‘’Il est important d’aider les femmes à mieux faire l’allaitement‘’
Dans cet entretien, le spécialiste de néonatologie, chef du service pédiatrie de l’hôpital d’enfants Albert Royer, liste les maladies causées par l’absence de l’allaitement maternel durant les deux premières années de la vie de l’individu. Le professeur Ousmane Ndiaye estime qu’il faut, par conséquent, aider les femmes à avoir plus de temps à consacrer à leurs nouveau-nés.
Quel est l’impact de l’allaitement maternel sur la croissance d’un nourrisson ?
Pour l’allaitement maternel exclusif, il a un impact sur le développement de l’enfant sur le plan cognitif. Il peut également aider à prévenir les causes de mortalité chez les enfants. Quand on parle d’allaitement maternel exclusif, il ne s’agit que de seins, jusqu’à six mois. On ne donne aucun aliment à l’enfant. Cela veut dire que si l’on veut faire un allaitement maternel exclusif 24 heures/24, il faut être présent auprès de l’enfant. Les femmes qui ont d’autres obligations que celles familiales, ont beaucoup de soucis à assurer cela. Dans les pays développés, il y a des systèmes qui organisent cela.
Ce sont des coins qui sont aménagés dans les structures de travail, pour permettre aux femmes d’avoir leurs nouveau-nés et les nourrissons à côté. Ce qui n’est pas le cas chez nous. Nous n’avons pas l’espace ou l’organisation qu’il faut. D’autres pays ont changé leur législation pour permettre aux femmes de rester six mois à un an à domicile pour faire l’allaitement maternel exclusif. Ici, les conditions sociales et environnementales sont extrêmement difficiles. Et il est souvent très difficile, pour une femme, de confier son enfant à un autre.
Quelles sont les alternatives possibles ?
Je pense qu’il est important qu’on aide les femmes à mieux faire l’allaitement maternel. Les enfants, même s’ils ont le même âge, à la date de naissance, ils n’ont pas parfois le même âge réel. On parle d’âge corrigé. A un enfant prématuré, il faut toujours lui ajouter le nombre de jours qui lui reste pour atteindre 40 semaines, qui est la date normale de la grossesse. Je pense, dans ce sens, qu’il faudrait qu’on fasse un plaidoyer pour permettre aux femmes d’avoir plus de temps pour l’allaitement maternel exclusif. Il y a l’extraction manuelle du lait maternel qu’on laisse à domicile pour permettre à une autre personne de le donner à l’enfant. L’allaitement, ce n’est pas seulement le fait de donner du lait, c’est également d’avoir un contact sensoriel avec l’enfant. Il y a le regard dans les yeux, le contact peau à peau, la chaleur... Tout cela est important pour le développement de l’enfant.
C’est pourquoi, il est important qu’on ait des mécanismes pour que les femmes qui viennent d’accoucher aient plus de temps avec leurs enfants. La résolution de ce problème est relativement complexe, parce qu’il y a des textes, des lois qui fixent la durée du congé de maternité. Je pense qu’avec une sensibilisation, un argumentaire très fort, on peut arriver à demander aux autorités, au niveau national, d’améliorer un peu la disponibilité des femmes. Ce n’est pas une approche du pédiatre seulement, mais c’est cette approche qui amène les éléments du plaidoyer. Le ministre de la Santé et tous les secteurs de la vie économique du pays doivent également s’impliquer. Je pense que cette sensibilisation doit être organisée, bien élaborée et bien menée.
A vous entendre, vous êtes pour un allongement ?
Je dis oui, pour plus de temps en faveur des femmes pour l’allaitement maternel. A mon avis, même si on ne peut pas faire un an comme dans les autres pays, je pense qu’il faudrait qu’on arrive à six mois. Certains pays disent un an et d’autres beaucoup plus. Il y a une période dite de vulnérabilité chez l’enfant. Elle correspond aux deux premières années de vie qui font partie des mille premiers jours. Ils commencent du début de la grossesse jusqu’à la fin de la deuxième année de naissance. Si on calcule le nombre de jours, cela fait mille jours.
C’est ce qu’on appelle la fenêtre de vulnérabilité où, si les enfants n’ont pas une bonne affection et une bonne nutrition, vont développer des maladies parfois à l’âge adulte. Si on parvient, au moins, pendant les six premiers mois, à avoir la disponibilité de la mère, cela permettra d’avoir un allaitement maternel exclusif bien accompli qui permet de prévenir toutes les maladies aigües de l’enfant et chronique de l’adulte. On sait aujourd’hui que beaucoup de maladies comme le diabète, l’hypertension, les maladies neurologiques sont programmées dans cette période, du fait du dysfonctionnement qui existe dans la nutrition et les rapports affectifs…
Quelles sont les autres affections dont peut souffrir l’enfant n’ayant pas bénéficié d’un allaitement exclusif ?
L’allaitement maternel exclusif protège contre les maladies respiratoires, la diarrhée, la pneumonie… Toutes les allergies. Nous, lors de nos consultations, nous ne faisons que la promotion de l’allaitement maternel, en disant aux femmes que si elles le font correctement, leur enfant sera moins malade. Avec l’allaitement artificiel, ils sont exposés aux diarrhées, ils ne produisent pas d’anticorps ainsi que tous les éléments contenus dans l’allaitement maternel.
