Les assurés n’y songent même pas
A la suite de la mise en place, en plein cœur de la crise de la Covid-19, d'un groupe de travail chargé de réfléchir à la création d’un régime d’assurance efficace contre les conséquences d’une pandémie d’une telle ampleur, la Fédération française de l’assurance (FFA) a proposé, hier, de créer un dispositif de catastrophes exceptionnelles baptisé Catex. Au Sénégal, les clients des sociétés d’assurance ne nourrissent même pas l’espoir de se voir un jour épauler par leurs assureurs pour faire face à de telles situations.
Le dispositif de ‘’catastrophes exceptionnelles’’, dénommé ‘’Catex’’, proposé hier par la Fédération française de l’assurance (FFA) aurait vocation à ‘’être simple, rapide et forfaitisé’’. Ceci pour aider les entreprises assurées à faire face aux cessations ou diminutions significatives d’activités liées à un événement exceptionnel tel qu’une pandémie, les suites d’un attentat terroriste, des émeutes ou une catastrophe naturelle. ‘’Il pourrait être déclenché à la suite d’une déclaration, par l’Etat, de fermeture administrative touchant un ensemble d’entreprises pour une durée déterminée et sur une zone géographique donnée’’, explique la FFA sur son site web.
Avec ce dispositif, l’ensemble des toutes petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) impactées par cette fermeture seraient éligibles. D’après la même source, ce mécanisme serait intégré soit dans les contrats comportant une garantie ‘’Incendie’’, qui couvrent aujourd’hui 100 % des TPE et PME françaises, soit dans les contrats comportant une garantie ‘’Pertes d’exploitation’’, qui couvrent à ce jour environ 50 % des entreprises en France.
Au Sénégal, même si une telle initiative n’est pas encore envisagée, il convient de noter que, naturellement, les assurés n’ont jamais rêvé de recevoir quoi que ce soit de la part des sociétés d’assurance, et ceci même en temps de crise. ‘’Les assureurs ne nous ont jamais dédommagés en temps de crise. Si nos véhicules tombent en panne et qu’ils doivent nous dédommager une valeur de 2 millions de francs CFA, si on est chanceux, on sera remboursé à hauteur de 200 000 F. Quelqu’un qui réagit ainsi pour une simple panne ne va pas vous soutenir en temps de crise. Or, c’est un droit’’, soutient le secrétaire général de l’Union des routiers du Sénégal, joint au téléphone d’’’EnQuête’’.
Gora Khouma confie que si leurs véhicules tombent en panne, ils l’amènent chez un garagiste ‘’agréé’’ qui fait une évaluation et fixe le montant de la réparation, par exemple, à 2 millions. Ils envoient le reçu chez un expert payé par l’assureur. Ce dernier, au lieu de rapporter le même montant du garagiste, va aussi faire une ‘’réévaluation’’ et conclure que le montant de la réparation de la panne est estimé à ‘’500 000 F’’. ‘’Malheureusement, si on fait des réclamations, l’assureur nous dit qu’il n’y peut rien, car il ne peut que se référer à la somme fixée par l’expert. Donc, on ne peut rien espérer de plus de la part de quelqu’un qui agit de la sorte. Les assureurs ne nous ont jamais soutenus et je ne crois pas qu’ils le feront. Ils bafouent nos droits et font ce qu’ils veulent. Parfois même, il arrive qu’on porte plainte auprès du tribunal et qu’on gagne le procès. Mais là aussi, pour le dédommagement, c’est tout un problème. C’est pareil aussi, en cas d’accident ou de maladie’’, renchérit ce transporteur.
Ce cri du cœur est le même chez les restauratrices. Comme les routiers, elles en voient de toutes les couleurs pour se faire rembourser auprès de leur assureur. ‘’Le dédommagement dans les agences d’assurance est un casse-tête. Moi, j’avais une fois fait une crise d’AVC (NDLR : Accident vasculaire cérébral) et je me suis retrouvée à moitié paralysée. Mais quand il m’a fallu récupérer mon argent pour les frais médicaux, ils m’ont dit que la nouvelle carte d’assurance de l’année n’était pas encore disponible. Donc, il m’a fallu débourser mon propre argent pour me prendre en charge pendant deux mois. Et pour me faire rembourser ces frais, c’était la croix et la bannière. Et jusqu’à présent, je n’ai reçu aucun centime’’, rapporte la présidente de l’Union nationale des femmes restauratrices du Sénégal (Unafres) Maïmouna Diouf.
Gora Khouma : ‘’A part les contrôles routiers, les assurances ne servent à rien’’
Malheureusement, malgré ces tracas pour se faire rembourser, le SG de l’Union des routiers reconnait qu’ils ne peuvent pas mener leurs activités sans un service d’assurance, surtout pour les chauffeurs. C’est obligatoire, lors des contrôles routiers. ‘’C’est un délit de conduire un véhicule sans assurance. A part les contrôles routiers, les assurances ne servent à rien. Il n’y a pas de barème fixe pour les services d’assurance. Chaque agence fixe ses prix, selon les catégories de véhicules. Elles font une course à la clientèle. On peut trouver le même service à 50 000 dans une agence, 20 000 dans une autre et parfois même 10 000 F chez certaines. Même si le secteur est réglementé par les textes, sur le terrain, la réalité est toute autre. Dans la pratique, il n’y a pas de réglementation. Les textes sont violés sur le terrain’’, affirme Gora Khouma.
