La renaissance
A l’agonie depuis longtemps, le livre sénégalais revit depuis quelque temps, avec pas mal de ses plumes qui brillent au-delà de ses frontières. A partir d’aujourd’hui, jusqu’au 5 décembre, il sera à l’honneur à la place du Souvenir africain sous le thème ‘’Littérature et Covid-19’’.
L’espoir renait. Au pays de Senghor, relève l’écrivain-éditeur Seydi Sow, le livre n’est pas encore mort. ‘’Loin s’en faut !’’, insiste-t-il très sûr de lui. ‘’Le livre garde toute sa vitalité. Aujourd’hui, il y a un grand espoir autour du livre ; une sorte de germination du livre dans le pays. On voit beaucoup de personnes qui écrivent, même les politiciens se mettent à écrire et c’est très important. Il faudra travailler davantage pour booster cet engouement, pour que le livre puisse atteindre les sommets, car cela est un excellent levier pour véhiculer nos valeurs culturelles’’.
Depuis quelque temps, des auteurs sénégalais brillent sur la scène internationale. L’apothéose, sans nul doute, a été le sacre de Mohamed Mbougar Sarr au Goncourt 2021. Avant lui, il y avait Boubacar Boris Diop, lauréat du prix Neustadt, pour son livre ‘’Murambi, le livre des ossements’’, le jeune Khalil Diallo, lauréat du prix Ahmed Baba pour son roman ‘’l’Odyssée des oubliés’’. Pour certains, c’est tout simplement une sorte de printemps pour le livre sénégalais.
Mais on est tenté de relativiser en entendant Seydi Sow, fondateur de la maison d’édition Salamata-Edisal. Il déclare : ‘’Le printemps, c’est beaucoup plus pour les auteurs expatriés qui sont de l’autre côté de l’océan Atlantique. Pour ceux qui sont au Sénégal, en dehors de Khalil Diallo, les auteurs ont été surtout édités à l’étranger. Mais on peut vraiment espérer, parce qu’il y a des auteurs de qualité comme Khalil que j’ai cité et il y en a d’autres. Mais le talent seul ne suffit. Il y a beaucoup d’autres paramètres à intégrer pour avoir des Mbougar.’’
Revenant fraichement du Salon du livre de Tunis, Mame Birame Diop, éditeur-fabriquant au niveau de la maison d’édition L’Harmattan, estime que le rayonnement desdits auteurs sénégalais a un impact réel sur le monde du livre au Sénégal. Il témoigne : ‘’Les gens s’intéressent au livre sénégalais dans son ensemble. On me demandait par exemple des auteurs que je n’aurais pas imaginés. En fait, en faisant des recherches sur Mbougar, par ricochet, on peut tomber sur Kalil, sur Fallia, sur Faty Dieng… Aussi, de l’étranger, on nous appelle pour nous demander des informations par rapport à certains auteurs. Il y a vraiment de jeunes auteurs sénégalais qui émergent du lot. D’où l’intérêt de la promotion.’’
Un livre, renchérit l’éditeur, ‘’c’est un produit. Pour le vendre, il faut en faire la promotion, aller vers ceux qui en ont besoin ; c’est-à-dire les amoureux du livre, de la lecture, de la littérature, du savoir. Certains sont des jeunes et consacrent une bonne partie de leur temps à Facebook. Il faut les y trouver pour leur présenter le produit’’.
Embouchant la même trompette, Seydi Sow donne l’exemple de Youssou Ndour qui est une star planétaire et qui a déployé des moyens colossaux pour faire la promotion de son nouvel album. ‘’Le livre, malheureusement, n’a pas tout ça. Les maisons ne disposent pas de puissance financière pour faire ce tapage. C’est la raison pour laquelle je pense que tout le monde devrait contribuer pour que la publication d’un livre soit un évènement. Il faut que les journalistes s’y intéressent comme ils s’intéressent à la politique. Malheureusement, on ne fait les bonnes feuilles par exemple que pour les personnalités, les politiciens souvent qui sortent des livres’’.
Aujourd’hui, le constat est unanime. Les Sénégalais lisent de moins en moins. Le livre, comme le dit M. Sow, est totalement absent de l’univers au Sénégal. Pour retrouver ses lettres de noblesse, il a besoin de cadre de respiration. ‘’Ce sont ces poumons-là pour respirer qui n’existent pas pour le livre. Il y a une quasi-absence des émissions littéraires. Les rares qui existent sont à des heures impossibles, à des heures où les téléspectateurs sont fatigués et ont envie d’aller se coucher. Pas à des heures de grande audience’’, fulmine le Grand Prix du président de la République pour les Lettres (1998). Aussi, argue-t-il, au Sénégal, il n’y a même pas de réseau de distribution de livre. ‘’Si vous quittez Dakar, vous allez dans les régions, la plupart des auteurs sont inconnus, parce qu’il n’y a pas de distribution. De plus, il n’y a pas de véritable critique du livre. Nous publions dans l’obscurité la plus totale. Nous avons besoin d’un œil expert pour nous dire oui ce que vous avez fait est excellent. Non ce n’est pas bon... La critique est malheureusement un parent pauvre chez nous. Et sans cela, on ne peut pas avoir d’œuvre qui s’approche de la perfection’’.
