Le Forum civil demande l’autosaisine du procureur de la République

L’organisation de la société civile invite le gouvernement à s’expliquer sur les graves accusations portées par un consortium international de journalistes d’investigations contre deux anciens ministres du Sénégal.
C’est un nouveau scandale qui implique Abdou Karim Sall. Après l’affaire des oryx destinés à sa ferme personnelle, l’ancien ministre de l’Environnement est cette fois cité dans un contrat d'achat d’armes avec un sulfureux marchand recherché pour activités frauduleuses dans son propre pays. Avec l’appui de l’ancien ministre des Finances et du Budget Abdoulaye Daouda Diallo, les deux autorités sénégalaises, exclues du gouvernement d’Amadou Ba, auraient contracté avec Aboubakar Hima dit ‘’Petit Boubé’’ un accord de 77 millions de dollars (45 milliards de francs CFA) pour l’achat de matériel militaire par le ministère de l’Environnement.
Devant la gravité des faits révélés par une enquête de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), le Forum civil invite le gouvernement du Sénégal à s’exprimer sur ces accusations. La section sénégalaise de Transparency International ‘’trouve qu'il n'est pas acceptable que le Sénégal, au vu de sa stature et de son image internationale, soit cité dans ce type de relations contractuelles impliquant ses plus hautes autorités, sans apporter des explications claires et exhaustives’’.
Dans sa déclaration publiée hier, le Forum civil invite le président de la République, Macky Sall, à demander à ses ex-ministres de s’expliquer sur cette affaire. L’organe de la société civile invite également le procureur de la République à ‘’s’autosaisir de cette affaire qui pourrait affecter gravement l’image du pays, en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux de financement du terrorisme’’.
Au nouveau ministre de l’Environnement Alioune Ndoye, l’organe dirigé par Birahime Seck demande de faire ‘’le point sur l’existence des armes achetées, sur la base du principe de la continuité du service public’’.
Un silence inadmissible pour le gouvernement et les mis en cause
À travers différentes sorties, ces derniers mois, le Forum civil dénonce un principe de transparence ‘’foulé aux pieds’’ au Sénégal, ‘’au profit d’une opacité résultant de la destruction du système de régulation des marchés publics’’.
Cette enquête d’un regroupement de journalistes internationaux spécialisés dans la corruption et le crime organisé, vient conforter leurs suspicions. Car Aboubakar Hima dit ‘’Petit Boubé’’ est mis en cause en 2020, dans le cadre d’une fraude de plusieurs dizaines de millions de dollars liée à un contrat d’armement au Niger et au Nigeria.
Malgré son CV sulfureux, l’article publié mardi sur le site de l’OCCRP et exploité par lemonde.fr affirme que le ministère de l’Environnement a signé, début 2022, un contrat pour l’achat de fusils d’assaut, de pistolets semi-automatiques et de munitions. Il couvre aussi un large éventail de matériels et de services, intégrant des bateaux, des camionnettes et voitures, en passant par des uniformes et des cours de formation au pilotage de drones. L’article ajoute que le fournisseur et signataire ‘’Lavie Commercial Brokers’’, est une société quasiment inconnue sur le marché, créée quelques semaines avant que l’accord soit conclu. Un procédé qui rappelle le scandale sur Timis Corporation révélé par la BBC en 2019, impliquant le frère du président de la République.
Le contrat ‘’Petit Boudé’’ pose tout de même beaucoup d’interrogations : en quoi le ministère de l’Environnement a besoin d’acheter des armes lourdes, sans passer par l’armée ? Pourquoi l’État sénégalais commerce-t-il avec un marchand d'armes douteux dont la société vient d’être créée ? Le ministère de l’Environnement est-il habilité à acheter des armes de guerre ? Selon les révélations de l’enquête, l’accord n’a pas été rendu public, conformément à la confidentialité sur les contrats de défense et de sécurité.
Un procédé qui rappelle le scandale Timis corporation
Mais l’OCCRP, qui affirme en détenir une copie, affirme que le nom d’Aboubakar Hima est le seul enregistré sur les documents créant Lavie Commercial Brokers au Sénégal en novembre 2021. Et qu’en revanche, il n’apparaît aucunement sur le contrat avec le ministère sénégalais. Le signataire est un certain David Benzaquen, Directeur général de Lavie Commercial Brokers. Le même David Benzaquen a fondé, en 2013, en Israël, la société Gour Arye Africa LTD, rebaptisée Lavie Strategies en 2019. Les enquêteurs n’ont toutefois pas trouvé de liens connus entre les deux sociétés.
Mais il existe d’autres sociétés portant des noms proches et séparément liées aux deux hommes d’affaires. Au Burkina Faso et au Niger pour Aboubakar Hima et aux Émirats arabes unis pour Benzaquen.
D’ailleurs, ajoutent les sources, ce dernier aurait travaillé pour le marchand d’armes israélien Gabi Peretz, un ami proche du président Macky Sall, qui fournit des équipements militaires à plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.
Lamine Diouf