Une démarche de ‘’survie’’ des meuniers
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L’Association des meuniers industriels du Sénégal (Amis) procède à une réduction périodique et collective de la production de la farine. Face à la flambée des prix du blé, elle demande à l’Etat de revoir le prix du sac de 50 kg de farine de blé.
Une faillite programmée ! C’est de la sorte que les meuniers, qui disent ne plus pouvoir continuer de vendre à perte, ont qualifié leur situation. Ils se sont ainsi engagés dans ‘’une démarche de survie sans précédent’’ dans l’histoire industrielle du Sénégal. Il est décidé, depuis hier, une réduction périodique et collective de la production, permettant de ‘’freiner le niveau des pertes enregistrées quotidiennement, ce jusqu’à ce qu’une réponse assurant la survie des meuniers soit clairement apportée’’. Pour la semaine en cours, la production nationale est arrêtée du mardi 2 au jeudi 4 novembre prochain. Par ce procédé, l’Association des meuniers industriels du Sénégal (Amis) entend assurer à ses concitoyens et partenaires ‘’un accès raisonnable’’ à la farine qui reste un produit de première nécessité et une production vitale.
‘’Nous ralentissons le chômage technique, inéluctable dans les prochaines semaines, au regard des enjeux de sauvegarde de l’emploi préalable aux options de licenciement économique. Par ce procédé, nous rappelons que les distributeurs de farine ne peuvent légalement pas apporter une augmentation du prix du sac de 50 kg, compte tenu du prix de vente pratiqué à ce jour par les meuniers industriels’’, a déclaré, hier, en conférence de presse, le président de l’Association des meuniers industriels du Sénégal, Claude Demba Diop.
Par cette démarche, les sept industries qui composent ce groupement entendent également exhorter les autorités gouvernementales à veiller à la stabilité du marché, dans l’intérêt de la filière et à apporter une réponse à la hauteur des enjeux. ‘’Les mesures que nous venons d’annoncer ont vocation à être reconduites à l’initiative des meuniers industriels du Sénégal, tant qu’une réponse définitive n’est pas trouvée’’, a dit M. Diop, estimant que ne pas agir ou perdre du temps, c’est aggraver la crise de la filière qui est à présent amorcée.
En effet, le 14 septembre dernier, les industriels avaient annoncé que la situation de l’industrie meunière sénégalaise était grave, préoccupante et que les acteurs étaient ‘’à genoux’’. Il y a la crise sanitaire générale et le dérèglement climatique qui ont provoqué une profonde déstabilisation des marchés mondiaux et surtout des prix des matières premières, en particulier le blé. ‘’Partout dans le monde, et chez nous en Afrique, les économies nationales sont obligées de s’ajuster par rapport à la flambée des prix des céréales et au doublement des prix du fret maritime’’, a expliqué le porte-parole du jour. Il souligne que l’article 30 de la loi du n°94-63 du 22 août (sur les prix de la concurrence et le contentieux économique) interdit formellement de vendre à perte.
‘’Nous rappelons que le décret du 14 janvier 2021 impose un prix de vente à 1 600 F que le prix du blé était de 270 euros par tonne. Actuellement, la flambée des prix du blé est ignorée par les autorités. En avril, puis en juillet, l’Amis a alerté le ministère du Commerce. Mais malgré ces alertes, le prix de revient de la farine vendue au Sénégal est bien au-dessus du prix de vente imposé par les autorités gouvernementales. En septembre 2021, nous avions sollicité en urgence une prise de décision rapide pour revoir le prix de la farine. Mais c’est en vain. De sorte que chaque sac livré depuis nos unités de production constitue une infraction flagrante à la loi sénégalaise, en plus d’amplifier les pertes de nos entreprises’’, regrette Claude Demba Diop.
Pour lui, le bon sens économique et social aurait voulu que leurs appels soient entendus et des solutions soient déjà trouvées depuis le mois d’avril 2021.
‘’La farine se vendra à 19 193 F CFA le sac’’
‘’Les industries meunières ne peuvent se laisser mourir, prises dans l’étau, entre des cours mondiaux des céréales en hausse constante et un blocage anormal des prix de vente de produits finis. Cette situation oblige indirectement les meuniers à subventionner le prix du pain. Une situation qui, indubitablement, mènera toute filière à une crise encore plus grave quand les meuniers auront disparu du jeu économique national. Les emplois, les taxes, le pouvoir d’achat seront absorbés au profit de quelques importateurs’’, a estimé Claude Demba Diop. Il rappelle que la dérégulation de toute la filière boulangère avait conduit aux assises de la boulangerie en décembre 2017 où les autorités avaient apporté une solution en régulant et en surveillant de près le prix de la farine homologué à cette date. Il souligne aussi que la dernière structure des prix de septembre 2021 a été approuvée au ministère du Commerce et l’attente des meuniers pour sa mise en place est tout simplement légitime.
‘’Dans tous les pays de la sous-région et du monde, les gouvernants ont réagi vite et bien, pendant qu’au Sénégal, les sept meuniers sont conduits à leur perte. Il y va de la préservation de notre autosuffisance en farine, du maintien de nos industriels et social. Il y va du sauvetage de l’industrialisation d’une filière garante d’un avenir pour nos jeunes’’, a dit Claude Demba Diop. Ainsi, pour lui, il est à présent urgent de statuer sur l’ultime levier d’ajustement, en révisant le prix du sac de 50 kg de farine de blé. ‘’Suivant la structure des prix, la farine se vendra à 19 193 F CFA le sac. Cependant, afin de garantir une stabilité du prix du marché, en complément de la TVA à 0 % et des droits de douane sur le blé à 0 %, les autorités doivent prendre la décision additionnelle de diminuer les impôts afin de compenser les pertes entre le prix de 19 193 F CFA et celui qui est pratiqué depuis le début du mois d’octobre’’, a préconisé Claude Demba Diop qui dit être convaincu que seule une industrie forte et dynamique peut apporter du développement, de l’emploi et des recettes fiscales nécessaires au devenir du Sénégal.
‘’Nous rappelons à la nation sénégalaise que les meuniers industriels sont des entrepreneurs consciencieux, des acteurs économiques responsables et des défenseurs indéfectibles de la production locale. C’est en cela que l’Amis s’adresse à tous ses partenaires économiques et gouvernementaux pour une vraie compréhension de la hauteur des enjeux. La filière, qui était jusque-là malade, est maintenant elle aussi à l’asphyxie’’, demande M. Diop.
BABACAR SY SEYE