L’Afrique appelée à assurer sa propre sécurité
Les discussions sur les voies et moyens d’assurer la sécurité des Africains sur le continent ont pris fin hier, dans le cadre du forum de Dakar. Dans un contexte de plus en plus compliqué, les chocs exogènes ont été analysés par les participants, tout en mettant les mis en cause devant leurs responsabilités.
Le thème de cette 8e édition du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique a bien inspiré les participants de cette année. ‘’L’Afrique à l’épreuve des chocs exogènes : défis de stabilité et de souverainetés’’. Il a surtout permis aux chefs d’État et autorités africaines de mettre les indexés de ces ‘’problèmes’’ devant leurs responsabilités. À commencer par les chocs ayant occasionné une instabilité dans beaucoup de recoins du continent noir. Prenant part à la cérémonie de clôture hier de cette rencontre internationale de deux jours à Diamniadio, l’ancien président du Niger, Mouhamadou Issoufou, n’est pas passé par quatre chemins pour pointer les puissances occidentales.
‘’La déstabilisation du Sahel vient de l’intervention en Libye. S’il n’y avait pas eu cette intervention en Libye, le Sahel n’aurait pas connu la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui. Certes, les défis existaient, mais ils ont été amplifiés par cette intervention en Libye. Quant à l’État islamique, il vient de l’effondrement de l’Irak. Donc, la communauté internationale a des responsabilités dans ce qui nous arrive’’, assure l’ex-chef d’État nigérien.
Onze ans se sont écoulés depuis la fin du régime de Mouammar Kadhafi et la situation économique et sécuritaire en Libye est pire que celle d’avant la révolte de 2011. La guerre menée par l’Otan aux côtés des insurgés n’a pas abouti à la restauration d’un État démocratique. Les conséquences de cet échec poursuivent l’Afrique, car beaucoup d’armes de l’ancien régime du guide libyen, comme l’a souvent dénoncé le défunt chef d’État du Tchad Idriss Déby, se sont retrouvées entre les mains de mercenaires qui ont investi le Sahel. Les foyers de tensions sont multiples, du Mali au Tchad, en passant par le Niger, le Burkina Faso, etc. Sans oublier les exactions de Boko Haram au Nigeria et dans ses pays frontaliers.
Des problèmes venus de la Libye et de l’Irak
Une des conséquences tirées par l’ancien président nigérien est que la communauté internationale a le devoir d’aider à réparer ce qu’elle a créé. Si l’ONU est le cadre d’expression de cette dernière à travers les opérations de maintien de la paix, le président sénégalais avait, à l’ouverture du forum, invité cette organisation à regarder la réalité en face. Celle-ci est que ‘’les opérations de maintien de la paix de l’ONU ont montré leurs limites’’. Très peu de foyers de tensions en Afrique connaissent une paix durable grâce à l’intervention des forces onusiennes.
Un levier sur lequel le président en exercice de l’Union africaine (UA) peut appuyer est l’opérationnalisation de la Force africaine en attente (FAA). Car Macky Sall estime qu’’il est temps de changer la doctrine. Nous ne pouvons pas toujours compter sur l’extérieur’’.
Créée en 2003, la FAA est un mécanisme interarmes composé de soldats, de civils et de policiers en attente dans leurs pays d’origine. Coordonnée par les cinq communautés économiques régionales, la FAA est conçue pour être déployable dans un délai très court. L’objectif est d’aider le Conseil de paix et de sécurité de l’UA à s’acquitter de ses responsabilités liées aux missions de soutien de la paix. En 2016, après plus de dix ans d’investissements et de mise en place, l’UA a déclaré la FAA prête pour un déploiement rapide. Or, elle n’est jamais entrée en action, les gouvernements africains privilégiant aujourd’hui des forces de coalition ad hoc.
Les coalitions ad hoc, plus efficaces que les missions de l’ONU ?
Par exemple, en avril, les sept pays de la Communauté d’Afrique de l’Est ont décidé de mettre en place une force militaire régionale afin de rétablir la stabilité dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), toujours en proie à des milices violentes. En 2021, le Rwanda et les États de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont envoyé deux missions distinctes pour lutter contre l’insurrection au nord du Mozambique. D’autres dispositifs mis sur pied dans des objectifs similaires sont la Force conjointe du G5 Sahel, la Force multinationale mixte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad ou encore la Force régionale d’intervention de l’UA contre l’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda.
L’intérêt de ces coalitions ad hoc est qu’elles offrent des résultats. Et c’est sur ces solutions qu’il faut insister, d’après Mouhamadou Issoufou. Si l’ancien président voit le continent vivre une guerre nécessitant la mise en place d’armées puissantes, il se dit également ‘’convaincu que le niveau national ne suffit pas. Il faut mutualiser nos capacités entre les pays pour faire face à cet ennemi commun. Aujourd’hui, ça fait mal à tous les Africains de voir que nous sommes divisés. Nous n’avons pas su mettre en place un front uni contre l’ennemi commun, contre le terrorisme. Ce spectacle de division qu’on constate au niveau de notre région, il faut assez rapidement le surmonter’’.
Les défis sur la souveraineté africaine ont été évoqués par le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Mali, lors d’une plénière sur les crises globales et la consolidation des souverainetés en Afrique. ‘’Je suis convaincu qu’il y a des phénomènes qui sont créés pour mettre l’Afrique en retard. Pour ne pas nous permettre d’exploiter nos ressources. De ne pas nous permettre d’avoir la paix et la stabilité qui nous permettent de nous unir en tant qu’Africains. Beaucoup de partenaires sont dans des approches de prédation. Ils ont besoin d’instabilité pour pouvoir contrôler des élites et de faire avancer leur agenda’’, insiste Abdoulaye Diop.
Abdoulaye Diop reprend la secrétaire d’État française
Le chef de la diplomatie malienne reste convaincu que si l’Afrique met ensemble ses forces, ‘’nous sommes capables d’assurer la sécurité, d’amener la stabilité et faire avancer la démocratie. On doit mettre nos petits moyens ensemble pour faire face à ces menaces’’.
En crise diplomatique avec la France depuis plusieurs mois, Abdoulaye Diop n’a pas raté l’occasion de répondre à la secrétaire d’État française Chrysoula Zacharopoulou qui est intervenue lors de l’ouverture du forum, pour dire sa fierté ‘’de représenter aujourd’hui un pays, la France, et un continent, l’Europe, qui sont pleinement et sincèrement engagés aux côtés des pays africains pour leur sécurité. Nous sommes des partenaires qui ne viennent pas en substitution de l’action des pays africains’’.
C’est la sincérité de telles déclarations que celui qui accuse la France d’avoir violé l’espace aérien malien et d’armer des terroristes sur son sol met en doute. ‘’C’était politiquement correct à entendre, mais c’est très loin de la réalité, assure le ministre malien. (…) Depuis 10 ans, elle travaille au nord du Mali avec des groupes rebelles. Elle a choisi ses amis dans le pays. Ce n’est pas normal. (…) Le Mali est l’un des pays fondateurs du G5 Sahel. La France n’est pas membre, mais c’est elle qui a mis le veto pour que le Mali n’assure pas la présidence du G5 Sahel’’.
Lamine Diouf