L’arrêt technique de la Sar rallume le feu
Dans le secteur des hydrocarbures, il sera sans doute très difficile de réconcilier les majors et certains indépendants. Cette fois-ci, la pomme de discorde est le prix de cessation du litre de supercarburant. Les nationaux regroupés autour de l’ASP dénoncent un prix illégal et anticoncurrentiel. Total explique son prix par le refus de subventionner des concurrents.
‘’Comme toujours, quand la SAR (Société africaine de raffinage) est en arrêt technique, l’approvisionnement du marché intérieur en supercarburant est sujet à de fortes perturbations. Il est récurrent dans pareilles situations que des variations importantes du prix de cession du Supercarburant soient constatées, variations qui vont nettement au-delà du prix plafond fixé par l’Etat et communément appelé Prix Parité Importation (PPI)’’. Cet extrait est tiré d’une déclaration de l’Association Sénégalaise des Pétroliers (ASP).
Les camarades d’Ameth Guissé (président de l’organisation) ajoutent : ‘’Les offres présentes proposées par quelques sociétés du cartel sont établies à PPI +50 F CFA/litre voire PPI + 60, alors que la contribution sur ce produit est de 34,96 F /litre’’. Ce qui a pour conséquence, selon leur version, d’obliger les autres compagnies de distribution des hydrocarbures, au meilleur des cas, de renoncer à la marge dégagée par la vente du produit. Au pire, cette situation les pousse à être en rupture de stock sur certains sites au lieu de vendre à perte. Et du coup, cela confère aux sociétés multinationales une situation de quasi-monopole.
Toutefois, cette vision de l’ASP n’est pas forcément partagée par toutes les compagnies indépendantes de distribution de pétrole. Birahim Diop est le patron de Star Oil, il s’est approvisionné la semaine dernière à un prix plus élevé que celui fixé par l’Etat. Il trouve pourtant des excuses aux sociétés d’approvisionnement. ‘’Les prix sur le marché sont parfois différents de ceux fixés par l’Etat. Il y a une certaine volatilité des prix à l’international. Le marché varie dans un sens ou dans un autre. Les sociétés achètent au prix du jour. Elles sont donc obligées de les répercuter sur le prix de vente’’, tempère-t-il.
En fait, le fond du débat ici est que l’approvisionnement en produit pétrolier destiné à la consommation sénégalaise revient à la Société africaine de raffinage (SAR) qui joue en même temps un rôle de régulation. Cependant, la SAR est dans une situation de déficit structurel qui ne lui permet pas de garantir un approvisionnement continu en hydrocarbures. Une situation qui s’explique par une demande supérieure à l’offre et à la vétusté de ses installations.
Arrêt technique de la SAR
C’est sans doute ce dernier point qui explique les perturbations notées et qui est la source de la polémique. Joint par téléphone, le Directeur général de la SAR confirme que la société est en arrêt technique il y a 2 à 3 mois. ‘’Nous avons un problème avec le réformi. C’est un outil qui permet de fabriquer du super. Nous avons donc commandé la pièce et d’ici le 15 mars, il y aura la régénération’’, rassure Omar Diop. En attendant cette régénération, la SAR ne produit plus de supercarburant. Son directeur ajoute toutefois que sa boîte a pris les devants et importe le produit pour éviter une rupture de stock.
Connaissant d’abord un déficit structurel et ayant un matériel vétuste, la SAR à elle seule ne peut donc garantir au Sénégal du produit pétrolier 12 mois sur 12. ‘’C’est pourquoi d’autres compagnies pétrolières interviennent pour combler ce déficit en important et en stockant du pétrole raffiné dans d’autres centres comme Senstock créée grâce à la libéralisation du secteur des hydrocarbures’’, renseigne Kabirou Guèye auteur d’un mémoire sur la question.
Mais contrairement à la SAR qui est une société publique, les autres sont privées à 100%. Il faut d’abord préciser que l’importation d’hydrocarbure est en principe libre. Toutes les sociétés détentrices d’une licence peuvent y participer. Mais cette participation n’est pas donnée à tout le monde du fait des moyens financiers et logistiques à mobiliser. La lecture de la loi qui l’encadre permet aisément de comprendre que seules les sociétés qui ont les moyens peuvent le faire.
Par exemple, l’article 13 de la loi de 1998 fixant les règles relatives à l’importation, au stockage et à la distribution fait obligation à toute entreprise qui s’exerce dans une activité d’importation à importer un volume annuel minimum de 20 000 m3 de produits à l’exception des GPL dont le tonnage annuel minimum requis est de 1 500 tonnes. Les capacités de stockage sont aussi encadrées. L’article 18 indique : ‘’Toute entreprise envisageant d’exercer une activité de stockage de pétrole et/ou de produits dérivés doit s’engager à construire des capacités minimales de stockage de 5 000 m3 de produits, à l’exception des GPL dont les capacités requises sont de 150 tonnes.’’
Ceci sans doute pour mieux assurer la sécurité dans l’approvisionnement. C’est en tout cas ce qu’indique le rapport de présentation du décret n° 98-340 du 21 avril 1998 fixant les modalités de constitution des stocks de sécurité des hydrocarbures. ‘’(…) tout titulaire de licence d’importation est tenu de constituer un stock de sécurité pour chaque produit importé afin de garantir la satisfaction des besoins du marché national pour une période de 35 jours. Ceci dans le but d’éviter les ruptures d’approvisionnement pouvant porter préjudice à la population et à l’économie nationale’’.
