Publié le 14 Jan 2013 - 20:16
ALIOUNE FALL, JOURNALISTE ET PROCHE DE MACKY SALL SUR L'INTERVENTION FRANÇAISE AU MALI

''Nous n'avons qu'à ravaler orgueil et fierté...''

 

Il est très rare de le surprendre en compagnie du Président Macky Sall. Et pourtant, Alioune Fall, journaliste et expert en communication, est dans le premier cercle des proches du chef de l’Etat. Très actif, mais dans l’ombre, il accepte bien de se soumettre aux questions brûlantes de l’heure. Du récent engagement des troupes sénégalaises au Nord-Mali en passant par la situation en Casamance, les derniers développements dans l’affaire Aïdara Sylla, la problématique globale de la transparence dans la gestion de la chose publique, la recomposition en marche, Alioune Fall ‘’mouille le cerveau’’, sans prendre de gants…

 

L’actualité est marquée au Nord Mali par l’intervention militaire de l’armée française et de pays de la sous-région dont le Sénégal. Qu’est-ce que cela vous inspire comme analyse ? On a comme l’impression que nos États restent désarmés devant la montée du terrorisme dans la région du Sahel...

 

Je pense que le constat effroyable qui s’impose avec la situation au Mali, c’est que plus de 50 ans après la naissance de nos pays en tant qu’étant souverains, nous sommes encore incapables d’assumer cette souveraineté-là. C’est la dure réalité, n’en déplaise à notre fierté. Nous sommes prompts à décrier les puissances occidentales, non sans raison il est vrai, mais nous sommes incapables de nous émanciper de leur parrainage fonctionnel. Des difficultés de trésorerie dans tel État, la confiscation du pouvoir politique par un leader réfractaire aux règles démocratiques dans tel autre État, une menace armée venue du désert… on se tourne aussitôt vers l’Europe ou l’Amérique. C’est triste mais voilà où des générations de dirigeants prédateurs, inconscients, sans vision ni ambitions, ont conduit l’Afrique. Au Mali, depuis un an, on tergiverse par impuissance face à une situation intolérable et menaçant toute la sous région. Ouf ! Le messie est l’ancienne puissance colonisatrice, et aujourd’hui, nous n’avons qu’à ravaler orgueil et fierté pour glorifier ces Français sauveurs de la sous-région d’une déstabilisation certaine.

 

Pensez-vous qu’il est bien inspiré pour le Sénégal d’intervenir militairement au Nord-Mali vu les risques de représailles qu’on encourt ? Étant entendu qu’on a déjà un front en Casamance...

 

L’excès de prudence fait souvent le lit de la lâcheté. Il ne faut pas s’y tromper ; si le Sénégal, par de petits calculs sécuritaires de premier degré, s’abstient d’aller combattre l’islamisme armé dans le désert du Mali, il sera amené un jour, qui n’est peut-être pas aussi loin, à le combattre dans le Ferlo, dans la Savane du Boundou voire les ruelles de la banlieue de Dakar. Dans des conditions beaucoup plus éprouvantes, en plus. Cela est clair. Le Mali n’est que la porte d’entrée vers l’Afrique négro islamique de ce fléau du désert caché sous le manteau de la foi. Si nous avons peur d’aller l’affronter à cette porte malienne, il avancera tranquillement et nous trouvera dans notre lit sénégalais et ailleurs. Le front casamançais dont vous parlez ne nous a jamais empêchés d’être présents en permanence sur divers théâtres d’opérations militaires en Afrique et ailleurs, sous couvert de l’ONU ou d’autres organisations sous-régionales ou continentales.

 

Parlons justement de la Casamance qui a occupé une place de choix dans le message de nouvel an du président de la République. Beaucoup d’observateurs pensent que la libération des 8 soldats sénégalais constitue un tournant majeur pour une paix définitive en Casamance. N'y a-t-il pas là un optimisme exagéré ?

 

Il s’agit incontestablement d’un tournant majeur. C’est un acte de paix, ou au moins un acte d’apaisement, posé en plus par la mouvance considérée jusqu’ici comme la plus extrémiste du mouvement indépendantiste. Je pense que depuis les Accords de Cacheu (en Guinée Bissau) en 1992, c’est l’acte le plus positivement significatif qui a été noté dans ce dossier. On peut, d’ores et déjà, se montrer optimistes sur les perspectives, en termes de négociations notamment vers une issue souhaitable.

 

Jusqu'où l’État du Sénégal ira-t-il dans ses négociations de paix ?

