Publié le 15 Apr 2025 - 23:33
QUESTIONS D'ACTUALITÉ

La vérité sur les licenciements

 

Sur la question des “licenciements” de milliers d'agents de l'administration, EnQuête a essayé de séparer le vrai de l'ivraie.

 

Des milliers de travailleurs licenciés dans les administrations publiques et parapubliques. La question s'est invitée hier à l'Assemblée nationale, lors de la séance de questions d'actualité au gouvernement. Interpellé sur la question, le Premier ministre Ousmane Sonko a chargé le ministre de l'Énergie, du Pétrole et des Mines, Birame Souleye Diop, pour apporter des éclairages.

Dans ses réponses, ce dernier est revenu sur quelques cas spécifiques pour défendre la régularité des actes de licenciements dans certaines entités publiques. Il a cité les cas du Port autonome de Dakar (PAD) où plus de 700 travailleurs sont concernés, le ministère de l'Énergie...

D'abord, en ce qui concerne le PAD, le ministre Birame Souleye explique : “D'après les informations fournies par le ministère du Travail, si l'on se base sur le compte rendu fait par l'inspection du travail, il n'y a eu que deux licenciements et c'est pour faute lourde. Pour le reste, c'est 725 cas de contrats à durée déterminée, c'est-à-dire des contrats qui avaient un terme. Et quand l'échéance arrive, le contrat est rompu. L'employeur peut apprécier souverainement s'il renouvelle ou pas.”

Il est vrai, poursuit le ministre, que le Code du travail, en son article L41 prévoit que le contrat peut être renouvelé une fois, mais pas plus.

‘’EnQête’’ a contacté le Rassemblement des travailleurs du Sénégal (RTS) sur cette question pour avoir leur version. Selon Boubacar Fall, le coordonnateur du RTS, les membres du collectif ont plutôt été déçus par ces explications. “Nous sommes d'autant plus déçus que cela vient d'anciens syndicalistes qui ne doivent pas ignorer les règles élémentaires du Code du travail. Le ministre a invoqué l'article L41. Cette disposition parle effectivement de la possibilité de renouvellement. Mais il y a aussi le L42 qui dit clairement : si l'employeur ne veut pas renouveler le contrat, il doit notifier au travailleur la fin du contrat deux mois avant. Et l'article L47 dit qu'une prime de précarité doit être versée au salarié. C'est ce que nous demandons, rien d'autre”.

Pour les travailleurs, il n'a jamais été question pour eux de dénier au port de Dakar ou à d'autres structures, dans ce cas de figure, leurs droits de ne pas renouveler des CDD à terme. Les seuls cas où ils contestent les licenciements, c'est celui des travailleurs qui ont eu à connaitre plusieurs renouvellements. “Pour ceux dont les contrats ont été renouvelés plus d'une fois (288 au PAD), en violation des textes, nous demandons qu'ils soient réintégrés, conformément aux dispositions du Code du travail. C'est cela la rupture, c'est cela le Jub, Jubal, Jubanti, c'est-à-dire la soumission à la loi pour tous”, a-t-il déclaré, avant d'ajouter : “Pour ceux qui avaient des CDD à terme, l'employeur est libre de libérer ou d'embaucher. Mais au cas où l'employeur ne veut pas renouveler le contrat, il doit lui adresser un écrit pour préavis de rupture de contrat, deux mois avant la fin. L'employeur doit aussi lui payer une indemnité de précarité et lui délivrer une attestation de travail. Ce qui n'a pas été fait.” 

Au ministre qui leur demande de saisir la justice s'ils s'estiment lésés, Boubacar Fall rétorque : “On a effectivement saisi les tribunaux, mais on sait que les procédures sont très longues, alors qu'il y a des drames sociaux qui se jouent. Mais comme le président de la République nous demande de faire la pression sur la justice, on va mettre la pression. On a déjà saisi l'Inspection du travail qui nous a donné raison.” 

Mais que dit la législation du travail sur les conditions pour mettre un terme aux relations de travail dans le cadre d'un contrat à durée déterminée ? ‘’EnQuête’’ a joint un inspecteur du travail qui explique : “En fait, dans le cadre du contrat de travail à durée déterminée, il n'y a pas de dispositions du code qui oblige l'employeur à notifier sa volonté de ne pas renouveler le contrat. C'est la Convention collective nationale interprofessionnelle qui a prévu une telle obligation en ce qui concerne le contrat d'engagement à l'essai.”

Toutefois, renseigne l'inspecteur, “dans la pratique, les employeurs informent le plus souvent les travailleurs de leur décision de ne pas renouveler le contrat dans les délais indiqués par la CCNI. Même si pour les CDD d'usage, aucune disposition ne les oblige à le faire”.

En ce qui concerne l'indemnité invoquée par les travailleurs, c'est effectivement prévu par l'article L47 du Code du travail. Celui-ci dispose en effet que “lorsque les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée, le travailleur a droit à une indemnité de fin de contrat, à titre de complément de salaire, qui est égal à 7 % du montant de la rémunération totale brute due au travailleur pendant la durée du contrat”.

