‘’Des enseignants ont des agendas autres que syndicaux’’
A l’entendre parler, on a l’impression que les enseignants n’ont jamais eu un seul argument valable pour bouder les classes. D’ailleurs, le ministre de l’Education nationale le dit en des termes très clairs : ‘’Il n’y avait d’abord aucune raison d’entamer cette grève.’’ Dans cet entretien accordé hier à EnQuête dans les locaux de son ministère, Serigne Mbaye Thiam n’hésite pas à invoquer le manque de formation pédagogique et syndicale de certains enseignants pour constater les grèves multiples. Sur cette même lancée, le ministre qui exclut toute possibilité d’année blanche, accusent entre les lignes des syndicalistes de travailler contre le régime de Macky Sall. De ce fait, à côté du dialogue, la solution semble être pour lui la loi du talion : une absence pour raison de grève égale à un salaire coupé.
Après plusieurs séances de négociations, le gouvernement et certains syndicats d’enseignant dont le Grand cadre et le Cusems n’ont pas pu trouver un accord. Est-ce que vous vous attendiez à une telle issue?
Nous ne pouvions qu’être optimistes compte tenu des efforts fournis par le Gouvernement, de la qualité des médiateurs et des engagements que ces derniers ont pris quant au suivi de la mise en œuvre des accords. Quand, à deux reprises, son Excellence le Président Macky Sall lance un appel pour la fin de la grève, quand le collectif des médiateurs constitué par des députés, des membres du Conseil économique, social et environnemental et du Comité du dialogue social-secteur Education et Formation, le Haut Conseil du dialogue social et d’autres bonnes volontés se mobilisent pendant plus d’un mois pour trouver une issue heureuse à cette crise, la meilleure attitude est d’arrêter, sinon de suspendre tout mouvement de débrayage ou de grève.
Comment avez-vous apprécié la position de chacune des trois entités syndicales ? l’USEQ d’abord, puis le CUSEMS et enfin le Grand cadre ?
Je ne peux qu’apprécier positivement la décision prise par l’USEQ de suspendre la lutte et d’appeler à la reprise des enseignements, et me désoler que, pour d’autres, le choix soit de continuer la grève. Chacun doit prendre la pleine mesure des actes qu’il pose face à l’avenir des élèves.
Vous avez dit qu’à l’heure actuelle, il n’y a aucune raison de poursuivre la grève. Pourquoi une telle déclaration ?
Mon avis est qu’il n’y avait d’abord aucune raison d’entamer cette grève dans la mesure où le dialogue n'avait jamais été rompu entre les syndicats et le gouvernement et que le protocole d’accord du 17 février 2014 faisait l’objet d’un suivi régulier. En ce qui concerne maintenant la poursuite de la grève, elle ne se justifie pas non plus. Comme je l’ai déjà dit tantôt, il est constaté des avancées notoires sur l’ensemble des questions, même pour la validation des années de volontariat, de vacation et de contractualisation, la loi 2015-08 du 13 avril complétant 2015 a été votée et promulguée, la commission chargée de proposer des solutions viables sur la problématique de la formation diplômante des titulaires de diplômes spéciaux rendra ses conclusions le 15 mai prochain. Tous les dossiers en souffrance au niveau de la Fonction publique ont été traités et des actes dûment signés sont disponibles dans le site du Ministère en charge de la Fonction publique. Il s’y ajoute que le ministère des Finances s’est engagé à payer les rappels d’intégration entre le 29 mai et le 31 juillet, etc. Donc la poursuite de la grève ne se justifie pas.
Pensez-vous donc que les enseignants sont des grévistes, parce qu’ils n’ont pas une bonne formation ou une claire conscience de leur mission ?
Quand je parle de la qualité de la formation des enseignants, je fais référence d’abord à la dimension pédagogique et aux aptitudes à transmettre les connaissances pour une certaine catégorie d’enseignants, compte tenu de la manière dont ils ont accédé à l’enseignement, sans concours de recrutement et sans formation initiale. Je pense ensuite à la déontologie professionnelle qui fait partie intégrante de la formation initiale de l’enseignant. Je pense enfin à la formation syndicale qui se situe certes à un autre niveau, mais qui est aussi d’une importance capitale dans la gestion des relations professionnelles.