 

Cette crise a déjà fait trop de mal au Sénégal et lui a déjà trop coûté. A mon avis, l’État devrait se mettre dans des dispositions d’aller chercher la paix en considérant tout ce que le conflit comporte d’inconvénients. Dans cette perspective et en se basant sur les principes directeurs de l’intangibilité des frontières nationales et de l’unicité de la Nation, il peut envisager d’aller loin dans les négociations avec nos compatriotes du MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamance).

 

 

L'ex-député Aïdara Sylla est poursuivi pour avoir servi d'intermédiaire au transfert de fonds que lui aurait remis Wade. Beaucoup pensent que celui-ci devrait être convoqué dans cette affaire.

 

Vous pouvez être certain d’une chose : si le dossier révèle des faits incriminant Wade dans des conditions l’exposant à des poursuites, la loi sera appliquée. Évidemment en tenant compte de son statut et des normes judiciaires qui en découlent.

 

Pensez-vous aussi que Macky Sall s'appliquera les mêmes critères de transparence qu'il a déclinés avec la traque des biens mal acquis ?

 

Le Président Macky Sall est conscient d’innover et de poser un acte de jurisprudence qui va rendre désormais effective l’obligation de reddition de comptes incombant à tous les gestionnaires publiques à la fin de leur mission. Le Président Abdou Diouf, nouvellement arrivé à la tête de l’État, avait clamé haut et fort que désormais, rien ne serait plus comme avant, pour affirmer sa volonté de rupture. Mais le Président Macky Sall pourrait bien s’approprier cette déclaration. Lorsqu’il a émis l’idée de réactiver le dispositif juridique de répression de l’enrichissement illicite élaboré par Diouf lui-même qui n’a pu l’opérationnaliser pleinement et qui a été obligé de le laisser en veilleuse, on pensait à un coup de bluff. Aujourd’hui, les choses apparaissent de plus en plus claires. La reddition de comptes vient d’entrer réellement dans les mœurs politiques sénégalaises, et désormais, tout gestionnaire public un tant soit peu lucide, exercera ses fonctions avec la claire conscience qu’il sera rappelé un jour pour répondre de sa gestion. Et Macky Sall sait que lui-même n’échappe pas à la règle. Il est conscient du fait qu’il n’est pas éternel, que sa longévité à la tête de l’État ne saurait excéder 10 ans, c’est-à-dire 2 mandats. Ensuite, il devra céder la place à un autre qui commencera par faire les comptes. Il est conscient de cela, et il ne rate aucune occasion de le rappeler aux membres de son entourage exerçant des responsabilités publiques.

 

Comment appréhendez-vous le fait qu'on dise qu'il a les mains liées justement parce qu'il a exercé le pouvoir en même temps qu'eux ?

 

Je considère que c’est juste des mots, un discours destiné à distraire l’opinion. Et le proche avenir nous édifiera. J’étais avec Macky Sall quand Wade a décidé de l’anéantir politiquement. Je peux même dire que j’étais au cœur de cette affaire, parce qu’à un moment donné, alors qu’il était Président de l’Assemblée nationale, on est venu lui dire que la fin des hostilités et la normalisation de ses rapports avec Wade passaient par le licenciement de son conseiller Abou Abel Thiam et la rupture de ses relations avec moi. Parce que des ''spin doctors'' incompétents avaient fait croire à Wade que nous étions les responsables de l’échec de leur stratégie média. La presse en avait parlé à l’époque. Macky Sall avait fait le choix d’honorer ce qui nous liait en sachant ce que cela allait lui coûter. C’est pourquoi j’ai l’habitude de dire que lui a la chance de pouvoir dormir tranquille avec le sentiment de s’être acquitté intégralement, dans la dignité, de ses obligations de loyauté envers moi. Je suis en situation de débiteur vis-à-vis de lui sur ce plan. Ceci, c’était une parenthèse sur le sens de nos rapports. Mais cette position qui était mienne – et qui l’est encore - fait de moi un acteur et un témoin de premier plan de cette époque de combat, dont l’insignifiance de la dimension connue du grand public renvoie à la métaphore de l’iceberg. Je peux vous dire qu’on ne lui a pas fait de cadeaux, l’option ferme ayant été de le tuer politiquement. On a fouillé partout, pour trouver le petit quelque chose qui permettrait de le faire disparaître définitivement de l’espace public. Même ses proches n’ont pas été épargnés. N’ayant rien trouvé, on s’est mis à planifier des opérations visant à le compromettre. C’est l’époque de cette fable grotesque de blanchiment d’argent qui n’a pu prospérer. Moi-même à plusieurs reprises, il m’a mis en garde contre un certain nombre de comportements à risques, pouvant favoriser l’introduction frauduleuse de choses ou d’objets compromettants dans mon domicile ou dans mon véhicule. Il ne me donnait jamais de détails, mais j’imagine qu’avec son parcours institutionnel, il devait avoir ses réseaux qui l’alertaient. Et il y a eu des faits vécus établissant clairement l’existence de tentatives d’exécution de complots visant à l’atteindre directement ou à travers nous ses proches. C’est une époque où l’on a été contraints de nous familiariser à des comportements et des réflexes de survie. Un jour, peut-être, j’en parlerai en écrivant l’histoire de la marche à la fois détournée et fulgurante qui a conduit Macky Sall de la Primature à la Présidence de la République en 4 ans. C’est une véritable épopée. Lui-même me taquine souvent en me disant que c’est ce livre qui mérite d’être écrit et versé dans la bibliothèque politique du Sénégal (...).