AUTRES LICENCIEMENTS 

En sus du cas du Port autonome de Dakar, le ministre de l'Énergie est revenu sur la situation dans son département. Il explique : “En 1981, le ministre avait pris un arrêté qui prévoyait une caisse d'avance de 50 millions F CFA. Cet arrêté prévoyait les travaux qu'on pouvait payer avec cette caisse d'avance. Il s'agit du paiement de frais d'analyses, achats de fourniture de matériels de bureau, acquisition de véhicules, achat de carburant, entretien de véhicules et salaires du personnel temporaire. Par la suite, on a commencé à recruter des personnes à l'aide de cette caisse et en leur signant des CDI, en violation totale des règles.” 

D'après le ministre, aucune des personnes concernées n'a déposé une demande d'emploi et sans compétition. “On a constaté que 298 personnes ont été recrutées sur la base de cette caisse et ce n'était pas sa vocation. Entre 2021 et 2024, on y a recruté 179 personnes. Les 81 viennent tous de la même localité. Pourquoi devrais-je maintenir de tels contrats ? Pourquoi devrais-je payer pour des contrats qui ne sont même pas validés à l'inspection du travail ? Quand on a demandé au ministre du Travail, il a dit que c'est lui qui a donné l'instruction de ne viser aucun contrat signé par un ministre. Parce que les textes ne le prévoient pas. Seuls le PR et le ministre de la Fonction publique délégataire peuvent signer des contrats de travail”.

 Birame Souleye a, toutefois, souligné que le PR a décidé de régulariser la caisse et certains travailleurs, mais pas tous. “Pour les 44 personnes dont les contrats ont été signés par le ministre, c'est des contrats irréguliers. Et il n'y a pas de fonds pour les prendre en charge”, souligne le ministre qui invoque par ailleurs des recrutements politiques.

La même situation prévaut également dans d'autres structures telles que le Fongip, le Commissariat à la sécurité alimentaire, l'AIBD...

Interpellé sur les accusations selon lesquelles il y avait des recrutements politiques, Boubacar Fall du Rassemblement des travailleurs du Sénégal estime que c'est de fausses accusations. Chaque Sénégalais est libre de s'engager en politique s'il le souhaite ; que la coloration politique ne saurait être un motif de licenciement. “Il oublie que le Code du travail ne reconnait pas la qualité des gens. Il ne cherche pas à voir qui est politique, qui est ne l'est pas. Mais l'Administration ne connait pas l'appartenance politique ou religieuse. Quand on a un contrat de travail, on doit respecter les termes de son contrat, c'est tout”, souligne le représentant des travailleurs, qui ajoute : “S'ils veulent enlever le recrutement politique, ils n'ont qu'à commencer par eux. S'il y avait appel à candidatures, je ne pense pas que le PM sera à sa place aujourd'hui. Les DG qui ont été nommés par décret ne seraient pas non plus à leur place. Ils n'ont qu'à commencer par eux-mêmes alors.”

Monsieur Fall a également tenu à rappeler que parmi les cas de licenciements, il y avait des gens qui avaient des contrats à durée indéterminée en bonne et due forme. Ils ont eux aussi été licenciés sans indemnités. Pour le Rassemblement des travailleurs du Sénégal, 30 814 travailleurs sont concernés, au total, par ces problèmes de licenciement. 

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POLITIQUES, JOURNALISTES, CHRONIQUEURS

Le PM menace et décrète la tolérance zéro 

Après les licenciements, le Premier ministre a aussi brillé par les menaces tous azimuts à l'endroit de certaines composantes de la société. 

Un Premier ministre qui, pour un rien, sort de ses gonds profère à tout va des menaces contre différents citoyens. Il décrète : “La politique pénale est définie par le pouvoir Exécutif. Nul n'a le droit d'attenter à l'honneur d'une personne. Désormais, dans ce domaine, la politique pénale, c'est zéro tolérance. Diffusion de fausses nouvelles, c'est zéro tolérance dans ce pays”.

Parlant du cas du journaliste de D-Media Simon Faye, il déclare : “Vous savez ce que dit la loi sur les journalistes qui reprennent des articles ? C'est le rédacteur en chef ou le directeur de publication le premier responsable. Je donne un exemple : tu prends un article, tu dis qu'on licencie ces policiers pour les remplacer par des rebelles du MFDC et vous pensez qu'on va laisser ça comme ça. Il faut que ça cesse. Que chacun assume”. Il interpelle la responsabilité des juges. “Le juge à qui on amène une personne, la personne avoue qu'elle a fait ce qui lui est reproché. Il la relaxe en considérant que ce n'est pas grave. Pourtant, si on lui disait le dixième, il va condamner pour outrage à magistrat. Ce n'est pas normal. Tous les Sénégalais ont droit à la même dignité. Et c'est de la responsabilité de l'État d'y veiller”, a-t-il indiqué sans autre précision. 

