Les agriculteurs crient au scandale
La situation est dramatique dans le monde rural où les sols se sont appauvris, au fil des années. Cette année, l’engrais indispensable aux bonnes récoltes est introuvable. Pour crier leur désarroi à la face du pays, les paysans, regroupés au sein du GIE Distributeur et producteur agricole du Sénégal (Dispac/S) ont tenu, hier à Mbirkilane, une conférence de presse dans les champs, pour montrer de visu les problèmes auxquels ils sont confrontés.
''L'engrais est introuvable dans le pays, au moment où les plantes et les semis en ont plus besoin’’, fulmine Modou Ndiaye, Président du GIE Distributeur et producteur agricole du Sénégal (Dispac/S). Il dénonce la situation désastreuse qui prévaut dans le monde rural. En tant que structure agréée qui intervient dans la chaine de distribution des engrais, dit-il, ils n'ont reçu que 3 000 t d'engrais, contrairement à l'année dernière où 20 000 t leur avaient été attribuées. ''Il y a un gap important de 17 000 t, en 2021. Cette offre de 3 000 t est largement insuffisante, face à la forte demande du monde paysan en engrais, alors que nous avions prévu d'augmenter notre volume de vente cette année'', ajoute-t-il. Tout en notant une mauvaise politique et une absence totale de planification dans le système de distribution des engrais fabriqués par les Industries chimiques du Sénégal (ICS).
''C'est la croix et la bannière pour trouver de l'engrais, pour des paysans complètement laissés en rade et désabusés par une mauvaise politique'', crie Modou Ndiaye. A ce stade de l'hivernage, dit-il, les cultures ne se portent pas bien. Il impute la faute à l'État et aux ICS qui, selon lui, sont les seuls responsables de cette situation catastrophique. ''Les ICS, qui sont totalement détenus par des privés indiens, ne sont intéressés que par la vente de leurs produits, sans aucun souci de satisfaire le marché local au préalable. Ces privés indiens préfèrent vendre l'engrais à prix d'or aux nombreux pays étrangers qui frappent à leurs portes, alors que l'engrais est fabriqué au Sénégal. Un paradoxe pour un pays qui fait de la souveraineté agricole sa priorité'', dénonce-t-il.
Les distributeurs et producteurs agricoles ne comprennent pas que ''l'Etat du Sénégal autorise des dizaines de bateaux à gros tirant d’accoster, pour transporter de l'engrais à l'étranger, tout en sachant que le marché national n'est pas encore satisfait’’.
''Les ICS, poursuit-il, ont vendu les engrais à des pays étrangers comme le Brésil et d'autres pays de la sous-région, au détriment des paysans sénégalais. Rien qu'en juin 2021, selon lui, les ICS ont déjà exporté 90 000 t d’engrais, contre 66 000 t en 2020, sur une production annuelle de 250 000 t. D'habitude, les ICS gardaient un stock de 50 000 t pour satisfaire le marché national, avant de lancer ses opérations d'exportation’’.
‘’Le sac d'engrais qui coûtait entre 7 000 et 8 000 F CFA, est vendu entre 16 000 et 18 000 F CFA’’
''Les statistiques démontrent clairement que l'engrais, qui occupe une place importante dans la chaine de valeur agricole du pays, manque dans la campagne agricole 2021. Le sac d'engrais qui coûtait entre 7 000 et 8 000 F CFA, est vendu entre 16 000 et 18 000 F CFA, dans ce contexte de Covid-19 où la plupart des paysans sont frappés par la soudure. Les 7 000 F CFA fixés par l'Etat du Sénégal est le prix subventionné, mais le prix sur le terrain est de 16 000 F CFA’’.
Ecœuré, il déclare : ‘’L'état actuel des semis de mil, d'arachide, de maïs, de sorgho et autres spéculations ne donne pas espoir pour de bonnes récoltes en 2021.'' Il s’en prend à la tutelle : ''Le ministre est incapable de gérer ce secteur, car il est allé sur le terrain, après les pluies. Nous ne pouvons pas comprendre comment il a pu laisser l'engrais être exporté au Brésil, alors que ce dernier achète cet engrais pour l'année 2022. Au même moment, nous, nous n'avons pas assez d'engrais. Nous ne voulons plus des subventions. Nous voulons la libéralisation de l'engrais.’’ Modou Ndiaye, qui crie au ''scandale qui en dit long sur le peu d'intérêt accordé au monde rural et au secteur agricole''.
Les distributeurs et producteurs appellent à la responsabilité de l'Etat et des ICS pour que pareils dysfonctionnements ne se reproduisent plus dans la distribution des engrais. Tous sont convaincus que le mal est déjà fait et que les paysans sont sacrifiés. Ce qui va sans nul doute donner une mauvaise récolte, y compris le retard des pluies.
Aida Diène