Publié le 3 Feb 2022 - 23:55
RENCONTRE ENTRE LE GOUVERNEMENT ET LES SYNDICATS D’ENSEIGNANTS

Un monitoring sous des airs de ‘’je t’aime moi non plus’’

 

Entre l'État et les syndicats d’enseignants en grève depuis des mois, une rencontre se tient ce matin pour sauver ce qui peut encore l’être.

 

Deux mois de grève des syndicats. Des écoliers qui organisent des marches pour demander le retour des enseignants dans les salles de cours. Des discours matures et émouvants d’élèves inquiets sur le quantum scolaire et leur année scolaire qui risque, comme à l’accoutumée, d’être bâclée par un plan de sauvetage de l’année scolaire au dernier moment. La situation que vit l’école sénégalaise ne semble pas réellement inquiéter le gouvernement. A cinq mois de la fin de l’année scolaire, gouvernement, syndicats, associations de la société civile et associations des parents d'élèves tiennent aujourd’hui un monitoring, dans un hôtel de la place, pour trouver une issue à une situation qui tend vers une crise.

La réflexion du président de l’Union nationale des parents d'élèves et d'étudiants du Sénégal (Unapees) résume la complexité du moment que traverse l’école sénégalaise. Pour Abdoulaye Fané, le mal est profond. Car, ‘’depuis plus d’une décennie, l’école est perturbée par des grèves cycliques dont la conséquence principale est une large réduction du quantum scolaire. Les élèves sont laissés à eux-mêmes. L’administration scolaire ne joue pas totalement son rôle. Et nous constatons un laisser-aller du côté du gouvernement, un dilatoire’’.

Depuis lundi dernier, les syndicats d'enseignants ont décrété trois jours de débrayage à partir de 9 h et une grève totale qui a débuté à partir d’aujourd’hui. Dans la conférence de presse qui a suivi lors de cette journée, le G7, une coalition regroupant des syndicats d’enseignants, d’inspecteurs et de maîtres contractuels, a exposé des points de revendications et mis en garde contre les conséquences désastreuses que pourrait engendrer un prolongement du non-respect des accords de 2014 par le gouvernement.

Alcantara Sarr, Secrétaire général du Syndicat des inspecteurs de l’enseignement (Siens), avait déploré ‘’le rythme lent des rappels d’intégration, de validation et d’avancement’’. Il a également dénoncé le non-respect, par l’État, du principe de ‘’restauration de l’équité dans le système de rémunération, en octroyant de nouvelles indemnités ou en procédant à un relèvement du niveau pour certains corps de l’Administration publique’’.

‘’La situation actuelle dans le moyen secondaire est totalement imputable au gouvernement du Sénégal’’

Secrétaire  général national adjoint du Syndicat autonome des enseignants du moyen secondaire du Sénégal (Saems), El Hadj Malick Youm estime, quant à lui, que la situation actuelle dans le moyen secondaire est totalement imputable au gouvernement du Sénégal qui a mis en place trois stratégies qui contribuent à créer des crises cycliques dans l’école sénégalaise : ‘’C’est d’abord une stratégie de pourrissement qui consiste à ne jamais rencontrer les syndicalistes qui font des revendications et déposent des préavis de grève. En deuxième lieu, le gouvernement laisse les enseignants faire grève, lancer des plans d’action. Comme ça, il les amène à l’usure. C’est l’effet d’usure. Le troisième élément est la stratégie du dilatoire : le gouvernement rencontre les syndicalistes et fait semblant de faire un monitoring. Il donne l’impression de discuter des accords mais, en réalité, ils veulent juste gagner du temps avant d’arriver en fin d’année et proposer un plan pour sauver l’année scolaire. Avec cette méthode, les mêmes problèmes se répètent naturellement chaque année.’’

De la rencontre d’aujourd’hui, Abdoulaye Fané n’attend pas une résolution de cette crise. ‘’Nous sommes sûrs et certains que ce ne sont pas les ministres qui vont régler la question. La solution ne peut venir que du président de la République. Ce sont les incidences financières des demandes des enseignants qui posent problème’’, estime le président de l’Unapees. Car, parmi les manquements d’équité dans le système de rémunération des agents de l’État que déplorent les enseignants, la question de l’indemnité de logement reste toujours le point phare.

