Une tradition républicaine à fort accent politique
Le Sénégal s’apprête à vivre un moment politique décisif, le 27 décembre 2024. Le Premier ministre, Ousmane Sonko, présentera sa déclaration de politique générale (DPG) devant une Assemblée nationale renouvelée, marquant son premier grand rendez-vous institutionnel avec les députés, depuis sa nomination. Cette DPG intervient dans un contexte chargé d’attentes sur les plans national et international, où chaque mot et chaque orientation stratégique seront scrutés avec attention.
La déclaration de politique générale, prévue par les articles 55 et 84 de la Constitution sénégalaise, est une étape essentielle du fonctionnement démocratique. Elle offre au chef du gouvernement l’occasion de décliner les grandes lignes de son action devant les représentants de la nation.
Pour Ousmane Sonko, cette présentation sera particulièrement symbolique, car elle intervient après une série de bouleversements institutionnels : dissolution de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2024, révision du règlement intérieur du Parlement pour permettre cet exercice et installation récente d’une nouvelle législature dominée par une majorité absolue de Pastef, son parti, avec 130 députés.
Des attentes sociales et économiques pressantes
Cette DPG revêt une importance capitale pour des millions de Sénégalais qui espèrent des réponses concrètes à des problématiques urgentes. Les attentes se cristallisent autour de plusieurs axes :
· Emploi et émigration clandestine : De nombreux citoyens espèrent que le Premier ministre proposera des solutions pour freiner l’émigration clandestine, qui continue de coûter des vies et offrira des opportunités d’emploi aux jeunes dans un marché du travail de plus en plus compétitif. ‘’La DPG doit nous édifier sur la stratégie pour créer des emplois dignes et décourager nos jeunes de braver la mer’’, affirme Sohaibou Samb, un jeune habitant de Keur Massar.
· Égalité des chances : La promesse de l’égalité des chances, pilier de la campagne de Pastef, reste en suspens. La mise en place d’un comité dédié à l’appel à candidatures dans les services publics n’a pas encore produit d’effets visibles, une attente qui nourrit l’impatience chez les partisans du gouvernement.
· Autonomisation des femmes : Les femmes espèrent des avancées concrètes. Ndèye Khady Sarr, une entrepreneure, plaide pour un renforcement des financements en leur faveur. ‘’Nous attendons que le Premier ministre traduise en actes ses engagements pour l’autonomisation des femmes’’, dit-elle.
· D’autres militent pour une réforme du congé de maternité, afin de l’étendre à six mois, comme l’avait évoqué Ousmane Sonko par le passé.
· Fiscalité : L’une des grandes attentes de cette DPG est sans aucun doute la question de la fiscalité. Ce thème, qui fut l’un des chevaux de bataille du camp de l’actuel régime durant la campagne présidentielle, occupe une place centrale dans les débats sur la gestion économique et la souveraineté financière du Sénégal. Le Premier ministre, fiscaliste de formation, est attendu sur des mesures concrètes pour accroître les recettes fiscales.
Dans un contexte marqué par la récente exploitation des ressources naturelles telles que le pétrole et le gaz, beaucoup espèrent que le Premier ministre exposera un plan visant à mieux capter les revenus issus de ces secteurs stratégiques.
La lutte contre l’évasion fiscale, souvent associée à certaines multinationales, et l’élargissement de l’assiette fiscale pour intégrer davantage d’acteurs économiques informels sont également des points cruciaux qu’il devra aborder.
Le défi réside dans l’équilibre à trouver entre l’augmentation des recettes fiscales pour financer les ambitieux projets du gouvernement et la nécessité d’éviter de freiner l’activité économique par des taxes trop lourdes. Les Sénégalais attendent des annonces fortes sur une réforme qui donnerait plus de transparence, tout en montrant un souci réel de justice sociale et économique.
Pour Ousmane Sonko, cet exercice est une opportunité de confirmer sa vision d’une fiscalité comme outil de développement inclusif, un argument clé de son discours sur la souveraineté nationale.
Souveraineté et gestion des ressources naturelles
Au cœur des attentes, la question de la souveraineté nationale occupe une place prépondérante. Ousmane Sonko, connu pour ses prises de position fermes contre le partage inéquitable des ressources naturelles, devra clarifier la politique de son gouvernement sur des sujets comme l’exploitation du pétrole, du gaz, du zircon et du phosphate. Les critiques sur les contrats signés sous l’ancien régime continuent de susciter des débats. Beaucoup espèrent une renégociation en faveur des intérêts nationaux. ‘’Nous voulons voir les ressources du Sénégal profiter d’abord aux Sénégalais’’, martèle un partisan de Pastef.
Sur la scène internationale, la DPG sera suivie de près, notamment par les pays occidentaux et les organisations régionales. Ousmane Sonko et le Pastef ont souvent prôné une politique d’équité et d’autonomie, des positions qui ont contribué à leur popularité.
Cependant, certains critiques estiment que le gouvernement a dévié de ses idéaux initiaux. Par exemple, contrairement aux attentes de nombreux activistes panafricanistes, le Sénégal a maintenu son appartenance à la CEDEAO, renforçant même sa coopération avec cette communauté régionale.
Le franc CFA, autre sujet sensible, reste un point d’interrogation. Bien que la question ne figure pas en tête des priorités actuelles, elle demeure au cœur des revendications souverainistes. Une prise de position claire du Premier ministre sur cette monnaie pourrait renforcer ou fragiliser la perception de son gouvernement.
