Un Président à deux visages
La pauvreté galopante et l'étranglement financier des petites et moyennes entreprises, cumulés aux petites scènes de crimes et de complots entre les allées du Palais de la République, et à l'explosion quantitative des marchés publics de complaisance, donnent à la «gouvernance vertueuse» promise par Macky Sall les allures d'une présidence indécise.
Au rythme des auditions liées à la traque contre les auteurs de biens mal acquis, à l'enrichissement illicite, et des chroniques médiatiques quotidiennes qui en découlent, le pays tout entier semble s'être fourgué dans une nasse qui fait se poser moult questions sur le présent et l'avenir. Le président de la République, Macky Sall, élu le 25 mars 2012, a certes décliné sa vision de la gouvernance qu'il veut imprimer à la marche du pays après la sortie de la nuit des Wade.
Il a mis en œuvre certaines mesures hardies dans un contexte extrêmement difficile qui laisse un minimum de marge de manœuvre en matière économique et financière. Il tente, en alliant efforts et contraintes politiques, de rationaliser le fonctionnement de l'administration et des services publics... Mais après 10 mois de gouvernance, une réalité s'impose : le boulot du président sera dur jusqu'au bout du mandat, pour ne pas dire que la mission que lui a assignée le peuple sénégalais est de nature impossible.
Comment redresser un pays si malade de ses faiblesses économiques et financières, de ses tares sociales et sociétales, de ses certitudes déplacées et sans fondement, de ses prétentions surannées face «aux autres» ?
Comment redresser un corps maladif d'une classe politique globalement et volontairement prédatrice, de (certains de) ses marabouts accrocs au flouze, d'une frange de sa société civile carrément affairo-opportuniste ? C'est à l'ensemble de ces phénomènes de décadence d'un pouvoir politique nouveau, lui-même pris au piège d'une masse critique de turpitudes plus ou moins naissantes, que le Sénégal est appelé à faire face.
Au moment où la misère de l'environnement économique menace de détruire une partie des petites et moyennes entreprises (PME) victimes de dettes impayées, des scènes de crimes et de petits complots de Palais, au cœur du sanctuaire de la République, donnent une image terrible à la première institution du pays. Or, pendant plusieurs semaines et mois de campagne électorale puis de présidence effective, on a vendu aux Sénégalais l'image d'un chef d'Etat rigoureux, porté sur l'efficacité, peu permissif aux compromissions et, surtout, positivement intolérant contre les combines de toutes sortes. Aujourd'hui, ce beau tableau tend pratiquement à être démenti en partie par la réalité de faits.
Sous nos yeux, les dérapages dans la conduite des affaires par le pouvoir se démultiplient qui donnent l'impression que le navire amiral mis en service à partir du 2 avril 2012 aurait tendance à perdre le Nord, englué dans des secousses sporadiques qui entrouvrent les flancs d'une chute plus dure. Le président de la République a esquissé, comme tout le monde le sait, une théorie qu'il a nommée «gouvernance vertueuse» et qui constituerait pour lui le repère de ses actions. Mais ni lui, ni ses conseillers encore moins ses ministres ne daignent expliquer à l'opinion les fondements de ces pratiques de gré à gré qui commencent à imposer un vernis affairiste à certains cercles du pouvoir d'Etat.
La régularité banale dans laquelle s'inscrit le retour de ces procédés popularisés par Abdoulaye Wade est inquiétante à plus d'un titre. Non seulement elle ramène le pays et l'Etat aux tares du régime déchu mais, plus grave, elle accrédite la thèse d'une continuité formelle de la mal gouvernance dans un contexte qui n'aura changé ni les mentalités ni la nature des actions des nouveaux gouvernants. Entre les commandes, sous le boisseau, de véhicules pour la Présidence de la République et pour l'Assemblée nationale à des entités économiques «amies», et l'explosion des marchés publics attribués à des obligés ou partenaires d'affaires, on se demande à quelle sauce ont été mangées les intentions vertueuses d'un chef de l'Etat qui «assiste» à toutes ces entorses, impuissant, acquiesçant ou dépassé. Où est passé le Président de la gouvernance vertueuse ?
Mais heureusement pour lui, est-on tenté de dire ! Sa chance s'appelle Benno Bokk Yaakaar (BBY), ce conglomérat de partis et d'organisations enchaînés par une logique de soutien politique qui obéit aux objectifs tactiques et stratégiques de chaque allié, dans un compagnonnage limité dans le temps.
Depuis le 25 mars 2012, quelque chose a changé ! Le chef de l'Etat a sans doute la volonté ferme d'honorer ses engagements électoraux. Pour son honneur ! Mais de temps à autre, il apparaît qu'une certaine manière de faire la politique l'a rattrapé qui le ramène au statut ordinaire d'un homme politique comme un autre ! En face, son Premier ministre, lui, trouve le temps de présider une cérémonie de tirage au sort de la Coupe de la Ligue de football... L’Exécutif a deux têtes, mais le Président, lui, a deux visages dont les agendas ne tirent pas dans le même sens.
Momar Dieng