Emmanuel Macron prédit le pire pour l’Afrique
En marge d’une rencontre organisée à Versailles sur les conséquences de l’intervention russe en Ukraine, le président français, Emmanuel Macron, a prédit la famine en Afrique, entre les 12 et 18 prochains mois.
Une pandémie et une résilience surprenante n’ont rien transformé de l’image que se fait l’Occident de l’Afrique. A chaque crise mondiale, le pire est prédit pour le continent noir. Au début des transmissions à l’échelle mondiale de la Covid-19, le scénario catastrophe a vite été mis en avant par le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), face à une Afrique dont les systèmes de santé sont plus fragiles : ‘’Il pourrait y avoir beaucoup de morts dans les pays africains’’, disait-il. Le temps lui a donné tort.
Lors du Sommet de Versailles, les 10 et 11 mars dernies qui a réuni les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne (UE) et les institutions du vieux continent, les conséquences de la guerre en Ukraine sur l’alimentation mondiale ont été discutées. Si ce conflit européen risque d’avoir des répercussions dans tout le globe, les dirigeants européens, qui se savent en danger, prédisent encore des lendemains sombres pour beaucoup d’Africains.
Hôte de ses homologues européens, le président de la République française a d’abord présenté la situation qui sied dans le Nord. Pour Emmanuel Macron, ‘’nous avons d’autres sujets où nous devons bâtir notre indépendance et notre souveraineté : la stratégie alimentaire. Dans un contexte où, qu’il s’agisse des céréales, l’Ukraine et la Russie sont deux marchés très importants. Notre Europe est, d’ores et déjà, déstabilisée par la guerre à cet égard. Elle le sera encore dans 12-18 mois, en raison de ce qui ne peut être planté en ce moment en Ukraine. Et l’Europe et l'Afrique seront très profondément déstabilisées sur le plan alimentaire.’’
Ce pessimisme se fonde sur une déclaration faite en fin semaine dernière par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao), relevant que la guerre en Ukraine pourrait entraîner une baisse soudaine des exportations de blé de la Russie et de l’Ukraine, alors que cette céréale est l’aliment de base pour plus de 35 % de la population mondiale.
Kiev et Moscou, deux des poids lourds de l’exportation de céréales et des engrais
Selon l’organisme onusien basé à Rome, le conflit menace d’aggraver sérieusement l’insécurité alimentaire dans le monde. La crainte de la Fao vient du fait que Kiev et Moscou sont deux des poids lourds de l’exportation de céréales, représentant un tiers des exportations, et surtout d’engrais utilisés dans les champs de la moitié du monde. ‘’Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et de la logistique de la production ukrainienne et russe de céréales et d’oléagineux, ainsi que les restrictions sur les exportations russes, auront des répercussions majeures sur la sécurité alimentaire’’, a affirmé dans une tribune aux médias le DG de la Fao, Qu Dongyu.
Si le conflit maintient les prix du pétrole brut à des niveaux élevés et prolonge le déficit d’approvisionnement mondial, les prix des denrées alimentaires et des aliments pour animaux pourraient augmenter de 8 à 22 % par rapport à leurs niveaux déjà élevés. La Russie est le premier vendeur de blé au monde, tandis que l’Ukraine en est le cinquième. Tous deux fournissent 19 % de l’orge, 14 % du blé et 4 % du maïs du monde, et vendent 52 % de l’huile de tournesol.
Les ‘’perturbations’’ du conflit ne manqueront pas d’avoir un impact sur le marché mondial, en raison de sa ‘’dépendance’’ sur ces deux pays en guerre, fait valoir la Fao.
Les prix des denrées alimentaires et des aliments pour animaux pourraient augmenter de 8 à 22 %
Les perturbations subies par la production et les filières d’approvisionnement et d’acheminement des céréales et des graines oléagineuses, et les restrictions imposées aux exportations de la Russie, entraîneront naturellement des ‘’répercussions sensibles sur la sécurité alimentaire’’.
Devant un tel scénario, ‘’huit à treize millions de personnes supplémentaires pourraient souffrir de sous-nutrition, à travers le monde, en 2022-2023’’, alerte la Fao. Elle signale que la progression de la malnutrition sera particulièrement marquée dans les régions d’Asie-Pacifique et d’Afrique subsaharienne.
Autant de situations économiques qui poussent le président français à se mouiller : ‘’Il nous faut, là aussi, nous préparer et réévaluer nos stratégies de production pour d’abord défendre notre souveraineté alimentaire et protéinique en Europe. Mais pouvoir aussi définir et réévaluer une stratégie à l’égard de l’Afrique. Sans quoi, plusieurs pays en Afrique seront touchés, dans la période de 12 à 18 mois, par des famines, en raison précisément de la guerre.’’
Ces prévisions sont préoccupantes à court terme. Comme le souligne le document de la Fao, les prix du blé et de l’orge, par exemple, ont augmenté de 31 % dans l’ensemble du monde, au cours de l’année 2021. Et lorsque les cultures céréalières seront parvenues à maturité pour la récolte en juin dans ces deux pays, il n’est pas certain que les agriculteurs ukrainiens soient en mesure d’opérer les récoltes et d’en livrer les produits aux marchés.
L’Afrique condamnée à trouver des solutions
Dans le même contexte, la forte demande et la volatilité des prix du gaz naturel ont également fait grimper les coûts des engrais. C’est ainsi que le prix de l’urée, un important engrais azoté, a plus que triplé au cours des 12 derniers mois. Au Sénégal, une conséquence a déjà été notée, avec la décision d’augmenter le budget pour la campagne agricole 2022 de 10 milliards de francs CFA, qui passe ainsi de 60 à 70 milliards, en raison de la hausse des prix de cet engrais.
Comme avec la pandémie, les capacités des pays africains à répondre à une problématique mondiale ont été très vite décriées. L’urgence de la situation et la nécessité de trouver des solutions a mis les pays africains dans l’obligation de développer des stratégies résilientes face à la Covid-19. Le cas de figure se représente devant les conséquences de l’intervention russe en Ukraine. Et comme avec le coronavirus, l’autosuffisance alimentaire et la diversification des partenaires économiques ressortent comme des impératifs pour tout Etat souverain.
Dans le récent article, l’économiste sénégalais Moubarak Lo invitait le gouvernement du Sénégal à s’engager de manière ferme à relever les défis de l’autosuffisance alimentaire. En même temps, conseillait-il, ‘’il faudra trouver des produits de substitution au riz, au pain, s’ils deviennent trop chers. Rien n’empêche de se tourner vers le riz local, le mil et le maïs local à moyen terme, le temps que la crise passe. La variation de plats est aussi une solution, en proposant au déjeuner des plats qui n’incorporent pas forcément des céréales’’.
Lamine Diouf