‘’Nous pouvons dire que nous sommes la première fintech du Sénégal’’
Wave a fini de s’imposer comme un service financier mobile de référence. Dans cet entretien, son général manager au Sénégal revient sur le chemin parcouru, les défis à relever et les perspectives qui s’ouvrent devant la fintech. Coura Sène aborde aussi les questions que charrie la marche en avant de la fintech, notamment, la concurrence, les accusations de dumping, l’écosystème du transfert d’argent…
Wave est comme une invitée surprise du monde de la monnaie électronique. Comment l’idée de mettre en place une plateforme qui a aujourd’hui autant de succès est-elle née ?
Wave est née de la volonté de proposer des services financiers mobiles modernes et abordables aux populations africaines. En 2017, avant le lancement de Wave, plus de la moitié de la population de l’Afrique subsaharienne était encore non bancarisée. Par exemple, au Sénégal, pays où Wave a démarré ses opérations, il y a bientôt 4 ans, le taux de bancarisation strict se situait autour de 20 % et il est depuis lors relativement stable. En plus des banques, beaucoup d’autres acteurs proposaient des services financiers basés sur le mobile, mais nous avions identifié beaucoup de barrières qui freinaient leur utilisation.
Nous avons donc résolument décidé de contribuer à faire de l’inclusion financière une réalité pour tous, en maximisant les opportunités offertes par la réglementation et la technologie pour proposer des services financiers simples à utiliser et radicalement inclusifs, avec trois valeurs phares : une expérience client optimisée grâce à la technologie, des tarifs les plus bas possibles et un service client sur-mesure.
Aujourd’hui, nous pouvons tous constater la contribution significative de Wave en termes d’usage par la grande adoption de ses services financiers par les Sénégalais.
Comment évaluez-vous le chemin parcouru jusque-là, en termes de chiffres, mais aussi d’avenir prévisible en termes de croissance ?
Nous sommes fiers du chemin parcouru aussi bien au Sénégal que dans la sous-région. Nous pouvons dire que nous sommes la première fintech du Sénégal, en termes de nombre de clients actifs, de nombre de transactions et de nombre de salariés. En termes de chiffres, nous sommes passés de zéro à plus de la moitié de la population adulte au Sénégal qui utilise nos services au moins une fois par mois. Nous leur facilitons la vie en leur permettant de transférer de l’argent à leurs proches à moindres frais et de faire leurs paiements de factures et leurs achats gratuitement.
Notre réseau d’agents au Sénégal est composé de plus de 14 000 partenaires, majoritairement opérateurs économiques individuels qui perçoivent des rémunérations très intéressantes, grâce au grand dynamisme de notre produit.
Wave emploie près de 700 jeunes Sénégalais en contrat permanent direct et plus de 1 200 de manière indirecte. Ces chiffres, après seulement 4 ans d’exercice, prouvent que Wave a déjà une forte empreinte dans l’économie sénégalaise et qu’elle est appelée à être l’une des plus grandes entreprises du Sénégal.
La récente levée de fonds de 200 millions de dollars effectuée en juillet dernier auprès d’investisseurs de renommée internationale, a été une reconnaissance de la qualité du chemin parcouru et un ticket pour nous permettre de consolider nos opérations au Sénégal et de les étendre à tous les pays de la sous-région. Aujourd’hui, nous sommes également présents en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burkina Faso et en Ouganda.
Qu’est-ce que votre fintech apporte réellement de nouveau ?
Notre fintech Wave opère en partenariat avec les banques UBA et Ecobank au Sénégal et propose, comme toute autre fintech, des services financiers basés sur le téléphone mobile. En cela, elle n’a donc rien d’exceptionnel et s’inscrit dans un cadre réglementaire bien défini par la Banque centrale.
Cependant, on peut affirmer, sans l’ombre d’un doute, que le succès de Wave est venu du fait qu’elle a su apporter des innovations majeures dans la façon dont ses services financiers sont proposés aux Sénégalais.
Nous proposons la même chose, mais nous le faisons différemment ! Je dirai également que nous le faisons avec plus de simplicité et de facilité pour le client. Nous sommes véritablement une fintech, c’est-à-dire une entreprise technologique qui utilise le pouvoir de la technologie pour simplifier les parcours et l’expérience client.
