“La transplantation permet de relever le plateau technique de nos hôpitaux’’
La prise en charge des maladies rénales fait face à d’énormes contraintes, surtout avec le retard du démarrage de la transplantation. Dans cet entretien, le nouveau président de la Société sénégalaise de néphrologie, dialyse et transplantation (Sosendt), le professeur Abdou Niang, fait un diagnostic de la situation avant d’expliquer les dysfonctionnements constatés au plan la transplantation rénale.
Vous sortez de l'Assemblée générale de la Société sénégalaise de néphrologie, dialyse et transplantation (Sosendt) dont vous êtes le nouveau président. Que pouvez-vous nous dire de la situation du Sénégal dans ces domaines ?
La situation de la néphrologie au Sénégal connaît des avancées significatives, même si beaucoup de choses restent à faire. Sur le plan épidémiologique, plus de 850 000 personnes souffrent de maladie rénale chronique (MRC) avec plus de 1 200 malades sous dialyse dans 24 centres de dialyse sur toute l'étendue du territoire. Cependant, plus de 1 000 patients sont inscrits sur les listes d'attente de dialyse. La biopsie rénale y est pratiquée. L'hémodialyse et la dialyse péritonéale sont disponibles. Sur le plan des ressources humaines, notre pays dispose de 42 néphrologues pour 17 millions d'habitants, soit 2,4/1 million d'habitants, 80 techniciens et infirmiers de dialyse. Sur le plan des ressources matérielles, 24 centres de dialyse avec un parc de plus de 400 générateurs sont disponibles dans le pays.
Quels sont vos projets avec vos nouvelles responsabilités ?
Les projets que nous comptons porter sont en droite ligne avec les objectifs de notre société. Ils se déclinent en 5 points : Nous voulons unir les membres animés d’un même idéal et créer entre eux des liens d’entente et de solidarité ; promouvoir la recherche et l’enseignement dans tous les domaines de la néphrologie. Il y a également l’objectif de participer à la formation continue en néphrologie. La contribution à l’éducation sanitaire et à la sensibilisation de la population est aussi retenue. En plus de cela, nous pensons qu’il faut favoriser les échanges avec les autres sociétés savantes nationales et internationales. Pour ce faire, nous allons organiser régulièrement des journées de sensibilisation en direction des populations. Organiser régulièrement des congrès et séminaires scientifiques pour contribuer à la formation continue des néphrologues et des médecins du pays. Nous comptons participer à la promotion de la recherche, en attribuant des bourses de recherche. Mais surtout de travailler en étroite collaboration avec l’expertise des pays du Nord, en vue du renforcement de capacités de nos équipes.
Beaucoup de défis vous attendent concernant la transplantation rénale. Êtes-vous optimiste de son démarrage sous votre magistère ?
Absolument ! Car les néphrologues sénégalais travaillent sur ce projet, depuis plus de 10 ans. Notre objectif étant d’avoir dans notre pays un véritable programme de transplantation rénale accessible à tous les Sénégalais.
Depuis le vote de la loi, pourquoi ce projet tarde à démarrer ?
Parce que nous voulons qu’avec ce programme, que le plateau technique de nos hôpitaux ciblés et les capacités opérationnelles soient renforcées. Il faut approvisionner le pays en médicaments anti-rejets et aussi subventionner le coût pour qu’elle soit accessible au plus grand nombre. Sinon, la transplantation rénale sera réservée à une minorité qui a les moyens d’aller le faire à l’étranger.
On a vu énormément de problèmes dans beaucoup de pays avec le trafic d'organes. Est-ce que toutes les dispositions seront prises pour encadrer cette transplantation ?
Ces dispositions sont déjà prises, car la législation sur la transplantation rénale au Sénégal ne concerne, pour le moment, que le donneur vivant apparenté (entre les membres d’une même famille).
Est-ce que tous les hôpitaux répondent aux normes pour démarrer ce projet ?
Tous les hôpitaux sénégalais ne sont pas aux normes de la transplantation rénale. Cependant, les hôpitaux ont besoin du soutien de l'Etat pour répondre aux critères du cahier des charges. Il faut souligner que l’activité de transplantation permet de relever le plateau technique de nos hôpitaux. Le Conseil national de dons d’organes est là aussi pour veiller au respect des normes.
La prise en charge des insuffisants rénaux constitue un véritable problème avec l'insuffisance de places. Quelle stratégie entendez-vous dérouler en tant que nouveau président pour régler cette situation ?
Cette situation est due à la forte prévalence de la maladie rénale chronique (MRC) au Sénégal décrite plus haut. Il faudrait mettre en place une politique optimale de prévention primaire et secondaire. Nous allons porter le plaidoyer au niveau des pouvoirs publics pour l’amélioration de l’accessibilité économique et géographique de la dialyse. Beaucoup d'efforts ont été faits, mais il reste beaucoup encore à faire.
Quel sera l'apport de la Société nationale de néphrologie dans la prise en charge des malades ?
La Sosendt sera un partenaire des autorités publiques et travaillera en étroite collaboration avec le ministère de la Santé et de l’Action sociale pour la résolution du problème de la prise en charge de la maladie rénale. Elle mettra son expertise, ses ressources humaines et matérielles pour combattre ce fléau.
En tant que président, avez-vous des perspectives spécifiques dans la lutte contre l'insuffisance rénale ?
Notre ambition est de faire jouer à la Sosendt un rôle décisif dans le défi mondial de la lutte contre l’insuffisance rénale. En tant que président de la Commission dialyse à la Société internationale de néphrologie (ISN), le Sénégal pourrait jouer un rôle majeur dans le Ren All Care Alliance qui a pour ambition de développer une machine de dialyse accessible financièrement et robuste pour sa maintenance qui pourra sauver des milliers de vies humaines dans les pays à ressources limitées.
Comment trouvez-vous la politique de prise en charge des malades d'insuffisance rénale ?
Le Sénégal a fait beaucoup d’efforts et de progrès dans la lutte contre l’insuffisance rénale. De deux centres de dialyse à Dakar, trois néphrologues et 10 machines en 2005, nous sommes passés à 24 centres de dialyse, plus de 400 machines de dialyse et une quarantaine de néphrologues en 2021.
Cependant, beaucoup de choses restent à faire dans le domaine de la recherche (registre nation de la MRC), du développement de la dialyse péritonéale et de la transplantation rénale, mais surtout de la prévention. C’est pourquoi nous pensons que la lutte contre l’insuffisance rénale doit faire l’objet d’un programme national, à l’image du programme (paludisme, tuberculose et sida) pour mieux prendre en charge toutes ces dimensions sur le plan politique. D’ailleurs, la Société internationale de néphrologie et l’OMS ont réalisé un cadre stratégique pour la lutte contre l’Insuffisance rénale dans les pays à ressources limitées. Il reste l’appropriation de ce cadre par les décideurs politiques de ces pays.
VIVIANE DIATTA