‘’Macky Sall n’a pas retenu les leçons de la chute de Diouf et de Wade’’
Démissionnaire de la tête de la Ligue démocratique, Mamadou Ndoye n’a pas, pour autant, renoncé au combat pour la chute du président Macky Sall. Aujourd’hui engagé avec la Ld-Debout dans la coalition Fippu, l’ex-secrétaire général de la Ligue démocratique théorise la nécessité, pour l’opposition, d’avoir un candidat patriotique pour venir à bout du régime. Il pense que toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour provoquer une nouvelle alternance, vu la situation du pays et l’attitude du président qui n’a pas retenu les leçons de la chute de Diouf et de Wade. Partant du postulat que la situation du pays et que l’actuel président n’a pas retenu les leçons de la chute de Diouf et de Wade, il pense que toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour provoquer une nouvelle alternance.
La révocation de Khalifa Sall par le président Macky Sall suscite beaucoup de polémiques. Quelle appréciation en faites-vous ?
En dépit de tous les actes posés, arrestation et condamnation arbitraires de Khalifa notamment, aux fins d’empêcher celui-ci d’être éligible, Macky Sall ne semble pas encore tranquille. Est-il informé que sa justice ne pourra pas finalement disqualifier Khalifa de la course et qu’il faut donc préventivement le dépouiller du levier que constitue la mairie de Dakar ? Autrement, comment comprendre cet acharnement et cette précipitation de Macky Sall ? Dans tous les cas, ce qui demeure est totalement inadmissible dans une démocratie : l’utilisation du pouvoir d’Etat pour régler des comptes politiques. Macky Sall est en train d’engager ainsi notre pays dans les cultures et pratiques politiques des régimes despotiques d’Afrique centrale. Quel recul, au regard des conquêtes démocratiques enregistrées par le Sénégal depuis l’indépendance !
Avant sa révocation, Khalifa Sall a vu sa peine confirmée par la Cour d’appel. Au même moment, la Cour suprême a, quant à elle, débouté Karim Wade, concernant le rejet de son inscription sur le fichier électoral. Comment appréciez-vous ces deux verdicts ?
Ces deux décisions relèvent d’une volonté foncièrement anti-démocratique : celle de Macky Sall consistant à mettre la justice sénégalaise au service de sa réélection en éliminant ses concurrents jugés potentiellement menaçants. Ce qui fausse, à l’avance, le jeu électoral et le mode de dévolution démocratique du pouvoir. Les premiers actes posés par les poursuites illégales entamées contre ces deux candidats potentiels portaient déjà cette empreinte et les actes posés aujourd’hui confirment la détermination et l’acharnement de Macky Sall à aller jusqu’au bout de son projet : organiser des élections présidentielles sans réel adversaire, pour les remporter dès le premier tour.
Est-ce à dire que le sort de ces deux challengers du président Macky Sall est aujourd’hui scellé ?
Je ne sais pas si leur sort est scellé ou pas. L’histoire en général et celle de notre pays en particulier nous enseigne que les projets despotiques se retournent souvent contre leur auteur. On ne peut prévoir ni le moment, encore moins le déclencheur d’une riposte populaire à l’injustice et à l’arbitraire. En tout cas, chacun peut observer que les frustrations et les sentiments de révolte ne cessent de s’accumuler dans le pays, face à la répression des libertés, au déni des droits des citoyens et à la mal-gouvernance avec pour conséquences : l’augmentation du nombre de pauvres, le chômage endémique des jeunes poussés au désespoir et à l’immigration clandestine, des services publics de l’éducation et de la santé en crise profonde. Nous vivons donc une situation explosive. La question est : quand et d’où viendra l’étincelle ?
Dans tout cela, qu’en est-il de la justice sénégalaise accusée d’être le bras armé de l’Exécutif pour éliminer des adversaires politiques ?
Malgré les dénégations maladroites et embarrassées du parti-Etat, l’opinion nationale reste majoritairement ancrée dans cette conviction. En fait, Macky Sall l’avait lui-même annoncé, en disant qu’il ne boxait pas dans la même catégorie que ses adversaires et que dès qu’il descendrait dans l’arène, il les mettrait Ko. Ce qu’il n’avait pas précisé, c’est qu’il ne se battrait pas à armes égales avec ses adversaires, mais qu’il utiliserait le pouvoir d’Etat que lui avaient confié les Sénégalais, c’est-à-dire les ressources publiques et les forces de répression pour tenter de les éliminer.
Lors du lancement officiel de la campagne de collecte des parrains de Bby, le président Macky Sall a menacé de ne plus tolérer les attaques et autres insultes contre les magistrats, la justice sénégalaise et les institutions. Comment appréciez-vous sa posture ?