Comme autre nouveauté, nous avons contribué avec fierté à remettre l’inclusion financière au cœur des stratégies de tous les acteurs de la monnaie électronique. En effet, le tarif est un élément clé de l’inclusion financière et de la digitalisation des paiements. Lorsqu’il est élevé, il constitue un frein et une incitation à la poursuite de l’utilisation du cash.
Nos tarifs très compétitifs et radicalement inclusifs nous ont permis de réduire fortement l’utilisation du cash dans des pans entiers de l’économie, en permettant à des opérateurs économiques de la pêche et de l’agriculture, par exemple, de privilégier l’utilisation à moindres frais de nos services au lieu du cash.
Wave est solidement ancrée au niveau de tous les quais de pêche du Sénégal, de Nguet-Ndar au Nord à Kafountine au Sud et sur tous les grands marchés du Sénégal sans oublier les ‘’Loumas’’, marchés hebdomadaires, dans les zones reculées.
A la différence de ses prédécesseurs, Wave a pénétré le Sénégal de l’intérieur, en donnant la priorité aux exclus des services financiers classiques et a d’abord été le partenaire des opérateurs économiques, en les aidant à digitaliser leurs transactions.
Max Cuvellier, responsable du développement du mobile à la GSM Association, évalue le marché des comptes actifs à près de 40 millions, alors que le secteur ne cesse de croître dans la zone de l’UEMOA. Cette rapidité de croissance est-elle source de nouvelles opportunités ou de nouvelles menaces à venir ?
La forte croissance dans le secteur du mobile est bien sûr source de nouvelles opportunités pour une fintech comme Wave dont l’objectif est d’inclure financièrement toutes les populations ; l’opportunité étant de permettre à tous ces détenteurs de comptes mobiles de réaliser des opérations financières avec leur téléphone mobile.
Wave a prouvé sa capacité à créer une croissance rapide et notre succès, notamment l’engagement des utilisateurs, a pu convaincre des investisseurs à faire de Wave la première licorne d’Afrique francophone évaluée aujourd’hui à plus de 1,7 milliard de dollars. Aujourd’hui, à presque seulement 4 ans d’activité, les perspectives de développement sont encore nombreuses et grandes. Il nous reste encore beaucoup de services à développer et beaucoup de personnes à inclure en Afrique subsaharienne.
Ne craignez-vous pas qu’un concurrent de taille ne vienne ravir votre place, si l’on sait bien que le secteur est instable ? Nous pensons, par exemple, à votre aîné Wari qui a été presque effacée de la carte au Sénégal ? Vous préparez-vous à une crise de croissance qui est toujours possible ?
Nous avons une très grande confiance en notre modèle et en notre produit, et nous sommes conscients qu’il y a de la place pour beaucoup d’acteurs. Nous pensons que tant que nous continuerons à proposer les meilleurs services aux clients et tant que nous opérerons en toute conformité avec la réglementation, nous continuerons à être le leader au Sénégal. Dans le domaine de l’innovation technologique et de la transformation digitale, la compétitivité et la possibilité pour de nouveaux entrants d’intégrer un écosystème sont aussi importantes, car elles peuvent permettre de galvaniser la créativité et redynamiser un marché.
Vu notre parcours, le relâchement n’est pas inscrit dans notre ADN et nous restons en contact permanent et à l’écoute de nos clients, afin de toujours leur offrir le meilleur.
On vous compare souvent à Orange Money qui est une filiale/société de Telecom avant tout. Une certaine rivalité pour ne pas dire adversité s’est installée. A-t-elle lieu d’être ? Jusqu’où peut-elle aller ?
On a bien raison de nous comparer à Orange Money (OFMS) qui est également une fintech, bien qu’étant la filiale d’une société de Telecom, la Sonatel. Il est normal que des concurrents rivalisent pour offrir le meilleur service à leurs clients. Cependant, cette rivalité doit rester équitable et conforme aux règles de non-concurrence déloyale.
