Fini le pétrole dans 20-30 ans, si…
Malgré toute la passion suscitée en amont, le pétrole, dont le premier baril est sorti hier, aurait pu passer inaperçu, n’eut été un petit communiqué de l’opérateur australien Woodside.
Plusieurs fois annoncé, plusieurs fois reporté, le First Oil est enfin là. Le communiqué de la compagnie australienne Woodside est tombé hier comme un cheveu dans la soupe. Aucune préparation les jours ou heures précédents pour informer les Sénégalais. À la suite de Woodside, Petrosen, avec ses nouveaux dirigeants, a enfin publié un communiqué. ‘’Petrosen a le plaisir de vous annoncer la production du premier baril de pétrole du champ Sangomar ce 11 juin 2024. Avec le franchissement de ce jalon, le Sénégal entre dans le cercle restreint des pays producteurs et exportateurs de pétrole. L'estimation du cout de la phase 1 du projet de développement du champ Sangomar reste comprise entre 4,9 et 5,2 milliards de dollars américains’’, informe le bras armé de l’État du Sénégal dans le secteur des hydrocarbures.
Pour Birame Sow, c’est un jour historique qu’il faut saluer et rendre hommage à tous ceux qui ont œuvré pour la réalisation de ce projet.
Toutefois, le juriste spécialiste du droit pétrolier invite à la prudence et pense déjà aux perspectives. Selon lui, le principal défi est maintenant de travailler à faire de nouvelles découvertes pour que le Sénégal continue de rester un pays pétrolier au-delà des 20 ans. Il insiste : ‘’Il ne faut pas oublier que nous avons juste 100 000 barils par jour avec Sangomar. Ce n’est pas grand-chose dans ce secteur ; il faut de nouvelles découvertes.’’
Dans cette perspective, l’auteur d’un ouvrage sur l’aval pétrolier se pose pas mal de questions sur cette problématique. Pour lui, la question qu’il faut se poser est de savoir si le nouveau code permet de faire de nouvelles recherches. ‘’Si j’avais un conseil à donner aux nouvelles autorités, ce serait vraiment d’évaluer le code de 2019, de voir ses points forts et ses points faibles. Parce que si on ne fait pas de nouvelles découvertes, dans 20 ans il n’y a plus de pétrole au Sénégal. Si on veut rester un pays pétrolier, il faut de nouvelles découvertes. Je pense qu’il faut y penser dès maintenant’’, analyse l’expert en droit pétrolier.
Il précise : ‘’Depuis l’adoption de ce nouveau code en 2019, on n’a signé aucun contrat. Il faut alors se poser des questions. Est-ce que le code est incitatif ? On a fait un appel d’offres conformément à l’article 12 du nouveau code, mais c’est resté infructueux. Je pense qu’on doit évaluer.’’
Aux Sénégalais qui attendent beaucoup de ce pétrole, M. Sow invite à revoir un peu les ambitions à la baisse. Dans ce cadre, il insiste sur la nécessité d’une communication efficace, afin que les Sénégalais sachent que le pétrole ne réglera pas tous les problèmes. À son avis, il faut continuer à miser sur l’agriculture, l’élevage, aller vers l’autosuffisance alimentaire et le pétrole sera juste un appoint. ‘’Ce que nous avons, c’est peu. Ce n’est pas grand-chose dans ce secteur’’, a-t-il indiqué.
Le juriste chercheur invite aussi l’État à conscientiser les jeunes qui sont dans une véritable ruée vers les métiers du pétrole. ‘’Cette tendance pourrait entraîner ce qu'on appelle la fameuse ‘maladie hollandaise’, un phénomène où la croissance économique d'un pays est déséquilibrée par une forte dépendance à une seule ressource naturelle épuisable et volatile, comme cela s'est produit aux Pays-Bas après la découverte de vastes gisements de gaz naturel’’, alertait-il dans un article récent.
De l’avis de M. Sow, ‘’il est essentiel de sensibiliser les jeunes aux réalités de l'industrie pétrolière et gazière’’. Bien que ce secteur puisse offrir des opportunités d'emploi et de développement économique, il est important de comprendre que l'exploitation des ressources pétrolières et gazières est généralement limitée dans le temps. Une fois les gisements épuisés, les emplois associés peuvent disparaître, laissant de nombreux travailleurs sans perspective’’, expliquait le chercheur qui invite l’État à réguler le secteur des écoles de formation pour mettre la qualité au cœur.
Aux côtés de la formation et des défis liés à l’avenir du secteur, beaucoup de spécialistes parlent du rôle que doit jouer la raffinerie sénégalaise pour la valorisation du pétrole. Sur cette question, le juriste chercheur renseigne que des investissements importants ont été faits de sorte à augmenter les capacités de la Sar, qui est passé de 1,200 million de tonnes par an à 1,500 million de tonnes. ‘’La Sar pourra prendre une partie, car de gros investissements ont été faits pour augmenter les capacités de production. Mais la Sar ne peut pas faire 100 % pétrole sénégalais. Elle va, par exemple, prendre 70 % du pétrole sénégalais et peut-être 30 % du pétrole nigérien’’, soutient-il, non sans évoquer aussi la question essentielle de la gestion. Sur ce plan, il est très optimiste : ‘’Nous avons tout pour le réussir, nous avons l’arsenal juridique, nous avons le personnel technique, nous avons tout pour travailler sur la maitrise des couts. Je pense que si on additionne tout ça, il est possible de mener une gestion efficiente.’’
BASSIROU DIOMAYE FAYE, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ‘’Je veillerai particulièrement aux intérêts des générations futures’’ Face aux jeunes enfants d’une école dakaroise en visite à la présidence de la République, le chef de l’État Bassirou Diomaye Diakhar Faye est revenu sur les perspectives du Sénégal avec le pétrole. Il a insisté sur l’importance qu’il accorde au fonds intergénérationnel pour que le pétrole et le gaz puissent non seulement profiter aux générations actuelles, mais aussi futures. ‘’Ce fonds, souligne-t-il, va permettre de prévoir les générations futures dans la gestion des ressources issues des hydrocarbures. Il s’agira d’investir l’argent du pétrole et du gaz dans des secteurs comme l’éducation, la santé, pour votre avenir, votre épanouissement sur tous les plans. Vous pouvez faire confiance au président de la République, il va veiller particulièrement aux intérêts de votre génération et des générations à venir.’’ Hommage et pionniers Le chemin fut long, parsemé d’embûches. Pour Birame Sow, il ne faudrait surtout pas oublier d’éminents experts sénégalais qui se sont donnés corps et âme pour la réalisation de ce projet. Joint par téléphone, il précise : ‘’Ils sont nombreux les anciens qui ont beaucoup œuvré pour la réalisation de ce projet. Certains sont à la retraite, d’autres ont quitté ce monde, mais combien sont-ils tous ces anonymes, hauts commis de l’État qui se sont donné corps et âme, pour en arriver-là ? Je pense qu’ils méritent qu’on leur rende un vibrant hommage.’’ Parmi ces personnalités, il cite : Vieux Mamoudou Wane, Serigne Mboup qui a signé en 2004 le contrat de recherche, Kanouté, Ibrahima Mbodj, Mamadou Faye, Joseph Médou qui est au niveau du RGS et qui a été directeur technique pendant des années. Il y a également les Mamadou Ka, homme de l’ombre, Idrissa Bodian qui fut CT de Madické Niang qui a signé le contrat… |
MOR AMAR