré pour le choix des bénéficiaires, la presque totalité des ministères s’y retrouvent. En effet, il y a des questions liées à l’habitat, à la santé, à l’agriculture, l’élevage, l’énergie, et j’en passe ; ce qui constitue le Registre national unifié. Comme le questionnaire nous concerne tous, il faudra qu’on travaille ensemble. Mieux, pour bénéficier de la bourse familiale, un ménage doit remplir trois conditions essentielles : l’éducation, la santé et l’autonomisation des femmes.

Donc, dans le dispositif de suivi, il faut impérativement que les ministères de la Santé, de l’Éducation  et de la Femme et de la Famille, soient impliqués. Donc, tout ceci fait qu’il nous faut aller vers une alliance stratégique avec les autres secteurs pour réussir le suivi de ce programme. Mieux, le Ministère de la Santé doit travailler avec nous car aujourd’hui, il doit enrôler les bénéficiaires de la bourse dans la CMU.

 

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