Des structures plus malades que les malades
Malgré des engagements d’investissements de plus de 300 milliards F CFA dans le Programme d’investissement sectoriel (Pis) 2017-2021, la plupart des hôpitaux sénégalais manquent encore de tout pour assurer aux populations des soins de qualité. Alors même que l’inventaire de ce plan n’a pas encore été fait, le gouvernement parle du prochain programme chiffré à 500 milliards F CFA.
Le mal est profond. Malgré les mannes financières importantes dégagées par les pouvoirs publics, le système sanitaire sénégalais semble aller de mal en pis (voir ailleurs). En dépit des enveloppes financières dépensées au fil des budgets et des programmes. Alors qu’on n’a pas fini de faire le bilan du Programme d’investissement sectoriel 2017-2021 (toujours en cours), l’on parle déjà d’un nouveau plan qui est chiffré à 500 milliards F CFA et qui va couvrir la période allant de 2020 à 2024.
Relativement au plan précédent, le budget était estimé à 355,7 milliards F CFA, dont 56 % consacrés aux équipements et aux infrastructures. ‘’Les besoins en équipements médicaux sont estimés sur la base de la carte sanitaire. L’acquisition des équipements devra prendre en compte toutes les nouvelles constructions, les réhabilitations, les besoins de relèvement des plateaux techniques et la création des services de maintenance des centres de santé’’, soulignait le rapport.
L’équation des personnels
Mais pour Cheikh Seck, aussi important soit cette question des équipements, cela ne doit pas cacher le manque criard de personnels dans lequel sont plongés les établissements de santé. Il fulmine : ‘’Pour moi, les problèmes véritables de nos hôpitaux sont ailleurs. La vraie politique que nous devons mener, c’est d’accentuer les politiques de prévention pour que nos hôpitaux sous-équipés ne soient pas débordés. Notre défi est de former et de recruter des personnels en quantité et en qualité suffisante. Sans cela, on a beau équiper, on ne réglera aucun problème. C’est pourquoi je ne veux pas tomber dans ce piège.’’
Dans le Pis 2017-2021, ce volet recrutement des personnels a été bien pris en compte. Il était, en effet, prévu le recrutement de 3 169 infirmiers diplômés d’Etat, 1 203 techniciens supérieurs, 3 373 assistants infirmiers, 200 médecins spécialistes, 536 assistants sociaux, 646 agents d’hygiène, 1 488 SFE, 36 travailleurs sociaux et 35 pharmaciens. ‘’La satisfaction des besoins en médecins, IDE et SFE va faire évoluer les ratios de 1 médecin/14 109 habitants en 2015, à 1 médecin/10 185 habitants en 2021 ; -1 IDE/14 697 habitants en 2016 à -1IDE/14 120 habitants en 2021 ; et 1 SFE/3 034 Far en 2016, à 1 SFE/1 546 Far en 2021’’, plaidait le document.
Ces projections, selon les experts du ministère, confirment l’urgence pour le secteur à mettre l’accent sur ces catégories de personnel et à décentraliser leur gestion, pour mieux répondre aux besoins des formations sanitaires.
Selon toujours les estimations, l’incidence de ces recrutements sur la masse salariale devait être de plus de 18 milliards F CFA sur la période. ‘’Cette projection est fondée sur le salaire indiciaire et ne tient pas compte (i) des augmentations de salaires dans la Fonction publique sur la période et (ii) des primes et indemnités allouées aux personnels médicaux et paramédicaux. Le coût estimatif du personnel additionnel est de 18,674 milliards F CFA’’, précisait le Pis 2017-2021.
Qu’est-ce qui a été fait de cette manne financière ? Les objectifs assignés ont-ils été atteints ? Mystère et boule de gomme ! Une chose est sûre : très réticente quand il s’agit de recruter des personnels ou d’équiper des structures, le gouvernement dépense sans compter, quand il s’agit de la prise en charge du coronavirus. Il envisage même de casser la tirelire pour se payer le luxe d’être parmi les premiers pays vaccinés, alors même que rien n’a été fait pour convaincre de la nécessité ou de la qualité des vaccins.