La question de l’accès aux ressources de télécommunications pour toutes les fintechs, qu’elles soient filiales d’opérateurs de téléphonie ou pas, est une question capitale. Une fintech a, par exemple, besoin d’envoyer des sms à ses clients pour la notification des transactions ; elle a le devoir de mettre en place un service client accessible gratuitement par le client final pour ses réclamations. Les questions à se poser sont les suivantes : toutes les fintechs ont-elles un accès équitable à ces ressources télécoms ? A quels prix y ont-elles accès ? Ces prix sont-ils alignés avec ceux supportés par les fintechs filiales de société télécom ? Y a-t-il, de ce fait, une concurrence saine et équitable pour offrir les meilleurs services financiers aux Sénégalais ? Une startup à 100 % locale a-t-elle les mêmes chances de réussir ? N’est-elle pas freinée par des conditions et des coûts télécom prohibitifs ?
On reproche souvent à Orange sa filiation française. Qu’est-ce qui explique qu’on ne vous fasse pas le même reproche, quand on sait que Wave, même enregistrée à Dakar en 2016, est une startup américaine créée en 2011 par Drew Durbin et Lincoln Quirk ?
Drew et Lincoln ont créé Sendwave, leur première startup en 2011, spécialisée dans les transferts d’argent internationaux des USA vers l’Afrique de l’Est. Elle appartient désormais au groupe World Remit, un acteur majeur des transferts financiers internationaux. Soucieux de contribuer au développement des services financiers à l’intérieur de l’Afrique, ils ont créé Wave en 2016 à Dakar.
Cependant, Wave Mobile Money est une société de droit privé sénégalais, enregistrée au Sénégal, dirigée par une Sénégalaise, avec plus de 700 salariés sénégalais sur les près de 1 600 salariés majoritairement africains répartis sur les 5 continents, dont 90 % en Afrique.
Les clients de Wave et ses partenaires sont sénégalais et Wave paye ses impôts et taxes au Sénégal. Les banques partenaires de Wave sont deux des plus grandes banques panafricaines. Les équipes de Wave sont également très proches des clients et la solution que propose Wave a été conçue au Sénégal, avec des Sénégalais et pour des Sénégalais, donc complètement adaptée à nos besoins. Les Sénégalais se sont donc approprié le produit Wave et en ont fait leur allié au quotidien.
Aujourd’hui, Wave opère dans plusieurs autres pays en Afrique, en plus du Sénégal : Côte d’Ivoire, Mali, Burkina, Ouganda, entre autres. Wave est fière de ce chemin parcouru depuis Dakar, avec l’appui de fondateurs américains, mais aussi de collaborateurs de l’Afrique de l’Est (Kenya, Ouganda, etc.) ayant non seulement la capacité de mobiliser des fonds à l’international, mais apportant également une vision futuriste du paiement en Afrique de l’Ouest et une technologie digne des standards internationaux.
On vous accuse de fragiliser l’écosystème du transfert d’argent, de faire perdre des emplois à de jeunes Sénégalais travaillant pour le compte d’Orange Money. D’user de méthodes qui s’apparentent à du dumping. Que répondez-vous à ces critiques ?
Vous comprendrez aisément que nous ne pouvons nous attarder sur ces accusations. Chaque entreprise est responsable de la préservation des emplois qu’elle a elle-même créés.
Wave est en train de créer des milliers d’emplois directs et indirects au Sénégal et continuera à en créer. Wave a un réseau fort de plus de 14 000 partenaires prestataires de services pour les opérations de dépôt et de retrait d’argent à travers le Sénégal. Donc, nous participons non seulement à la création d’emplois, mais nous contribuons également à la création de nouveaux revenus pour des entrepreneurs et autoentrepreneurs à travers notre réseau d’agents.
Cela constitue autant d’apports à l’écosystème des services financiers mobiles qu’il ne faudrait pas réduire qu’au transfert d’argent qui est tout simplement un service.
A ceux qui parlent de dumping, je les invite à constater l’alignement des tarifs de nos grands concurrents sur notre modèle économique, et je les invite surtout à essayer de comprendre le succès de Wave au-delà des tarifs bas qui sont - je le répète - une condition indispensable à une véritable inclusion financière.