90 % des ressources réservées aux dépenses de personnel

En effet, en octobre 2018, le gouvernement a accepté un plan pour faire passer l’indemnité de 60 à 100 000 F CFA, soit une augmentation de 40 000 F CFA. Une somme que les syndicalistes trouvent toujours dérisoire par rapport à ce que perçoivent d’autres fonctionnaires de même rang.

Mais pour le président de l’Unapees, il faut tout de même reconnaître que l’État a beaucoup fait dans le secteur de l'éducation. Rien qu’en ce qui concerne l’indemnité de logement, pour 90 000 fonctionnaires, une augmentation de 30 000 F CFA équivaut à 3 600 000 000 F CFA en plus dans la masse salariale de l’État. Pour un budget de 5 000 milliards de francs CFA, la masse salariale du gouvernement pompe déjà 1 000 milliards.  

Dans le budget 2021, si l’on exclut les charges liées aux salaires et autres primes du personnel, il ne reste plus que 59 milliards sur les 541 milliards alloués à ce département. Cela correspond à environ 90 % des ressources réservées aux dépenses de personnel. Encore que le nombre d’enseignants est loin d’être suffisant. Sur le programme 2035 ‘’Éducation préscolaire’’, doté de 6,596 milliards, 6,27 milliards sont réservés aux dépenses du personnel. Le programme 2054 ‘’Enseignement élémentaire’’ a bénéficié de 261 milliards, avec 210 milliards réservés aux dépenses du personnel.

C’est ainsi qu’Abdoulaye Fané invite les acteurs à revoir leurs positions : ‘’La faute revient au gouvernement qui a signé des accords qu’il n’a pas respectés. Si, en cours de chemin, il s’est rendu compte qu’il ne peut pas honorer ses engagements, il devait engager une discussion avec les enseignants et proposer ce qu’il peut faire.  Chacun pourrait lâcher du lest. Nous demandons la levée du mot d’ordre de grève. Dès lors que le gouvernement a appelé au dialogue, nous leur demandons de poser cet acte pour au moins permettre aux parties prenantes de discuter. Ils ont été informés depuis lundi, mais ont maintenu leur mot d’ordre.’’

Toutefois, El Hadj Malick Youm assure que la levée du mot d’ordre n’est pas à l’ordre du jour. ‘’Nous allons à cette rencontre uniquement pour écouter ce que le gouvernement a à nous dire. Nous prendrons acte des propositions et nous rendrons compte à notre base syndicale’’, assure le représentant du Saems.    

Les élèves, toujours les perdants

Ceux qui pâtissent le plus de cette situation sont les élèves. Et même ceux qui ne sont pas concernés par ce bras de fer entre enseignants et gouvernement. Lors de leurs marches, ils n’hésitent pas déloger leurs camarades du privé, provoquant parfois des accrochages. D’ailleurs, la Fédération de l’éducation et de la formation (FEF) a invité l’État à prendre ses responsabilités dans la protection des citoyens et de leurs biens, et dans le règlement de cette crise. Car, constate-t-elle, ‘’les élèves grévistes en arrivent à déloger leurs camarades des établissements privés d’enseignement sur l’étendue du territoire national. Le niveau de violence a commencé à causer des dommages et des préjudices inestimables avec des bus saccagés et, plus gravement, des élèves blessés’’.

Pour Abdoulaye Fané, les enfants ne doivent pas être les victimes de choses dont ils ne sont pas responsables. En tant que représentant des parents d’élèves lors de la rencontre d’aujourd’hui, il espère faire entendre sa voix. Ses préoccupations sont partagées par El Hadj Malick Youm, qui rappelle que l’ambition d'un enseignant est de voir chaque jour nos apprenants dans les salles de classe. ‘’C’est la mort dans l’âme que l’enseignant fait grève. La situation actuelle est déplorable. Mais ce n’est que la conséquence du non-respect des accords que le gouvernement a signé et refuse de respecter. Cela nous fait très mal de voir des élèves organiser des marches pour un retour des enseignants dans les classes’’, assure le secrétaire général adjoint du Saems.  

Lamine Diouf

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