La justice a été discréditée depuis des années à cause notamment de certains de ses acteurs” 

Concernant toujours les juges, Ousmane Sonko s'est voulu très peu courtois. Il a encore proféré des critiques. “La justice a été discréditée depuis des années. La majeure partie des acteurs de la justice le reconnaissent. Et certains acteurs de la justice y ont leur responsabilité, avec des magistrats instrumentalisés. Il faut aider cette justice à se redresser”.

L'erreur qu'il ne faut pas commettre, selon lui, c'est de penser que dès lors qu'on a élu le président de la République Bassirou Diomaye Faye, les choses changent. “L'État, c'est le même, avec les mêmes agents. L'État profond, il est encore là avec ses habitudes. Pour la justice, c'est un service public. Le peuple a le droit de mettre la pression sur elle, comme il le fait sur le président de la République, comme il le fait sur le Premier ministre. On dit le temps de la justice n'est pas le temps des hommes ; le temps de la justice est le temps des hommes, parce que la justice est rendue au nom des hommes. Elle doit être rendue avec célérité. C'est un principe fondamental. On peut même en poursuivre des magistrats”.

Ousmane Sonko de souligner : “Je vais vous dire une chose ; jusque-là, je ne me suis pas intéressé à ces questions. Je n'ai jamais fait arrêter quelqu'un. Mais sur ces questions (atteintes à l'honneur et fausses nouvelles), à partir d'aujourd'hui, j'assume. Après ces jeunes, j'ose espérer que vous, les adultes politiciens, qui les envoyez sur les plateaux, vous allez sortir. Vous nous invitez dans un terrain que nous maitrisons bien. Nous vous attendons de pied ferme.”

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FINANCEMENT DE L'ÉCONOMIE 

Le PM revient sur la stratégie du gouvernement et accuse le FMI 

Le Premier ministre est par ailleurs revenu sur la stratégie du gouvernement pour le financement de l'économie dans un contexte plus ou moins tendu. Il a réitéré à ce propos l'option du gouvernement à aller vers plus de souveraineté. Ce qui suppose une meilleure mobilisation des ressources internes qui constituent le premier poste de recettes. Ensuite, il y a les recettes issues de la gestion des ressources naturelles. “La souveraineté a un prix. Cela suppose que les Sénégalais soient familiarisés avec l'impôt. Nous voulons faire en sorte que chacun paie l'impôt. Des taux acceptables, mais une assiette élargie. Telle est notre stratégie avec le nouveau code que nous sommes en train d'élaborer”.

Pour y parvenir, le PM semble accorder une attention particulière à l'impôt sur le foncier, à la suppression de certaines exonérations non justifiées. “Si on enlève toutes les mauvaises pratiques, on pourrait même doubler nos recettes fiscales”, soutient-il avec beaucoup d'optimisme. 

L'autre poste important, c'est les ressources naturelles. Sur cette question, le PM a estimé que le Sénégal ne profite pas assez de ses ressources. “Par exemple, sur le phosphate, on n’a rien. La redevance minière, c'est zéro ; l'impôt sur la société, c'est zéro. Un tout petit peu sur les dividendes. C'est pourquoi nous avons engagé la renégociation. On le fait aussi sur le pétrole et le gaz”, a-t-il relevé.

Sur ce dernier point, le PM s'est voulu ferme. Pour lui, les contrats qui ont été signés sont léonins. “Si vous prenez les ressources des hydrocarbures, 75 % vont servir au cost oil. Sur les 25 % qui restent, le Sénégal a 15 %. Aussi, il y a un audit qui montre qu'il y a des surcouts sur les investissements. Je ne parle pas encore des prix de transfert. On gonfle les charges et on réduit les marges. Tout ça, on va revoir”.

On donne trop de pouvoir au FMI”

Mais la renégociation des contrats ne concerne pas que les contrats pétroliers. D'autres contrats sont concernés et les résultats commencent à tomber. “Si vous prenez les marchés publics, la renégociation a permis de gagner plus de 60 milliards. Des contrats que le régime précédent avait déjà conclus et que nous avons renégociés. Les contractants eux-mêmes ont reconnu qu'il y a eu de la surfacturation et sont d'accord pour que les ressources soient utilisées ailleurs : éducation nationale, enseignement supérieur, compte non tenu des ressources naturelles”, plaide le PM. 

Par ailleurs, Sonko a estimé qu'au Sénégal, on donne trop d'importance au Fonds monétaire international (FMI= qui est un partenaire comme les autres. D'après lui, cette institution de Bretton Woods a sa responsabilité dans la situation que traverse le pays. “En 2018, j'ai écrit une lettre au FMI pour les alerter sur les dépassements sur les ressources extérieures. Donc, ils ne peuvent ne pas savoir. S'il y a un seul acteur qui n'a pas de responsabilité dans cette situation, c'est le régime du président Bassirou Diomaye Faye”, a soutenu le Premier ministre.

Pour lui, le FMI est un partenaire comme les autres. “Si nous trouvons un accord avec le FMI, nos besoins en financement pour cette année, c'est environ 1 195 milliards F CFA. Ce sera un peu dégressif par la suite, ça va descendre année après année. En 2029, on sera à 155 milliards”.

 

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