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Ziguinchor, des agents crient leur ras-le-bol
Pendant que les autorités sanitaires semblent confinées par le coronavirus, l’hôpital de la Paix de Ziguinchor, à l’instar de la plupart des hôpitaux, continue de crouler sous le poids de la misère.
Dépourvu presque de tout, l’hôpital de la Paix de Ziguinchor se trouve dans un piteux état qui a poussé certains de ses agents à saisir ‘’EnQuête’’ pour lancer l’alerte. ‘’Nous alertons, parce que l’hôpital n’a plus les moyens d’assurer aux populations des soins de qualité. C’est pourquoi nous lançons cet appel au ministre, aux autorités administratives et à toutes les bonnes volontés’’, confient nos interlocuteurs.
Concrètement, les maux dont souffre Ziguinchor pourraient se résumer en deux principales catégories. D’une part, un déficit criard d’équipements du bloc opératoire. D’autre part, une insuffisance de personnels. Dans le détail, nos sources signalent un manque de lampes opératoires, de respirateurs, de consommables, de matériel d’endoscopie, pour ne citer que ces équipements. "Actuellement, soulignent les agents, les interventions chirurgicales programmées sont suspendues. Seules les urgences sont prises en charge".
Aux autorités sanitaires, ils signalent également la panne de la colonne d’endoscopie de gastro-entérologie. ‘’Depuis trois mois, précisent nos interlocuteurs, les fibroscopies ne sont pas faites à l’hôpital, à cause de cette panne".
Les membres du personnel interpellent ainsi les autorités pour une réaction diligente, afin de permettre aux populations de la zone Sud, voire au-delà, de bénéficier d’une prise en charge correcte. Ils pestent : "Cet hôpital reçoit des malades de Ziguinchor, de Sédhiou, de Kolda et même de Vélingara. Il reçoit aussi des malades de la Guinée-Bissau et de la Gambie. Les populations sont très fatiguées par les difficultés actuelles de l’hôpital."
Afin de permettre à la structure de remplir pleinement sa vocation, ils demandent que l’hôpital soit parmi les priorités du plan d’investissement du ministère de la Santé. A les en croire, l’hôpital de la Paix doit être érigé en hôpital de niveau 3, à vocation sous-régionale, vu sa position géostratégique.
Un mal endémique
Cette situation décrite par des médecins qui, nuit et jour, en temps de crise comme en temps normal, rappelle la sortie fracassante du professeur Moussa Seydi en avril dernier, à propos de la prise en charge des malades du coronavirus. ‘’Le service de réanimation du centre hospitalier régional de Ziguinchor, s’indignait-il, n’est pas du tout fonctionnel. Ce service de réanimation n’est pas construit selon les normes, alors que quand on gère ce genre de maladies, on doit se préparer au pire’’.
Très préoccupé, le coordonnateur national de la prise en charge des patients atteints de Covid ajoutait : ’’J’insiste à ce niveau. Ziguinchor ayant une Unité de formation et de recherche (UFR) Santé (à l’université Assane Seck) et des professeurs de talent dans cette UFR, il est inconcevable qu’il ne puisse pas se doter d’un service de réanimation répondant aux normes. C’est la fausse note majeure que j’ai constatée à Ziguinchor’’, a poursuivi le Pr. Seydi, invitant à mettre ‘’le focus sur les cas très graves qui nécessitent une intubation ou une réanimation’’.
Dans la foulée, puisque le coronavirus semble devenir la seule véritable priorité des autorités sanitaires, l’Etat avait vite réagi pour calmer les ardeurs. L’on se rappelle tout le tollé qui s’en est suivi et qui avait opposé le prof indélicat et les fonctionnaires du ministère, plus préoccupés par la défense de leurs postes.
Pendant ce temps, la région souffrait en silence d’autres maux aussi préoccupants. Las d’endurer dans leur coin, les personnels crient au secours.
MOR AMAR