Est-ce que vous avez fait des propositions pour la révision des congés de maternité ?
Les propositions sont toujours dans les textes de politiques d’allaitement maternel. Nous, on est arrimés à l’institution. Dans les stratégies nutritionnelles, il y a des propositions qui sont faites dans ce sens. Il y a des gens, à un certain niveau, qui doivent aider à cela. A mon avis, le problème, c’est que la sensibilisation n’est pas suffisante, parce qu’il y a beaucoup de choses qui doivent être faites. La sensibilisation n’est pas portée par les pédiatres, mais plutôt par les mères avec l’appui des pédiatres. Nous, on n’a que des arguments scientifiques ; notre argumentaire ne tiendra pas du tout.
Elles peuvent dire : ‘’On a une association de soutien à l’allaitement maternel exclusif et on veut que le congé de maternité soit élargi.’’ Elles peuvent sortir dans la rue, pour faire du bruit, sensibiliser l’Assemblée nationale, accompagnées d’un pédiatre qui explique aux parlementaires les avantages de l’allaitement maternel. Si l’enfant est bien nourri aujourd’hui, il ne sera pas une personne déséquilibrée demain ; il sera moins malade avec moins de dépenses en santé pour la famille et pour la société. Quel que soit le combat, il y aura toujours des détracteurs, mais l’essentiel, c’est d’avoir des convictions et des objectifs, et de se donner les moyens de les atteindre.
Je pense que le combat pour la révision des congés de maternité est le combat de tout le monde. Nous n’allons pas l’initier ; on a des arguments scientifiques, on les expose. Si une association vient nous voir pour l’aider dans le plaidoyer, nous nous engagerons dans le combat pour nos familles. Nous sommes aussi des Sénégalais. Nous le ferons pour réduire la mortalité des enfants de moins de 5 ans, pour améliorer le développement cognitif de l’enfant. Et la productivité passera par-là.
Pour les solutions alternatives comme les tire-lait, quelles sont précautions à prendre ?
Il y a le tire-lait et l’extraction manuelle du lait. Pour l’extraction, c’est la mère qui presse son lait dans un verre très propre. Il y a une technique existante qui lui permet de faire une pression sur le lait, sur une partie du sein. Cette technique permet d’extirper le lait qui peut être conservé. Pour ce qui est des tire-lait, ils sont vendus en pharmacie ou dans les officines. On peut utiliser une seringue pour celles qui n’ont pas les moyens. Quelle que soit la méthode utilisée, l’hygiène doit être de mise ; l’hygiène du récipient qu’on utilise, des mains et des seins de la mère. S’il y a une rupture dans cette chaine, on a des risques d’avoir des affections digestives chez l’enfant. C’est important d’insister sur l’hygiène.
Que conseillez-vous aux femmes qui préfèrent démissionner que de reprendre après deux mois de congés ?
Je pense que celles qui le font son sûres qu’elles peuvent être prises en charge d’une façon ou d’une autre. Quand on est dans la production, on produit pour soi-même, mais aussi pour la famille et pour tout le monde. Je pense que si on se retrouve avec des moyens limités, cela peut se répercuter sur la famille et aussi sur l’enfant. Si on démissionne pour aller s’occuper d’un bébé, je pense que c’est en accord avec la famille, avec le père qui pourra suppléer à toutes les impératives économiques. C’est vrai que choisir son enfant est le meilleur choix qu’on puisse faire, parce qu’il a besoin de vous et de votre affection.
En Afrique, on n’est pas toujours éduqué seul ; nous avons nos tantes, nos mères et grand-mères. Ce qui est important, c’est que l’enfant ne reçoit que le lait maternel.
Les familles ont de plus en plus tendance à se rétrécir…
Je pense que ce sont les mutations du développement. Nous avons des familles nucléaires maintenant et quelle que soit la situation, il faut trouver des alternatives. Ceux qui ont les moyens ont recours aux crèches des fois, mais c’est également confié son enfant à un autre et on ne sait pas ce qui va se passer. Aujourd’hui, beaucoup d’enfants ont des problèmes, il y a des affections que l’on ne rencontrait pas ici et qu’on rencontre de plus en plus comme l’autisme … Je pense que c’est à cause de ces mutations dans le modèle. Nous avions un très bon modèle, parce qu’on était soutenu par tout le monde et c’était bien pour nous, même psychologiquement.
Ce nouveau modèle doit aller avec les adaptations nouvelles. Dans les crèches, soit l’enfant a du lait maternel avec l’extraction, soit du lait artificiel qui n’est pas l’idéal. C’est plutôt une alternative quand on n’a pas de lait maternel du tout et quand on aura tout fait pour avoir à sa disposition du lait maternel. Nos mères n’allaient pas au travail, mais elles étaient prises en charge par nos pères, il n’y avait pas de crise. Avec les salaires de l’époque, on pouvait tout gérer.
HABIBATOU TRAORE