En même temps, beaucoup de Sénégalais disent vouloir créer des points Wave, mais ont des problèmes pour le faire. Qu’est-ce qui bloque réellement ?
Nous avons déjà un réseau de plus de 14 000 points Wave à travers le Sénégal. Afin de garantir la sécurité des transactions pour nos clients et la rentabilité de nos partenaires prestataires de services qui investissent leur propre fonds dans la distribution des services financiers Wave, une certaine rigueur s’impose.
D’une part, nous avons un devoir de supervision de notre réseau de distribution, car il ne s’agit pas de n’importe quelle activité, mais de transactions financières. Notre activité est fortement régulée avec des exigences fortes en matière de contrôle de nos partenaires qui agissent pour notre compte. Il est donc aisé de comprendre que nous devons être rigoureux dans leur choix et dans leur nombre.
D’autre part, nous ne pouvons pas submerger le marché sénégalais de plus de points Wave qu’il n’en faut, au risque de dévaloriser la rentabilité de nos partenaires actuels. Nous avons un devoir de leur assurer un revenu leur permettant de faire face à leurs charges et d’être des opérateurs économiques performants et rentables.
Nous prenons donc en compte l’intérêt et le confort du client, mais également les intérêts de nos partenaires tout en restant dans les conditions d’accomplir notre devoir de supervision et de contrôle.
Le terme ‘’agrément’’ est bien connu dans le secteur des services financiers mobiles et cela n’est pas nouveau. Ce sont peut-être nos critères d’octroi qui sont inhabituels pour les Sénégalais, mais tout est fait dans l’intérêt général.
Comment entrevoyez-vous l’avenir du porte-monnaie au Sénégal, avec le développement de plateformes comme la vôtre ?
Nous en sommes juste à la première génération des services financiers qu’on peut qualifier de basique : transférer de l’argent, payer ses factures et acheter du crédit téléphonique. Dans un premier temps, l’avenir est le déploiement du paiement électronique un peu partout, tout en gardant notre vision de toujours participer à inclure financièrement tout le monde.
Dans un second temps, il y a les produits dits de seconde génération que sont les services d’épargne et de crédit à offrir en collaboration avec des institutions financières.
Vous voyez donc que les perspectives sont nombreuses et que tout un chacun qui en a la volonté peut jouer un rôle dans l’inclusion financière des millions de Sénégalais et d’Africains.
Vous êtes une femme jeune et vous dirigez l’une des plus importantes startups de la sous-région. Quel est le moteur qui vous pousse de l’avant ? D’où venez-vous ?
Je suis sénégalaise, de formation scientifique, ingénieure en informatique et statistique. J’ai travaillé pendant plus de 10 ans à l’étranger avant de rentrer au Sénégal, il y a bientôt 10 ans, comme beaucoup d’autres jeunes Sénégalais pour participer au développement de l’Afrique en commençant par mon pays le Sénégal qui m’a tout donné.
Avant de rencontrer Wave, j’ai eu la chance d’accompagner, en tant que consultante, beaucoup d’entreprises sénégalaises, y compris évoluant dans la monnaie électronique. Cela, combiné à mon expérience dans un grand groupe international, m’a donné un profil généraliste qui me permet d’être à l’aise dans mes fonctions actuelles.
Ce qui me motive tous les jours, c’est la conviction que la monnaie électronique est l’une des solutions pour le développement de l’Afrique. Les services financiers mobiles permettent l’accès aux outils technologiques modernes et permettent d’accélérer la digitalisation de nos économies basées sur du cash. L’éducation financière est aussi une des valeurs ajoutées du mobile money, car nos services permettent à nos clients un suivi en toute autonomie de leurs opérations avec une traçabilité indispensable.
J’ai la chance de travailler tous les jours avec des collaborateurs motivés et passionnés par le développement de l’Afrique. Nous sommes jeunes, nous sommes dynamiques, passionnés et compétents. Nous sommes à plus de 45 % de femmes en fonction des départements, y compris dans les postes de top management et nous voulons tous le meilleur pour nos clients.