Aucune institution de la République n’est plus crédible aux yeux de l’opinion publique nationale. A commencer par la présidence de la République d’où le parti-Etat a chassé la ‘’patrie’’ comme le relate quotidiennement la presse. Concernant l’Assemblée nationale, elle a perdu sa place d’hémicycle du débat démocratique national, tout comme ses fonctions de représentation de l’intérêt général et de contrôle de l’Exécutif. Que l’on n’invoque surtout pas l’argument de majorité parlementaire, car celle-ci existe dans tous les pays démocratiques sans que l’Assemblée nationale perde ses attributs essentiels, voire sa raison d’être.
Pour ce qui est de la justice, la situation est plus grave, car sa chute correspond à celle de l’Etat de droit dont elle est le rempart. Il se trouve que les citoyens sénégalais n’accordent plus de confiance, encore moins de respect à la justice. Ceux qui parmi eux sont des politiques justifient ce sentiment par l’inféodation de la justice au parti-Etat. Ce que confirment des magistrats qui luttent contre cette dépendance qui s’effectue, entre autres, par le contrôle de leur carrière à travers le Conseil supérieur de la magistrature, ainsi que par des privilèges indus accordés à certains avec des objectifs évidents de vassalisation. Pour les citoyens qui, pour une raison ou pour une autre, ont eu affaire avec la justice, ce sentiment s’explique par le système de corruption en place autour de la justice avec ses démarcheurs, ses intermédiaires et toute une faune de prédateurs. Ce fait est également confirmé par les magistrats qui soulèvent les problèmes de déontologie et de respect de serment au niveau de leurs collègues.
Le président de la République, lors de la cérémonie de lancement officiel de la collecte des parrainages de Bby, a brandi des sondages qui lui donnent vainqueur, dès le 1er tour. Qu’en dites-vous ?
Je dois d’abord préciser que cette cérémonie, comme vous l’appelez, était un véritable exercice collectif d’exorcisme. Tout y était : les incantations contre le diable qu’est l’opposition, les allégories comme celles du navire, les danses… Il fallait chasser le démon qui hante les rangs de Bby : la défaite électorale aux prochaines présidentielles. Une fois l’illusion d’avoir chassé le démon bien assise, le résultat est alors déclamé : le sondage sorti de la potion magique : 54 %.
Ne pensez-vous pas quand même que le président Sall est parti pour rempiler à la tête du pays, vu la configuration actuelle et le rapport déséquilibré des forces entre le pouvoir et l’opposition ?
Quel est le rapport de force réel dans le pays ? Ce n’est pas celui que Macky tente coûte que coûte de façonner à travers l’élimination d’adversaires politiques, l’achat d’appareils et de personnalités dits transhumants, l’organisation de messes ou la promotion d’une image hégémonique à travers les médias acquis. Le rapport de force, il est établi par le vote des électeurs. Or, la mesure objective la plus récente que nous ayons du rapport de force, ce sont les résultats des dernières élections législatives que le camp de Macky Sall avait déclaré être ‘’le premier tour des présidentielles’’. Bby avait obtenu 1 637 761 sur 3 337 494 votants, soit 49,47 %. C’est ici qu’il faut rechercher la hantise du deuxième tour et de la défaite qui habitent Macky et ses partisans. Cette hantise est d’autant plus forte que ses 1 637 761 voix ne pèsent pas lourd, comparés aux 6 219 446 inscrits. C’est pourquoi, tout a été entrepris pour réduire les nouvelles inscriptions et organiser la rétention des cartes. Sans compter le coup d’Etat électoral en préparation. En désespoir de cause, il mise sur les transhumants pour combler l’écart. Mais il n’a pas retenu les leçons de la chute de Diouf et de Wade qui montrent que ceux-ci repoussent plus de voix qu’ils en apportent.
Pensez-vous que l’opposition soit aujourd’hui assez structurée pour imposer un rapport de force au régime ?
Ce sont les dynamiques populaires qui déterminent ce rapport de force, mais pas la somme d’appareils politiques.
Oui, mais à six mois des élections, nous ne notons aucune organisation à même d’inquiéter le président sortant. Pas de coalition électorale digne de ce nom. Une multitude de candidatures qui se déclarent çà et là. Pensez-vous que, dans ces conditions, elle puisse amener le président Sall au second tour ?
Les luttes de l’opposition se sont focalisées jusqu’ici sur la défense des libertés, des droits des citoyens et des leaders injustement condamnés, les conditions d’un scrutin régulier et sincère, l’élaboration interne des stratégies et d’outils de lutte électorale. Après les intentions déclarées de candidature, le dialogue sur les conditions de la victoire de l’opposition va s’imposer. Vous verrez bientôt surgir les coalitions à même de battre Macky Sall.
L’absence de structuration et de regroupement n’est-elle pas aujourd’hui un handicap pour l’opposition ?
Chaque étape historique a ses réalités. Les coalitions de 2000 ne se sont pas opérées comme celles de 2012. En 2000, l’Alliance autour de Wade était hégémonique dans l’opposition et a remporté les élections. En 2012, Benno Siggil Senegaal (Bss) aurait dû remporter la victoire, n’eût été l’absence de consensus rendu impossible par l’entêtement de deux candidats qui disaient ne vouloir rien d’autre qu’être président de la République. Ce qui a permis à la coalition Macky 2012 de se faufiler et de faire un président par défaut : Macky Sall.
