Publié le 7 May 2025 - 18:35
DIALOGUE NATIONAL AU SÉNÉGAL

Refondation ou simple reconduction ?

 

Le Sénégal est à un carrefour démocratique décisif, malgré sa posture d'exemple dans la sous-région. À peine un an après l’accession au pouvoir du tandem Diomaye-Sonko, fruit d’une alternance historique arrachée dans la douleur, les nouvelles autorités ont lancé un dialogue national sur le système politique. Présenté comme un moment fondateur de la ‘’refondation démocratique’’ et de la ‘’réconciliation nationale’’, ce rendez-vous politique s’annonce chargé d’enjeux.

 

Au lendemain d’une élection présidentielle historique marquée par l’arrivée au pouvoir d’Ousmane Sonko et de son parti Pastef, le Sénégal s’engage dans un vaste chantier de refonte de son système politique. Du moins, en apparence. Le lancement du dialogue national sur le système politique, initié par le nouveau régime, s’inscrit dans une volonté affichée de ‘’réconciliation nationale’’ et de restauration de la confiance entre les institutions et les citoyens. Sur le papier, les ambitions sont nobles. Mais dans le détail, les termes de référence du dialogue, rendus publics récemment, soulèvent autant d’espérances que d’interrogations.

Car si le Sénégal, souvent cité en modèle démocratique en Afrique de l’Ouest, a connu trois alternances pacifiques (2000, 2012 et 2024), il n’en demeure pas moins que son système politique reste marqué par de profondes fragilités : un parrainage décrié, des institutions jugées partisanes, une justice électorale contestée, un multipartisme anarchique et un processus électoral miné par les soupçons d’irrégularités.

Les crises préélectorales de 2011, 2019 et 2024 ont révélé un mal sénégalais persistant : l’érosion du consensus politique sur les règles du jeu. À cela s’ajoute un cadre institutionnel que beaucoup jugent obsolète ou dévoyé.

C’est dans ce contexte tendu, mais porteur d’espoir, que s’ouvre ce dialogue national. Le timing est stratégique.

Il s’agit, pour le nouveau pouvoir, d’asseoir sa légitimité par la concertation, après des années de tensions, d’emprisonnements politiques et de méfiance généralisée. Le président Diomaye Faye, issu des rangs du Pastef, a promis un gouvernement de rupture. Ce dialogue est donc perçu comme un test de sincérité et de volonté réformatrice.

Mais une question demeure : s’agira-t-il d’un véritable aggiornamento démocratique ou d’un recyclage du système sous un autre vernis ?

Les termes de référence du dialogue

Les termes de référence du dialogue définissent un cadre ambitieux : réforme du Code électoral, encadrement du financement des partis politiques, révision du système de parrainage, statut de l’opposition, inscription automatique sur les listes électorales, refonte des organes de gestion des élections, réflexion sur le rôle de la justice et des médias. À cela s’ajoute une volonté de rationaliser le calendrier républicain et de clarifier les rôles entre les différentes institutions impliquées dans l’organisation des scrutins.

L’objectif affiché est clair : renforcer la démocratie sénégalaise en anticipant les échéances majeures à venir (Territoriales en 2027, Présidentielle et Législatives en 2029).

Mais derrière cette architecture technique, plusieurs enjeux politiques majeurs se profilent. Le premier est celui de la réforme de la Cena, accusée depuis des années de passivité, voire de connivence avec l’Exécutif. Le président a relancé l’idée, sensible, de la transformer en une Commission électorale nationale indépendante (Ceni) disposant de moyens étendus et d’une autonomie réelle. Une réforme qui, si elle est sincère, pourrait rééquilibrer le rapport de force entre pouvoir et opposition. Encore faudra-t-il garantir sa composition pluraliste, son indépendance budgétaire et ses pouvoirs contraignants.

Le deuxième enjeu, plus délicat encore, est celui de la justice électorale. Nombreux sont les acteurs qui, à l’image de ce qui s’est produit en 2019 ou plus récemment en 2024, pointent une instrumentalisation du Conseil constitutionnel et des juridictions administratives. Le dialogue devra aborder cette question taboue : faut-il maintenir la centralité du Conseil constitutionnel dans la validation des candidatures et la proclamation des résultats ? Ou faut-il créer une juridiction électorale autonome ? Le débat promet d’être houleux.

Le troisième point de friction concerne le système de parrainage. Institué pour limiter les candidatures fantaisistes, il est désormais perçu comme un outil de verrouillage démocratique. Pastef, longtemps victime du système, se retrouve aujourd’hui en position de l’ajuster ou de l’abolir. Le dialogue devra trancher entre simplification, suppression ou révision en profondeur du mécanisme, en tenant compte des impératifs de transparence et d’équité.