Evoquant des raisons politiques, vous avez dit qu’il y a certains responsables syndicaux qui ont d’autres connections. Accusez-vous les syndicalistes d’être le bras armé de l’opposition ?
La majeure partie de responsables syndicaux et des enseignants ne sont mus que par des considérations professionnelles mais nul n'est dupe ou naïf pour ne pas savoir qu’il y en a d’autres qui ont des connections et qui sont dans des manœuvres pour des agendas autres que syndicaux, soit parce qu’ils travaillent contre le régime du Président Macky Sall, soit parce qu’ils en veulent au ministre Serigne Mbaye Thiam.
Donc, selon vous, il ya des syndicalistes qui sont mus par d’autres intérêts ?
Je n’accuse nommément personne, mais ceux-là et leurs taupes sauront se reconnaître. Il faut être irresponsable pour mettre en péril le système éducatif de notre pays au profit d’agendas et de considérations peu avouables. Mais je pense que la majeure partie des enseignants prendront leurs responsabilités. Il arrive des moments où on ne doit pas se cacher derrière le mouvement collectif pour déserter sa responsabilité individuelle.
Vous appelez les enseignants à titre individuel, au-delà des organisations syndicales, à prendre leurs responsabilités. N’est ce pas une façon pour vous de leur demander de désobéir au mot d’ordre de leur syndicat.
En tant que ministre en charge du secteur, j’ai le pouvoir et le devoir de m’adresser à l’ensemble des enseignants et de leur rappeler la responsabilité qui est la leur face à l’avenir des enfants du Sénégal même si je n’ai pas à interférer dans leurs rapports avec les syndicats.
Etes-vous pour le non-paiement des jours de grève ?
Mon point de vue personnel n’est pas important, c’est la loi et la jurisprudence qui dictent que le salaire doit correspondre à un service effectué et il n’est payé qu’après service fait. Dans un État de droit, la loi s’applique à tout le monde. Je considère que c’est un honneur pour un travailleur, convaincu de la justesse de la cause pour laquelle il se bat et de son engagement militant, de ne pas être rémunéré suite à un arrêt de travail pour la défense de cette cause. L’engagement au service d’une cause commence par la soumission à la loi et le respect de la réglementation et de ses devoirs pour pouvoir être en légitimité de réclamer ses droits. La question du non-paiement des jours de grève, jours non travaillés, ne se pose même pas pour les travailleurs du secteur privé.
A votre avis que faut-il faire pour sauver l’année ?
Compte tenu des avancées significatives et substantielles notées en faveur des enseignants dans la prise en compte de leurs préoccupations et considérant que le Gouvernement a indiqué qu’il ne peut pas faire plus, ici et maintenant, il revient à chaque enseignant de convoquer l'intérêt général et le contrat moral qui le lie à ses élèves pour terminer honorablement l’année scolaire. Mais il importe pour notre pays de sortir de la spirale d’année scolaire à sauver.
Si la grève venait à être suspendue, quelles sont les mesures correctives que vous projetez de prendre pour faire face au retard accusé de deux mois?
Avant même la suspension de la grève, j’ai donné des instructions à tous les inspecteurs d’académie pour une collecte de toutes les informations, établissement scolaire par établissement scolaire, relatives aux pertes de quantum horaire et d’en faire la synthèse et l’exploitation. Je les ai convoqués pour une réunion le jeudi 23 avril en vue de procéder à une évaluation précise des retards accusés et de décider, le cas échéant, des mesures correctives. De toutes les façons, le risque d’une année blanche ne se pose pas.
Sur quoi vous vous fondez pour soutenir une telle certitude alors que beaucoup de parents d’élèves craignent déjà le pire pour cette année scolaire ?
Il ne faut pas perdre de vue quand même qu’il n’y a pas eu deux mois d’interruption continue des enseignements ; c’est une grève perlée et qui n’a pas été suivie à 100%. Par conséquent, il n’y a pas de risque d’année blanche.
