L’approvisionnement correct en oxygène, la grande crainte
Relativement épargné jusqu’ici par la pandémie, le Sénégal subit de plein fouet la deuxième vague de Covid-19 qui force les régions les plus touchées du pays à revenir vers des mesures sanitaires strictes. Le défi réside dans la prise en charge.
Va-t-on vers une saturation des Centres de traitement des épidémies (CTE) ? En tout cas, tout porte à le croire. Au vu de ce qui se passe dans la région de Dakar, il y a de quoi s’inquiéter. La nouvelle vague de contamination fait énormément de dégâts. Le porte-parole d’un syndicat souligne que la situation est hors de contrôle dans les hôpitaux publics. L’augmentation des cas va forcément conduire à la saturation des CTE. D’ailleurs, le directeur du Samu national semble confirmer les propos du syndicaliste. Il alerte sur le nombre de cas sévères pris en charge dans ces structures ayant atteint la barre des 300 patients.
Cette situation met sous tension tous les services de réanimation qui sont fortement sollicités
La deuxième vague est en train de mettre le système de santé à rude épreuve. ‘’Au-delà des cas graves traités en réanimation, nous avons également des cas sévères. Et c’est important. Parce que les cas sévères, si on note bien, ce sont ceux qui sont dans les CTE. Depuis que la prise en charge à domicile a commencé, les cas asymptomatiques, c’est-à-dire des personnes qui ne présentent pas de risques vitaux ou des complications majeures, sont confinées à domicile avec un suivi. Mais les cas sévères qui nécessitent une prise en charge rapprochée, qui nécessitent parfois l’administration d’oxygène ou d’autres médicaments, sont dans les CTE’’, explique le directeur du Samu national, Pr. Mamadou Diarra Bèye.
Un tour dans quelques CTE de Dakar permet de constater la réalité du défi de la prise en charge. Même s’il est difficile d’y accéder, faute d’autorisation, notre curiosité a permis de voir les contraintes auxquelles sont confrontés les agents de santé pour traiter les malades. Non pas par manque de moyens, mais plutôt par le nombre exorbitant de patients. ‘’Il est difficile de travailler ici. On ne se repose pas. Cette situation est très différente de la première. J’ai l’impression que nous ne traitons pas le même virus. Celui-ci est très virulent et agressif. Les signes sont différents, de même que les manifestations, et les gens meurent tellement vite. Prions pour que cela ne se répande pas dans tout le pays, parce que nous ne pourrons pas faire face’’, prévient un médecin traitant dans un CTE à Dakar.
A son avis, il ne s’agit pas d’une question de moyens, parce que les centres ont les équipements qu’il faut. ‘’On ne comprend jusque-là pas beaucoup de choses. Chaque malade a sa propre réaction. Le virus change, du jour au lendemain. En plus, la majeure partie de nos patients ont des pathologies sous-jacentes. C’est très compliqué’’, confie notre source.
Grande consommation d’oxygène, la peur des praticiens
Un avis partagé par son collègue qui souligne qu’à un moment donné, ils seront confrontés à un déficit de ressources humaines. Un malade peut mobiliser trois à quatre médecins. ‘’On peut passer une semaine à surveiller un malade sans se reposer. Ce n’est pas évident. Cette souche nous inquiète. En plus, les malades arrivent à un stade très critique. Heureusement que maintenant, tous les lits disposent d’oxygène. Sinon, on allait tous les jours évacuer les patients vers les centres de référence. C’est inquiétant. Nous devons faire très attention’’, avertit-il.
C’est une situation, dit-il, très difficile, aussi bien pour les populations que les soignants. Parlant des patients hospitalisés dans les CTE, il informe que ces derniers consomment énormément d’oxygène. Cette thèse est confirmée par le Pr. Bèye, qui informe que les malades prennent 10 à 15 litres par minute. On peut comprendre aisément la charge de travail.
Cette grande consommation d’oxygène crée une peur bleue chez les praticiens par rapport à son approvisionnement permanent. Le docteur Massamba Diop souligne que la consommation est énorme, alors qu’on est seulement au début de la deuxième vague. ‘’A ce rythme, nous craignons un problème d’approvisionnement d’oxygène. Pour le moment, il n’y a rien de contraignant, mais il faut se préparer à toute éventualité. Parce que, dès qu’il y a des difficultés liées à l’oxygène, le patient est évacué et, à la moindre tracasserie, il peut perdre la vie en cours d’évacuation. C’est des choses très délicates. Nous prions que cela n’arrive pas’’, implore le Dr Diop.
Embouchant la même trompette, son collègue, le docteur Ibrahima Ndiaye, souligne que, pour le moment, le problème ne se pose pas. Mais si, par malchance, le virus se propage dans tout le pays, la demande sera énorme. ‘’Nous souhaitons juste que toutes les dispositions soient prises pour un approvisionnement correct. Parce qu’au début de la maladie, on était confronté à un déficit d’appareils de réanimation et de respirateurs, entre autres. Mais beaucoup de choses ont changé. Toutes les craintes, c’est l’oxygène. On peut ne pas avoir des soucis à ce niveau aussi’’, dit-il.