En toile de fond, une autre question traverse les débats : celle de la rationalisation des formations politiques. Le Sénégal compte aujourd’hui plus de 300 partis politiques, dont une infime minorité prend part aux compétitions électorales. Le dialogue national entend poser la question de leur rationalisation. Mais cette ambition se heurtera à des intérêts croisés : faut-il imposer un seuil électoral ? Supprimer les partis sans représentativité ? Encadrer leur financement ? Là encore, la réforme se heurte aux limites du consensus.

Quel type de dialogue ?

Enfin, la méthode du dialogue elle-même est scrutée. Si la participation paritaire majorité-opposition est prévue, la société civile, les syndicats, les mouvements citoyens, les universitaires et les médias exigent une place à part entière. Beaucoup refusent un schéma classique d’arrangement entre partis, soupçonnant déjà une tentative de cooptation institutionnelle. La réussite du dialogue dépendra de sa capacité à intégrer toutes les voix, y compris les plus critiques, dans un esprit d’écoute et de confrontation constructive.

À ce stade, le dialogue national n’a pas encore commencé que les suspicions s’accumulent. Le risque est réel : celui d’un processus vidé de sa substance, qui accoucherait de demi-mesures consensuelles sans impact réel sur la structuration du système politique.

Pourtant, les attentes sont immenses, notamment chez les jeunes qui ont payé un lourd tribut lors des événements de 2021 à 2023. Pour eux, la démocratie ne se limite plus au vote : elle suppose un droit à l’expression, une égalité devant la loi et une participation effective à la chose publique.

Le dialogue national, s’il est conduit avec courage et transparence, pourrait devenir un tournant majeur de la transition démocratique sénégalaise. Mais s’il est piloté comme une opération de cosmétique institutionnelle ou un outil de légitimation du pouvoir en place, il ne fera que prolonger la crise de confiance qui mine depuis des années le rapport entre gouvernants et gouvernés.

Le Sénégal joue gros : refonder la République ou reproduire les impasses du passé.

Boycott assumé et scepticisme assumé : Thierno Alassane Sall face au ‘’simulacre de dialogue’’

À l’approche du dialogue national sur le système politique prévu le 28 mai 2025, tous les regards se tournent vers les forces politiques invitées à ce moment censé marquer une étape vers la refondation des institutions sénégalaises.

Mais dès l’annonce officielle des termes de référence, une voix dissonante s’est fait entendre : celle de Thierno Alassane Sall et de son parti, la République des valeurs (RDV). Dans un communiqué sec et ferme, la formation politique a décliné l’invitation, dénonçant une entreprise de façade destinée, selon elle, à ‘’entériner un scénario écrit d’avance’’.

Ce boycott n’est pas une simple posture. Il s’inscrit dans une cohérence politique que TAS revendique : celle de la rupture avec les logiques clientélistes, l’opacité décisionnelle et la confiscation de la parole citoyenne. À ses yeux, ce dialogue ne repose sur aucun socle éthique réel. L’ancien ministre de l’Énergie, qui fut aussi l’un des premiers à alerter sur la gouvernance nébuleuse des ressources pétrolières, ne mâche pas ses mots : il parle de ‘’parjure du président’’, de ‘’contrevérités flagrantes’’ et de ‘’simulacre de dialogue’’.

Dans une République où le dialogue a souvent été synonyme de dilution ou de diversion, TAS refuse cette fois de jouer le jeu. Le Pacte de bonne gouvernance démocratique, signé par le président Diomaye Faye lors de la campagne, est, selon lui, le seul cadre légitime. C’est sur cette base que la RDV souhaite discuter : pas dans une arène scénarisée où les dés seraient pipés.

Pour lui, il ne s’agit pas d’un refus de principe, mais d’un refus de compromission.

Dr Cheikh Guèye, une voix modérée dans la tempête politique

La mission du docteur Cheikh Guèye, nommé facilitateur général du dialogue national, s’annonce des plus délicates. Chercheur en politiques publiques, intellectuel respecté, ancien du Codesria et actuel directeur exécutif de l’Ipar, le Dr Guèye n’est pas un inconnu des cercles politiques. Au sein du think tank Ipar, il a souvent plaidé pour une gouvernance fondée sur les données, la participation citoyenne et la transparence institutionnelle.

Sa désignation par le président Diomaye Faye est à la fois un signal d’ouverture et un pari risqué. Le président compte sur son intégrité et son expérience pour bâtir des consensus autour des réformes à venir. L’homme, dans sa première réaction publique, a promis d’adopter une posture d’humilité et d’écoute. ‘’La démarche de co-construction m’invite à une approche inclusive’’, a-t-il déclaré, rappelant que les fondations d’une démocratie durable ne peuvent émerger que d’un processus collectif et sincère.

Mais entre les lignes, le défi est clair : il lui faudra convaincre les sceptiques, rattraper les voix qui s’éloignent et éviter que le dialogue ne se transforme en monologue. Car c’est bien sur sa capacité à générer l’adhésion, à fédérer au-delà des camps partisans et à désamorcer les crispations, que se jouera la réussite – ou l’échec – de cette séquence politique capitale.

AMADOU CAMARA GUEYE 

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