Le Fouta-Toro dans toute sa diversité
Redonner au Fouta-Toro sa diversité culturelle que certains ont tendance à bafouer au nom de considérations politico-économiques et sociales, constitue l’un des objectifs d’Ibra Ciré Ndiaye, dans son nouvel ouvrage publié aux éditions L’Harmattan.
Basta ! Le cri est puissant. Il est lancé par un distingué intellectuel, enfant du Fouta-Toro. Enseignant-chercheur à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, l’homme n’en peut plus de souffrir, sans piper mot, des multiples récits élevant certains fils de cette contrée du nord du Sénégal, rabaissant d’autres fils non moins fils de la même contrée. Au nom de la concorde, il plaide : ‘’Le vivre-ensemble ne doit pas être fragilisé. Il n’est possible que dans le combat contre toute forme de domination et pour le respect des personnes sans jamais renoncer ni baisser la garde. Quand l’histoire est prise en otage par l’étalage de soi, la superstition et l’idolâtrie, la tradition perd l’objectivité de ses récits. L’obscurantisme et le mimétisme prennent une place démesurément dangereuse et néfaste dans une société pétrie d’illusions et de conflictualités souvent improductives.’’
Il a partagé cette réflexion dans son ouvrage intitulé ‘’Temporalités et mémoire collective au Fouta-Toro, histoire d’une aliénation culturelle et juridique’’ publié aux éditions L’Harmattan.
Dans cet ouvrage de 267 pages, achevé d’imprimer en septembre passé, Ibra Ciré Ndiaye s’efforce de démontrer que les Satigui ne sont pas si inférieurs comme certains suprématistes tenteraient, selon lui, de le faire croire. Corollairement, les Almami ne sont pas aussi supérieurs. Revisitant l’histoire, il montre comment les premiers ont pu régner, en tant que rois, dans le Fouta-Toro, de 1495 à 1778. A en croire l’anthropologue du droit, tout est question de pouvoir, de prestige dans certains slogans brandis par les uns sans aucun fondement. Il déclare : ‘’Le relief des existences dans cette zone géographique du Sénégal s’inscrit souvent dans une volonté d’embellir des séquences politiques pour mieux sacraliser l’image d’un système politique qui, pourtant, dévalorise l’autre, instrumentalise les personnes et le système politique.’’
Cela dit, Ibra Ciré, bien que tenant à rétablir sa part de vérité, ne cautionne pas l’idée consistant à distribuer des privilèges selon certaines considérations d’ordre social. Il ne suffit pas, selon lui, d’être né dans une famille ou originaire d’un terroir pour prétendre être plus légitime que les autres. ‘’Aucune excuse sociale ou sociologique ne saurait légitimer un quelconque privilège’’, peste le formateur à l’Idhp. Défendant que l’ouvrage est plus ‘’une remise en cause des bases de raisonnement et des sources de légitimation à travers de nouvelles dynamiques des relations de pouvoir et d’autorité dans cette zone géographique’’. Il permet ‘’d’analyser, entre ombres et lumières, afin de mieux se projeter dans une modernité plus humaine enracinée dans la liberté et l’égalité des personnes, l’inventivité et la parentalité’’.
Reprenant Umberto Eco, l’auteur plaide pour un esprit critique afin de déjouer le règne du faux et de la manipulation contre le nivellement et la standardisation. ‘’Entre splendeurs et misères, souligne-t-il, l’histoire du Fouta-Toro n’a pas échappé à ces fabrications du faux au gré des fantasmes et des illusions motivées principalement par l’exercice et la conservation du pouvoir, une quête de reconnaissance sans relâche de ses leaders et habitants’’. Et d’affirmer : ‘’Nul n’est obligé de vivre ou de reproduire un système de valeurs aliénant aussi injuste que celui du Fouta-Toro entre mesquinerie et ambiguïté feintes qui en sont les freins qu’il convient de desserrer.’’
Dans sa tâche, l’auteur s’emploie véhément à restaurer l’estime de soi chez les populations exclues du pouvoir et qui n’osent prétendre à aucune fonction élective dans leur communes d’origines. ‘’Pour analyser toutes ces prophéties autoproclamées, il convient de déconstruire l’imaginaire et les discours qui tronquent l’histoire pour l’attractivité du pouvoir… C’est souvent sur des récits fondateurs prophétisés que le système torodo aux porosités historiquement constatés a construit des mythes, des légitimités et faire-valoir pour construire des inégalités de destins fondés sur la discrimination et l’exclusion’’.
Ibra Ciré Ndiaye considère qu’il est indispensable de sortir de la ‘’conception toxique et nocive qui consiste à inventer des récits, des généalogies prophétisantes et des dates fictives pour tenter ensuite de s’ériger en fierté locale. Cela est devenu une fiction locale tissée fil à fil pour rendre l’histoire du Fouta-Toro conforme à leurs récits’’.
Pour lui, il ne s’agit nullement de renverser un quelconque ordre établi, mais surtout ‘’dans un processus de réhabilitation de la diversité culturelle des bâtisseurs du Fouta-Toro que sont les Sérères, Wolofs, Soninkés, Bambaras, Peuls... Ces rappels sont nécessaires pour comprendre l’étrangeté des discours des périodes actuelles que des travaux de recherche hésitent à reproblématiser et restituer’’.
MOR AMAR