Mame Birame Diop est du même avis. Pour lui, les Sénégalais lisent de moins en moins les œuvres littéraires. Ils lisent surtout les livres de référence qui sont par exemple dans leur domaine d’études ou de travail. Très peu achètent des livres pour le plaisir de lire. Il précise : ‘’On publie beaucoup de romans, mais malheureusement, les romans ne se vendent pas beaucoup. Les livres qui se vendent le plus, ce sont les documents de référence, des documents qui touchent un domaine de l’éducation. Par exemple, quand on fait un livre sur les finances publiques, les étudiants et ceux qui sont dans le domaine vont l’acheter. Même chose en droit. Mais quand c’est en littérature par exemple, les gens ne se ruent pas là-dessus. Parce qu’aussi, notre système n’a pas suivi l’évolution de la littérature sénégalaise. On enseigne toujours la littérature française classique dans nos universités. C’est donc ce que les étudiants vont acheter. Si on imposait à l’étudiant d’étudier des auteurs comme Ken Bugul, Abdoulaye Elimane Kane… il allait les acheter quand ils sortent des livres dans nos maisons. Mais ce n’est pas le cas’’.
En attendant, insiste l’éditeur, la promotion est primordiale pour tirer son épingle du jeu. ‘’Un livre, souligne Mame Birame, c’est comme une jeune fille. Si le fond est bon, alors que la forme n’y est pas, ça ne se vend pas. Si la forme est bonne, alors que le fond n’y est pas, c’est aussi problématique’’.
La galère des auteurs Sans promotion, sans vente, les auteurs peuvent difficilement vivre de leur œuvre. Publier au Sénégal, c’est de plus en plus facile. Mais vivre de son œuvre, c’est quasi impossible. Un des auteurs les plus prolifiques, Seydi Sow, qui compte à son actif une vingtaine de productions et qui est également éditeur, se veut ferme là-dessus. ‘'Au Sénégal, peste-t-il, ce n’est pas possible pour l’écrivain de vivre de son art. Je suis catégorique. Aucun auteur ne peut vivre de son œuvre au Sénégal. Pour que l’auteur puisse vivre de son art, il faut que le livre soit vendu à grande échelle. Ce qui est loin d’être le cas pour divers facteurs’’. Parmi ces facteurs, il y a le diktat des librairies. Dans la plupart, on n’achète plus des livres aux auteurs, mais on fait ce qu’on appelle les dépôts vente. C’est-à-dire, l’auteur ou la maison d’édition qui ne dispose pas de librairies vient déposer ses œuvres et compte sur des ventes aléatoires pour être payé. Et souvent, ces librairies perçoivent jusqu’à 30 % du prix de vente du livre. ‘’Je pense que pour aider l’auteur à s’en sortir, il faut que les autorités puissent contribuer un peu. Parfois, lors des cérémonies, on voit certaines autorités. C’est déjà bien, mais ç’aurait été mieux si elles achetaient un lot d’ouvrages. Le livre et l’édition en ont vraiment besoin’’, indique l’auteur d’‘’Un fleuve de silence pour les larmes du cœur’’. Et d’ajouter : ‘’L’Etat doit également soutenir le livre, non seulement en achetant des ouvrages, mais aussi en prenant des lois qui promeuvent le mécénat dans ce domaine…’’ Ainsi, il est difficile pour les auteurs de s’en sortir. Ce qui ne manque pas de créer des tensions parfois avec les éditeurs. ‘’Parfois, tu vois un auteur qui met quatre ans pour vendre 1 000 exemplaires. Si c’est vendu à 5 000 FCFA, ça donne 5 millions. Vous vous rendez compte ! Avec 10 % pour l’auteur à 500 000 F CFA en 4 ans. Du coup, il peut penser qu’on lui a volé. Il m’arrive de faire les droits d’auteur et de voir qu’un auteur a 10 000 F ou 3 500 F, pendant toute une année. Il a envie de vous insulter quand vous lui dites ça. C’est difficile de gagner de l’argent avec le livre’’. Par ailleurs, pour espérer gagner ne serait-ce qu’un peu d’argent avec ses produits, il faut de la qualité. A ce propos, si certains auteurs essaient de faire des œuvres de très haute facture, d’autres ne font pas honneur à la littérature sénégalaise. Seydi Sow ne mâche d’ailleurs pas ses mots : ‘’Il y a, au Sénégal, de très bons livres ; il y en a d’excellents ; mais il y en a également d’exécrables comme dans toute activité humaine. Le livre ne peut y déroger. Et cela peut avoir un impact négatif sur la vente de livres. Il peut arriver que les mauvais livres empêchent aux bons livres d’être vendus. Les gens vont dire : ‘Les livres qui sont produits au Sénégal ne sont pas bons.’ Or, c’est parce qu’ils ont eu la malchance de tomber sur un mauvais livre. C’est aussi ça l’inconvénient.’’ Pour lui, s’il en est ainsi, c’est parce que l’édition n’est pas encadrée. N’importe qui peut se lever et s’ériger en éditeur, alors que c’est un métier qu’il faut apprendre et maitriser. ‘’Le président Wade disait, rapporte-t-il : il faut laisser publier tous ceux qui ont envie de publier. Les livres forts vont demeurer dans le temps. Les livres faibles vont disparaitre avec le temps’’. L’éclaircie Mbougar Cela dit, certains parviennent à sortir du lot, en produisant des livres de haute facture. Ainsi gagnent-ils non seulement du point de vue des ventes, mais aussi en remportant des prix sur le plan international. Selon certaines confidences, le livre de Mbougar a eu le mérite de montrer qu’il y a une demande réelle qui existe sur le territoire sénégalais et au-delà. Au niveau de L’harmattan, tout le stock du Goncourt 2021 a été épuisé en un temps record. Et il en serait de même dans d’autres librairies ayant pignon sur rue. Au-delà de Mbougar, Mame Birame Diop renseigne que des auteurs sénégalais ont réussi à emporter des pactoles, grâce à la vente des ouvrages. Il informe : ‘’Nous avons eu à payer jusqu’à 5 millions de droits d’auteur à des auteurs. Cela veut dire que si on fait un livre de qualité et que derrière, il y ait la pub qu’il faut, on peut bien s’en sortir.’’ |
MOR AMAR