Les coalitions de 2019 seront encore différentes, précisément à cause des projets politiques dont vous parlez. En 2000 et en 2012, il s’est produit une alternance-continuité qui a ruiné les espoirs de changement pour lesquels le peuple s’était mobilisé. En 2019, nous voulons promouvoir une alternative qui assure les ruptures nécessaires pour un véritable Etat de droit, avec la séparation réelle des pouvoirs et la fin d’un présidentialisme autocratique, la démocratie participative permettant aux citoyens d’exercer pleinement leurs droits et leurs libertés reconnus par la Constitution, la prospérité partagée mettant fin aux monopoles et aux discriminations qui favorisent l’enrichissement des leaders au pouvoir et de leurs familles et amis, notamment à travers l’allocation et l’utilisation des ressources publiques.
Sous quelle forme comptez-vous vous présenter à la prochaine présidentielle ?
D’abord, on est dans une initiative qui s’appelle ‘’Fippu’’. Dans cette initiative, nous avons commencé à rencontrer tous les candidats que nous appelons des ‘’patriotes’’ pour leur expliquer qu’ils ne peuvent pas se positionner individuellement, parce que s’ils le font, le rapport de force sera en faveur des prédateurs, que ce soit de l’opposition ou du pouvoir. Donc, tous ceux qui se réclament du patriotisme véritable doivent aujourd’hui mutualiser leurs forces. Nous voulons les convaincre que, s’ils sont candidats, ils peuvent être candidats à l’interne et que nous allons établir un mécanisme de sélection qui sera accepté par tout le monde et qui fera consensus. A l’issue de cette sélection, le candidat qui sera choisi sera soutenu par les autres qui s’aligneront derrière. Nous sommes donc dans ce travail.
Avec la Ld-Debout comme cadre ?
Oui, il y a la Ld-Debout et d’autres organisations. Actuellement, l’initiative est composée d’une quinzaine d’organisations.
Peut-on s’attendre à ce que cette coalition puisse cheminer avec le Front démocratique et social de résistance nationale ?
Ça dépend. Ce que nous voulons, c’est d’un candidat patriote. Nous ne voulons pas d’un candidat prédateur. Et du point de vue historique, il y a dans le pouvoir actuel des prédateurs. Mais dans l’opposition aussi, il y en a qui sont déjà passés au pouvoir et qui se sont révélés être des prédateurs. Donc, nous ne sommes pas avec les prédateurs.
Avec le système du parrainage, est-ce que l’opposition n’est pas aujourd’hui contrainte de s’unir ?
Ce n’est pas le système de parrainage qui va contraindre l’opposition à s’unir, mais la nécessité de mutualiser les forces pour vaincre Macky Sall et sauver le pays du désastre qui est déjà là.
Quatre-vingt-sept candidats à la candidature à la présidentielle se sont déjà signalés, en attendant d’autres. Ne redoutez-vous pas que le parrainage, censé rationaliser les candidatures, n’exacerbe la situation ?
Non ! Je ne pense que le parrainage augmente le nombre de candidats. Toutefois, il ne faut pas non plus justifier le parrainage en tant que parade contre la prolifération, en exhibant ces 87 candidats à la candidature comme le font les partisans de Macky. Aujourd’hui, personne ne connait le nombre de candidats, parce qu’il n’y a pas encore un seul candidat officiel, même pas Macky. Dans ces conditions, vouloir confondre l’intention d’être candidat et le fait d’être candidat est une véritable supercherie visant à accréditer le parrainage auprès de l’opinion. Malheureusement, des responsables du parti-Etat n’ont pas hésité à franchir le pas.
Comment appréciez-vous la configuration de la gauche sénégalaise qui semble aujourd’hui être absorbée par la coalition Bby ?
L’identité politique de la gauche ne réside pas, pour l’essentiel, dans les appareils, mais dans des valeurs et principes qui guident l’action politique dans la lutte contre les inégalités et les oppressions, pour la justice sociale, le progrès de l’humain et la solidarité des peuples. Les appareils peuvent errer historiquement, mais ces valeurs restent constantes et sont toujours portées par des femmes et des hommes de conviction.
Est-ce qu’aujourd’hui la gauche sénégalaise n’est pas en train de disparaitre tout simplement de l’échiquier politique avec le Pit, la Ld, le Ps, l’Afp et autres qui ont décidé de porter la candidature de Macky Sall ?
C’est vrai que les appareils dont vous parlez sont, tous, en décomposition. Mais comme chacun peut l’observer, les forces progressistes s’en sont détachées et s’en détacheront encore plus avec ce processus de décomposition. Et ces forces progressistes sont actuellement engagées dans la lutte pour la recomposition politique en cours et pour le triomphe d’une alternative politique et citoyenne contre le régime de Macky Sall.
PAR ASSANE MBAYE