Publié le 29 Jul 2018 - 23:37
PRODUCTION LITTERAIRE

Les souffrances des écrivains

 

Malgré la multiplication des maisons d’édition et du nombre de publications, le Sénégal, autrefois connu pour ses grands écrivains, peine de plus en plus à produire des romanciers, poètes, dramaturges… connus et adulés dans le monde. Les auteurs livrent leurs sentences.

 

La littérature sénégalaise est l'une des plus importantes de l'Afrique de l'Ouest. Depuis 1975, elle a produit de grands noms. Entre autres écrivains reconnus partout dans le monde, on peut citer des pionniers comme Mariama Ba, Cheikh Amidou Kane, Aminata Sow Fall, Ken Bugul, Sembène Ousmane, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Boubacar Boris Diop, Abdoulaye Sadji. Il y a, aujourd’hui, beaucoup d’écrivains, mais peu sont de la trempe de ceux cités ci-haut.

Le poète Bara Beleup Ndao estime que lui et ses pairs ont la capacité d’écrire comme le faisaient les pionniers. Il ajoute : ‘’Nous avons une grande place dans la littérature pas seulement nationale, mais universelle. Dans le monde de la littérature, chacun a sa manière de procéder. En étant jeune, on essaye de prendre à bras le corps les préoccupations de nos sociétés que nous traduisons avec notre plume, c'est-à-dire l’expression poétique alliée au vécu quotidien.’’  Pour l’écrivain et conteur Dr Massamba Guèye, il sera difficile, pour les jeunes générations, de remplacer les pionniers de la littérature sénégalaise. Il regrette : ‘’Depuis 35 ans, rien ne change. La réalité est qu’on enseigne les mêmes livres. Nous avons l’impression que rien ne bouge. Nous avons un problème de littérature en général. Nous sommes un peuple qui ne lit pas beaucoup et les programmes de français sont les mêmes. On a l’impression que personne n’écrit, alors qu’on a de bons écrivains’’, déplore l’auteur de ‘’Nérons d'ébène - Les incendiaires’’.

Les inquiétudes du conteur sur cette question ne se limitent pas seulement à cela. Il ajoute : ‘’Aujourd’hui, nous avons une littérature sénégalaise qui sort beaucoup d’ouvrages dans tous les genres, sauf que nous n’avons plus la même qualité, la même force de thématique et le même lectorat. Du coup, on ne peut pas comparer des générations d’écrivains. Nous n’avons plus les grands noms et les grandes plumes, mais il n’empêche, parmi la nouvelle génération, il y a de très bons écrivains.’’ 

L’écrivain colonel des eaux et forêts à la retraite, Moumar Guèye, ajoute qu’il appartient aux structures en charge de l'éducation de valoriser la production littéraire nationale et de renouveler régulièrement les titres figurant au programme scolaire. A son avis, les parents d'élèves, les enseignants et les élèves eux-mêmes devraient s'engager davantage dans la promotion du livre et de la lecture. L’écrivain de renseigner que la littérature sénégalaise d'expression française est toujours ‘’vivante’’ et ‘’dynamique’’. Il considère que les écrivains sénégalais sont invités partout dans les salons du livre à travers le monde. Ils gagnent des prix et des distinctions de toutes sortes. A titre d'exemples,  l’auteur de ‘’La malédiction de Raabi’’ cite, entre autres écrivains, la grande romancière Aminata Sow Fall (Prix de la Francophonie), Rahmatou Samb Seck (Grand Prix du président de la République pour les lettres), les poètes Amadou Lamine Sall qui vient de recevoir le Prix de poésie à Assilah (Maroc), Marouba Fall et Sada Hane, Prix de poèsie en Italie, Alioune Badara Coulibaly, lauréat des Prix littéraires 2015 de la Fondation Naji Naaman... Sans pour autant oublier la nouvelle génération avec Mouhamed Mbougar Sarr, lauréat de plusieurs prix internationaux.  

Cherté des maisons d’édition

Par ailleurs, le principal souci des auteurs, c’est la cherté de l’édition au Sénégal et le manque de visibilité. ‘’Quand on est débutant, on souffre des problèmes de l’édition, de la visibilité, de la reconnaissance au niveau interne. L’édition est très chère au Sénégal. Là, j’ai un troisième livre à publier, mais faute de moyens, je ne l’ai toujours pas bouclé. Nous faisons un travail intellectuel, donc nous avons besoin du soutien de l’Etat. Parfois, on écrit des demandes à certaines structures publiques comme privées pour être accompagnés, mais elles ne répondent même pas. C’est ceux qui sont connus dans le milieu qui sont parfois traités comme des rois’’, dénonce Bara Ndao, l’auteur de la chronique ‘’La fille du ministre’’. Une affirmation soutenue par le colonel Guèye qui estime que la plupart des éditeurs n'accompagnent pas les auteurs dans la promotion des ouvrages.

‘’Une fois qu'ils bénéficient du fonds d'aide, ils éditent quelques exemplaires pour les besoins de la cérémonie de dédicace et considèrent qu'ils ont terminé leur mission. En plus, ils ne payent pas les droits d'auteur’’. A cet effet, le colonel avance que le ministère de la Culture devrait dénommer le Fonds d'aide à l'édition autrement. ‘’On devrait l'intituler ‘Fonds de promotion du livre et de la lecture’. Ainsi, le fonds en question ne serait pas seulement réservé aux éditeurs, comme c'est le cas actuellement, mais aussi aux écrivains qui sont souvent oubliés ou spoliés par certains éditeurs’’, a-t-il proposé.

Par ailleurs, la plus grande difficulté, selon Dr Massamba Guèye, n’est pas de produire des textes, mais de produire des textes qui sont édités et vendus, et que cette vente puisse permettre à l’auteur d’avoir une vie intellectuelle et économique pérenne. Lorsque l’éditeur sort le livre, il n’a pas les moyens de faire sa promotion. Il n’y a donc presque pas une certitude que l’ouvrage puisse accéder et arriver à être distribué sur l’ensemble du territoire, pour ne pas parler de l’Afrique ou du monde. ‘’Les manuscrits, on en écrit, reçoit et lit beaucoup, mais en dehors de l’autoédition et l’appui qui est donné par l’Etat, il n’ya absolument pas de maisons d’édition capables financièrement de tenir le coup en Afrique de l’Ouest’’, regrette l’auteur de ‘’La Bouche de l’Afrique’’.

Pour contribuer à la promotion du livre et de la lecture, le colonel Moumar Guèye propose que les ministères et autres établissements publics achètent des lots d'ouvrages d'écrivains sénégalais pour les offrir aux bibliothèques et établissements scolaires et universitaires.

HABIBATOU WAGNE

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