 

Et pour ce qui est de sa participation à la gestion de Wade...

 

Pour ce qui est de sa participation à la gestion de Wade, Macky Sall est déjà passé par le scanner, et rien n’a été détecté. Évidemment, le débat politique prend parfois une tonalité de diabolisation et en bons Wolofs, l’on recourt à ce dicton de chez nous selon lequel la querelle est un dépôt d’ordures où l’on balance à son vis-à-vis toute insanité qui vous passe par la tête. Ajoutez à cela l’état d’esprit de certains anciens gestionnaires publics ; ceux qui ont conscience d’avoir des choses à se reprocher. Ils se sentent de plus en plus pris au piège, et multiplient les stratégies de survie. Tantôt, ils privilégient l’option du ''nous sommes tous pareils'' en tentant de mouiller tout le monde, une sorte de nivellement dans le mal ; tantôt ils s’en prennent violemment au président de la République, avec un discours sortant du cadre conventionnel qui traduit à la fois leur angoisse et leur désespoir aux relents suicidaires. Injurier le Président est devenu une manière de se défouler, de déverser le trop-plein d’angoisse et aussi un moyen désespéré de se faire attaquer sur un front plus glorieux que celui de la distraction des ressources publiques. C’est ainsi qu’il faut comprendre toutes les allégations portées contre Macky Sall, mais vous noterez que celles-ci sont toujours formulées de manière très générale, très vague. Rien de précis. Parce qu’il n’y a rien (…).

 

 

On dit que le Président n'est pas trop rigoureux dans le choix de ses hommes...

 

Il fait avec ce qu’il a, avec les contraintes qui sont siennes. Avec la présidence de Macky Sall, j’ai découvert que l’une des épreuves les plus difficiles pour un Président dans le contexte sénégalais, c’est l’exercice de l’attribution de nomination. Quoi que l’on fasse, on se fait toujours critiquer parce qu’au fond, l’on ne considère que l’envers. Récemment, j’ai lu un article où on reproche au Président de nommer des ''fils de…''. Pour l’essentiel, il ne s’agit pas de fils de personnalités de la majorité actuelle, ni même de personnalités entretenant une affinité particulière avec Macky Sall ou ayant joué un rôle spécifique dans son combat politique. Et la question que je me pose c’est : est-ce que l’on doit exclure des affaires de ce pays tous ceux dont le père ou la mère ont eu une certaine notoriété liée à des activités qu’ils ont exercées à leur époque ? Avant cette critique, on en a enregistrées d’autres, toutes aussi surprenantes. Tel ne devrait pas être nommé, simplement parce qu’il est apparenté au Président ou à la Première Dame, ou alors parce que sa tante est l’épouse d’un ami de… On porte un nom à connotation pulaar, on crie à l’ethnicisme. Lorsque le nom sonne sérère, on parle de favoritisme de terroir. Quand des responsables de l’APR sont nommés, on dénonce le primat du critère politique. Des responsables de l’APR ne donnent pas satisfaction dans l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées, on les remplace par des gens n’évoluant pas forcément dans le même camp politique que le Président, on parle de trahison perpétrée contre les compagnons de la première heure, de mise à l’écart du parti qui l’a élu… Voilà les conditions dans lesquelles le Président exerce ses attributions en matière de nomination. Malgré tout cela, je sais que quand il porte son choix sur une personne, c’est avec la conviction forte que celle-ci est en mesure de l’aider à accomplir la mission que la Nation lui a confiée, et dans les conditions souhaitées. Et lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous, il n’a aucun problème à assumer ses responsabilités en mettant fin aux fonctions du concerné. C’est un homme déterminé à réaliser le projet de société pour lequel il a brigué les suffrages des Sénégalais, et rien ne l’arrêtera ni ne le détournera. Attendez-vous à le voir mettre la même détermination pour s’acquitter de sa mission, qu’il en avait mise pour faire face à Wade lorsque celui-ci décida de l’éliminer du jeu. C’est dans sa personnalité.

 

 

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