Madame Diouf indique, par ailleurs, que dans leur secteur, c’est à cause de ces pratiques que les acteurs de l’informel ne souscrivent jamais à une police d’assurance. ‘’Ils n’ont pas assez de ressources financières. Donc, ils ne peuvent pas se permettre d’épargner de l’argent qui ne leur servira à rien, en cas d’accident ou d’incident. Car ils ne pourront pas y accéder. Moi, j’étais à Transvie, mais les services sont trop chers ; donc, j’ai quitté. Je ne pouvais pas supporter les coûts. Donc, je me suis rabattue chez les petites agences comme Axa assurance, etc.’’, renchérit cette restauratrice.
Maïmouna Diouf avait auparavant souscrit à une police d’assurance après que son restaurant a été cambriolé. Mais cette agence n’a pas été opérationnelle très longtemps. Elle a sombré dans une banqueroute. ‘’Je me suis, à nouveau, inscrite chez une autre agence, mais les offres sont limitées. Elles concernent notamment le vol, les incendies et les accidents de travail. La crise n’en faisant pas partie. Il y a aussi l’assurance santé pour les frais d’hospitalisation, pour un tarif de 8 000 ou 30 000 F CFA, selon les moyens financiers du client’’, fait-elle savoir.
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MAH'AWA COULIBALY (COUNTRY MANAGER À BALOON ASSURANCES)
‘’L’évaluation du risque, le bon conseil et l’accompagnement du client font souvent défaut’’
Aujourd’hui, s’il y a une crise de confiance entre les assureurs et les assurés, causée principalement par les procédures de remboursement en cas de sinistre, la Country manager de la société d’assurances Baloon, Mah’Awa Coulibaly, fait savoir que c’est parce que l’évaluation du risque, le bon conseil et l’accompagnement du client font ‘’souvent défaut’’.
En charge du lancement, du développement et du pilotage d'une offre d’assurances à Baloon, Mah’Awa Coulibaly explique que l’incompréhension entre les sociétés d’assurance et leurs clients est liée à plusieurs raisons. ‘’L’évaluation du risque, le bon conseil et l’accompagnement du client font souvent défaut. En effet, lorsque le risque est mal évalué et/ou le client mal conseillé, les conséquences peuvent aller jusqu’au non-remboursement du client, à la suite d’un sinistre. C’est pourquoi il est très important de bien conseiller le client sur la couverture adaptée à son risque’’, précise-t-elle.
Madame Coulibaly inscrit dans ces causes la fraude à l’assurance aussi bien du côté des intermédiaires en assurance, à savoir la ‘’non-déclaration de contrat ou non-reversement des primes’’, etc., que du côté des clients avec de ‘’fausses déclarations, une falsification de documents’’, etc. ‘’Ces paramètres ont tendance à être motifs de longues procédures et dans le pire des cas, motifs de rejet des demandes de remboursement. Pour les primes d’assurance, pendant plusieurs années, les compagnies et autres acteurs de l’assurance accordaient à leurs clients le paiement des primes à crédit. Cette situation impactait fortement la solvabilité des compagnies’’, poursuit notre interlocutrice.
D’ailleurs, la Country manager de Baloon souligne que des sociétés comme la sienne veulent ‘’justement rétablir la confiance’’, en apportant une ‘’totale transparence’’ sur les contrats, une transparence sur les paiements, grâce au mobile money ou la monnaie électronique. ‘’Et nous nous engageons à respecter un délai record pour le remboursement des sinistres. Le rôle de conseil est aussi primordial et indispensable pour que les usagers n’aient pas de mauvaise surprise sur la couverture du risque’’, dit-elle.
Toutefois, Mme Coulibaly note que comme tous les secteurs de l’économie nationale, la crise sanitaire actuelle a été un ‘’véritable révélateur’’ pour leur activité. ‘’En effet, comme toute société, nous étions inquiets sur la production et les effets économiques du coronavirus. Mais il s’avère que la pandémie n’a pas eu d’impact négatif sur notre croissance. Au contraire, l’impact s’est révélé positif’’, signale-t-elle.
En fait, en tant qu’assurance digitale, elle relève qu’ils n’ont eu aucune cessation d’activité. Car leurs clients n’ont pas besoin de venir physiquement dans leurs bureaux pour souscrire une assurance. ‘’Cette crise a mis en lumière l’immense avantage de la digitalisation des services qui est la souscription à distance, donc sans exposition au virus. Pour mémoire, avec Baloon, le client souscrit depuis son téléphone ; il paie par mobile money et son attestation est livrée à domicile. Il peut bénéficier d’une assistance téléphonique pendant tout le process, pour en savoir plus sur la formule et les garanties ou pour l’aider à transmettre ses informations’’, poursuit Mme Coulibaly.
Sur ce, Mah’Awa Coulibaly estime que cette pandémie a renforcé la volonté des gouvernants de ‘’favoriser le numérique’’ au sein de l’Administration aussi. ‘’Et on voit aussi des secteurs du privé se développer depuis l’arrivée du virus (service de livraison à domicile, e-commerce de produits de base…). C’est une excellente chose pour l’avenir, car le numérique gagne tous les secteurs et devient donc un geste du quotidien pour les citoyens’’, témoigne-t-elle.
MARIAMA DIEME