Avec le nombre élevé de cas graves et de décès, le débat sur la réanimation refait surface. Mais, de l’avis du médecin-colonel chef du Service d’anesthésie-réanimation-urgence hémodialyse de l’hôpital Principal de Dakar, la problématique de la réanimation ne se pose plus.
Selon le professeur Khalifa Ababacar Wade, tous les malades qui rentrent en réanimation ne meurent pas, contrairement à ce que disent ou pensent certains. ‘’Ce n’est pas le cas. En réanimation, les études qu’on a faites ici à Principal, montrent que le taux de décès est entre 26 et 28 % en temps normal. Dans toutes les réanimations du monde, on dit qu’un patient en réanimation sur quatre meurt. Des études ont montré que, dans certains pays développés, le taux de mortalité est au-delà de 28 %. La réanimation est destinée aux patients les plus lourds. Donc, forcément, on va avoir plus de décès en réanimation que dans les autres services. Au Sénégal, pour le coronavirus, on a une mortalité qui est inférieure, pour le moment, à la mortalité des autres pathologies’’, renseigne l’anesthésiste-réanimateur.
‘’Le nombre de lits en réanimation se met très rapidement en tension’’
Par ailleurs, il soutient que le pays dispose des mêmes équipements que les pays développés et la réanimation se fait de la même façon. Pour preuve, le médecin-colonel informe que déjà plusieurs personnes prises en charge au service de réanimation dudit hôpital sont guéries et rentrées chez elles. Il affirme que ses collègues et lui traitent des maladies beaucoup plus graves que le coronavirus. La seule différence est que la Covid-19 est médiatisée. Avant d’ajouter que la chose à régler, c’est l’arrivée tardive des patients.
D’ailleurs, à ce sujet, le directeur du Samu national note que, pour les cas graves qui arrivent en réanimation, parfois plus de 400 %, ce n’étaient même pas des cas suivis à domicile. A l’en croire, ce sont des patients qui restaient à la maison et qui, brusquement, présentaient des signes de détresse. ‘’Quand nous les interrogeons, nous nous rendons compte que ce sont des personnes qui sont malades depuis 10 jours’’. Attirant l’attention sur les conséquences de cette situation sur le système de santé, le Pr. Mamadou Diarra Bèye souligne que l’augmentation des cas graves cohabite avec les autres cas en réanimation dus aux pathologies qui n’ont absolument rien à voir avec la Covid-19. Ce qui fait que le nombre de lits se met très rapidement en tension.
La directrice générale de la Santé, par ailleurs coordonnatrice du CNGE, Docteur Marie Khemesse Ngom Ndiaye, souligne que la sensibilisation n’est pas de trop avec cette maladie. ‘’La fiche signalétique de l’OMS mise en place, à cet effet, montrait un taux de préparation de 62 % au Sénégal, plus un plan de préparation en place avec toutes les capacités dans une approche multisectorielle et multidisciplinaire. Les services sanitaires sénégalais, qui étaient à ce taux de préparation évalué avant l’apparition du coronavirus sur le territoire sénégalais, ont le grand défi de garder le juste équilibre consistant à continuer à bien prendre en charge la pandémie, avec la survenue de la deuxième vague, sans négliger les autres pathologies’’.
PREVENTION Le cri du cœur des urgentistes et épidémiologistes Actuellement, la plus grande arme contre cette pandémie, c’est la vigilance, selon le docteur épidémiologiste Boly Diop. Des familles ont perdu des proches à cause de ce virus, des patients sur des lits de réanimation ne savent pas s’ils vont s’en sortir. ‘’Soyons plus responsables et respectons les consignes. Si tout le monde respecte les mesures, nous pourrons vaincre ou réduire ce virus, avant l’arrivée du vaccin. Si on ne le fait pas, nous allons fatiguer nos familles, la population et le personnel soignant. Agissons en toute responsabilité’’, lance le Dr Diop. A son avis, dans les CTE, il y a tout ce qu’il faut pour traiter les patients. Mais le mieux est de faire en sorte de ne pas passer dans ces centres. Dans la même veine, l’urgentiste, Pr. Diouf, invite les gens à arrêter de tirer sur tout. Parce qu’aucun individu n’est plus citoyen que ceux qui se donnent corps et âme pour lutter contre cette pandémie. ‘’Notre seule arme la plus accessible, c’est la prévention, dit-il. Nous invitons tout le monde au respect des gestes barrières et à prendre soin de notre santé. Nous sommes épuisés physiquement et psychologiquement’’, exhorte le Pr. Niang. |
VIVIANE DIATTA