La DPG d’Ousmane Sonko devra également s’aligner avec le référentiel Vision Sénégal 2050, un cadre stratégique visant à promouvoir une gouvernance inclusive et durable. Sonko, souvent perçu comme un défenseur des intérêts nationaux, devra concilier ses idéaux souverainistes avec les réalités de la mondialisation. Cela implique de préserver les relations avec les partenaires internationaux tout en répondant aux aspirations d’une population de plus en plus exigeante.
Face à une Assemblée nationale acquise à sa cause, mais une opinion publique exigeante, il devra démontrer que son gouvernement est à la hauteur des espoirs suscités par sa victoire. Le 27 décembre marquera un tournant pour le Sénégal. Que cette DPG soit un tremplin ou un obstacle dépendra de la capacité du leader du Pastef à répondre aux attentes, à concilier les idéaux de son parti avec les réalités complexes d’un monde en mutation et à inscrire le Sénégal sur une voie résolument équitable et souveraine.
Ousmane Sonko : un homme face au défi de la DPG
La déclaration de politique générale prévue dans moins de 72 heures est bien plus qu’un simple exercice institutionnel pour le Premier ministre Ousmane Sonko. Ce moment crucial représente une rencontre entre un homme, son pays et le reste du monde. Connu pour ses prises de position tranchées et son tempérament fougueux, Sonko se trouve à la croisée des chemins : celui de l’opposant intransigeant qu’il a toujours été et celui du chef de gouvernement attendu pour incarner l’espoir et l’action.
L’ex-maire de Ziguinchor a bâti sa carrière politique sur des discours critiques et incisifs, marqués par une hostilité notoire à l’égard des institutions qu’il jugeait trop souvent au service de systèmes défaillants. En tant qu’opposant, sa sensibilité exacerbée face aux critiques lui a souvent valu des altercations mémorables, renforçant son image de combattant inflexible.
Toutefois, cette posture, essentielle dans son ascension politique, devient une faiblesse potentielle dans le cadre de la DPG.
Le Premier ministre ne se retrouve plus face à des adversaires politiques seulement, mais face à une nation entière et à un auditoire international. Les Sénégalais attendent non plus un détracteur du système, mais un leader capable de rassembler, de rassurer et de projeter une vision claire pour l’avenir.
Un exercice oratoire redoutable
La DPG est un moment de vérité qui met à l’épreuve les qualités communicationnelles du chef du gouvernement. Loin d’être un simple rapport technique, cet exercice exige une éloquence raffinée, une capacité à vulgariser des idées complexes et surtout un ton qui inspire confiance. Dans le passé, des figures comme Idrissa Seck ou Amadou Ba ont su capter leur audience par leur prestance et leur style oratoire.
Pour Ousmane Sonko, l’enjeu est clair : il devra revoir sa communication, qui repose souvent sur des punchlines et un ton incisif. Deux défis l’attendent, selon le journaliste de ‘’L’As Quotidien’’, Mamadou M. Ndiaye. ‘’D’abord, il doit se départir de cette agressivité perçue qui a souvent marqué ses interventions publiques. On sait qu’il n’a pas peur d’aller au charbon, qu’il ne mâche pas ses mots, mais cette fois-ci, il devra faire preuve de sérénité et d’une maîtrise de soi exemplaire. Même avec une Assemblée largement acquise à sa cause, il y a des opposants aguerris qui n’hésiteront pas à tester ses nerfs’’.
Le journaliste poursuit son analyse : ‘’Ensuite, il doit simplifier son discours pour convaincre. Son style, parfois trop technique, voire doctrinaire, pourrait ne pas trouver écho auprès d’un public large. Il lui faudra une approche plus accessible, plus en phase avec les attentes des Sénégalais. Et pour cela, je pense qu’il aurait tout intérêt à s’entourer d’experts en communication. Ce sont des détails qui pourraient faire toute la différence dans un exercice aussi redoutable que la DPG.’’
Pour beaucoup de Sénégalais, la personnalité d’Ousmane Sonko est un mélange fascinant de force et de fragilité. S’il est respecté pour son franc-parler et son engagement en faveur des intérêts nationaux, il est également critiqué pour son incapacité apparente à accepter les critiques et à s’éloigner de sa posture d’opposant.
La DPG offre une opportunité unique pour Sonko de redéfinir son image. Il devra montrer qu’il n’est pas seulement un homme de combat, mais aussi un homme de vision, un leader capable de transformer ses critiques du passé en propositions constructives pour l’avenir.
Un enjeu au-delà des frontières
Le discours attendu dépasse le cadre national. Les partenaires internationaux du Sénégal observeront à la loupe la manière dont il articule sa vision pour le pays, notamment sur des questions sensibles comme la souveraineté économique, la gestion des ressources naturelles et la coopération internationale. Ce moment exige une posture équilibrée : ferme dans ses ambitions souverainistes, mais ouvert au dialogue et à la collaboration.
Pour beaucoup, Sonko est encore perçu comme le porteur des espoirs d’un Sénégal plus juste et plus équitable. Toutefois, les défis auxquels il fait face – de l’émigration clandestine au chômage, en passant par la réforme des institutions – exigent des réponses claires et inspirantes. Ce discours doit redonner confiance, tant aux citoyens qu’aux partenaires internationaux et établir les bases d’une gouvernance capable de faire rêver à nouveau.
Si Ousmane Sonko réussit cet exercice, il pourra enfin sortir de l’ombre de son passé d’opposant pour entrer pleinement dans la lumière de l’homme d’État qu’il aspire à devenir. Mais pour cela, il devra faire preuve de calme, d’écoute et de vision.
AMADOU CAMARA GUEYE