Toutes ces conditions difficiles à remplir font que les sociétés de distribution qui peuvent se payer le luxe d’importer et de stocker les produits pétroliers sont très limitées. Il n’y a que les trois multinationales (les majors : Total, Shell et Oilibya) et quelques nationaux (les indépendants). Les autres dépendent de la SAR. Et depuis que celle-ci est à l’arrêt technique, les petites compagnies de distributions sont obligées de s’approvisionner chez leurs concurrents, particulièrement les majors. Le commerce étant régulé, l’Etat fixe un prix plafond à toutes les échelles, et cela toutes les 4 semaines. N’empêche, les sociétés d’approvisionnement cèdent le litre de supercarburant à un prix supérieur à celui fixé par l’Etat.
Total : ‘’Notre préoccupation principale est surtout de ne pas vendre à perte’’ Du côté de la société de distribution Total, on confirme et assume. La chargée de communication Marième Ngom déclare d’abord que la compagnie cède effectivement le litre du supercarburant avec 50 F de plus que le prix plafond. Elle le justifie en ces termes : ‘’Lorsque les stocks de la SAR ne suffisent pas à couvrir les besoins du marché, Total, qui importe pour ses propres besoins, accepte de vendre aux indépendants. Cependant, la structure de prix du supercarburant n’est pas adaptée aux conditions d’approvisionnement, si bien que Total importe à des conditions moins favorables par rapport au prix fixé par l’Etat. Ce qui nous contraint à revendre à ce prix (PPI+50)’’. Les indépendants regroupés au sein de l’ASP n’y voient par contre que des manœuvres visant à se retrouver au finish dans une situation de monopole. Ameth Guissé et Cie écrivent : ‘’La raréfaction du supercarburant impacte considérablement l’essence qui en est dérivée et plus particulièrement l’essence pirogue destinée aux pêcheurs. Le secteur du réseau pêche étant dominé par les entreprises sénégalaises se voit menacé avec une forme de ‘’pénurie organisée’’. La compagnie Total, par le biais de sa chargée de communication, rétorque : ‘’Notre préoccupation principale est surtout de ne pas vendre à perte. Total, en tant qu’entreprise commerciale cotée en bourse et devant rendre compte à ses actionnaires sénégalais (31%), n’a pas vocation à se substituer à la SAR et, ce faisant, à perdre de l’argent en approvisionnant ses concurrents à un prix fixé par l’Etat. Cela reviendrait à subventionner les concurrents’’. Et, comme pour montrer qu’il n’y a rien à cacher, elle termine : ‘’Total tient bien évidemment tous les éléments nécessaires à disposition des autorités afin de montrer qu’elle ne réalise pas de bénéfices sur ces opérations.’’ Quoi qu’il en soit, une chose est sûre, c’est que vendre au-delà du prix fixé constitue une ‘’infraction commerciale’’, selon l’expression du DG de la SAR. Aminata Ndoye Touré la directrice des hydrocarbures a la même position. ‘’Ils sont en porte-à-faux avec la loi. Ce n’est pas normal.’’ Toutefois, Mme Touré soutient que c’est EnQuête qui l’a informé de cette pratique. Elle déclare n’avoir jamais été saisie par les sociétés qui se considèrent victimes d’une certaine pratique. La directrice des hydrocarbures n’a pas non plus été informée d’une saisine du ministre de tutelle par ces dites sociétés. Elle demande ainsi à ces plaignants de s’en ouvrir à l’autorité. Pourtant un passage de la déclaration de l’ASP indique clairement que les décideurs ont été saisis plusieurs fois : ‘’Cette pratique, souvent décriée auprès des autorités…’’. |
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ASP : Une application des règles sanctionnant les pratiques commerciales illégales
Cependant, même si le Dg de la Sar soutient que la structure des prix tient compte du prix du baril à l’international, il n’en reconnaît pas moins que la SAR importe actuellement à perte le supercarburant. Or, si la SAR importe à perte, on peut logiquement comprendre qu’il en soit ainsi aussi pour les autres compagnies. Et pour éviter un gouffre financier, la SAR demande l’appui de l’Etat. Plus précisément, elle introduit une requête pour une compensation. Et très souvent, la requête aboutit, souligne Omar Diop le directeur général.
Ce qui n’est pas le cas pour les privés. Notre interlocuteur affirme que l’Etat est frileux quand il s’agit des privés, parce qu’il veut éviter que les compagnies privées gonflent les pertes et lui font payer plus que ce qui est dû. Ce qui veut dire en quelque sorte que les compagnies ne peuvent pas avoir les mêmes prix que la SAR, même si M. Diop précise qu’il arrive des moments où l’importation leur est favorable.
C’est sans doute pour cela, que le patron de Star Oil, Birahim Diop, fait preuve de compréhension à l’égard des majors. Et cela, même s’il achète plus que ce qui est arrêté. ‘’Personnellement, ma position est que la structure des prix au Sénégal est déconnectée de la réalité à l’international. Ceux qui déterminent les prix, ce n’est pas leur problème si le Sénégal a un prix plafond ou pas’’, argumente le Dg de Star Oil. Pour cette raison, il estime que les gens font avec leurs propres moyens. Et que ce serait plus grave si les sociétés qui peuvent le faire s’abstenaient d’importer des produits pétroliers. ‘’Et puis, à certaines périodes, on achète à un prix inférieur à celui qui est fixé. Je ne sais pas pourquoi les gens ne dénoncent pas cela.’’ Qu’à cela ne tienne ! L’ASP lui veut ‘’une application des règles sanctionnant les pratiques commerciales illégales’’. Au vu des différentes positions, une chose est au moins claire. C’est que l’Etat doit jouer son rôle de régulateur et trouver une solution définitive et surtout légale qui soit acceptée par tous.
BABACAR WILLANE