A combien s’élève l’évaluation financière des 342 recommandations des Assises de l’Education et de la Formation ?
Les résultats de l’évaluation financière ont été envoyés au Premier ministre pour une validation et un premier arbitrage. A la suite de quoi, le président de la République convoquera un Conseil présidentiel. Vous comprendrez donc que je ne puisse pas vous dévoiler à ce stade le montant de l’évaluation financière de la mise en œuvre des recommandations des Assises. Mais c’est un programme ambitieux pour le développement de l’Education et de la Formation.
Les incidences financières des années de validation s’élèvent à 40 milliards. Combien le gouvernement est-il prêt à engager pour la première année ?
Selon le Ministère des Finances, le montant des rappels de salaires est évalué à 26 milliards à peu près. Pour ce qui concerne le reste (le paiement), conformément aux termes du protocole d’accord du 17 février 2014 signé entre le Gouvernement et les syndicats, il est mis en place un comité ad-hoc en charge d’étudier le niveau, les conditions et les modalités de prise en charge de cette revendication pour la rendre soutenable par les finances publiques. Il ne s’agit donc pas de savoir uniquement combien il faut engager pour la première année, mais d’étudier les trois paramètres de l’accord signé, à savoir le niveau, les conditions et les modalités de soutenabilité.
Qu’est-ce que le gouvernement a fait, du 17 février 2014 au 17 février 2015. Les syndicalistes vous accusent d’avoir fait beaucoup de dilatoire.
Sur les 32 points de revendication contenus dans le protocole d’accord du 17 février, 24 sont réglés effectivement, si les syndicats font référence aux points contenus dans la plate-forme minimale, 6 points sur 11 sont effectivement pris en charge ; tous les autres points dont l’application obéit à un processus et demande du temps, sont en cours de mise en œuvre ou presque finalisés pour la majeure partie. Les réunions du comité de suivi de septembre 2014, décembre 2014 et février 2015, auxquelles les organisations syndicales étaient représentées, ont permis de constater la transparence avec laquelle le Gouvernement communique le niveau de mise en œuvre de tous les points du protocole d’accord.
Concrètement qu’est-ce que le ministère de l’Education a fait durant cette période ?
Les revendications des syndicats ne relèvent pas toutes du ministère de l’Education nationale, nous avons donc fait la même chose que le Gouvernement de façon générale : œuvrer pour le respect du protocole et à sa mise en œuvre.
Au lendemain des Assises de l’éducation, on s’attendait à un climat apaisé dans le secteur de l’éducation. Mais on a plutôt eu droit à des grèves de toutes parts. N’y a-t-il pas là une raison de désespérer ?
Il est vrai que la situation est inquiétante mais il faut s’armer de détermination et de la force de la pensée positive pour ne pas abdiquer devant les difficultés. Mais tous les acteurs et partenaires du système éducatif doivent se remettre en cause, sortir des acquis et des certitudes pour opérer les mutations, voire les ruptures qui peuvent être douloureuses, mais essentielles et incontournables. C’est avec toutes les composantes de la société sénégalaise que les concertations ont été tenues sur l’étendue du territoire national, il est de notre devoir à nous tous, surtout des principaux acteurs intervenant directement dans l’Education, de redresser le système éducatif. Le chef de l’Etat et son gouvernement s’y sont engagés.
L’opération ‘’jangando’’ (apprendre ensemble) a montré qu’il y a des lacunes chez les jeunes de 6 à 14 ans. Comment est-ce qu’on peut renverser la tendance avec tant de perturbations ?
Il est vrai qu’à une certaine cadence, les perturbations influent négativement sur le niveau des élèves parce qu’elles entament le quantum horaire, mais il y a aussi d’autres déterminants relativement à la lutte contre ces lacunes, raison pour laquelle le Programme d’Amélioration de la Qualité de l’Equité et de la Transparence (PAQUET) met le focus sur la qualité en proposant des stratégies opérationnelles de renforcement des capacités des enseignants et des enfants, en lecture et mathématiques, et en les dotant de manuels scolaires, entre autres.
(A SUIVRE)
Ibrahima K Wade et Babacar Willane