Le saut vers l’inconnu
Sous informés aussi bien du point de vue de l’orientation, des enseignements que de l’accès à l’emploi, beaucoup parmi les étudiants tombent dans la désillusion, malgré les couts énormes de la formation.
Une chose est d’obtenir la préinscription et le visa, une autre est de réussir son intégration et son projet scolaire. La plupart du temps, l’accompagnement des agences se limite à l’obtention du visa. Une fois le sésame en poche, les candidats sont laissés à eux-mêmes. Ils n’ont aucun projet pour effectuer le périlleux voyage vers l’inconnu. Sophie Gueye se rappelle son expérience : ‘’On ne pense même pas à certaines formalités durant la procédure. Comme tout est aléatoire, il n’y a aucune garantie d’arriver jusqu’au bout, on est toujours surpris. Ce n’est qu’au moment où on nous accorde le visa qu’on commence à penser aux autres étapes comme l’hébergement, le projet pédagogique, l’inscription, la vie en France.’’
Impréparés, les bacheliers et étudiants se retrouvent souvent angoissés et stressés. Sophie qui a rejoint la France l’année même où les réformes sur les inscriptions ont été introduites dans le système a failli rater sa première année, à cause de cette impréparation. ‘’C’était très difficile au début’’, lance-t-elle, avant d’ajouter : ‘’Je suis partie en France sans même savoir si l’université que je devais rejoindre devait appliquer la hausse ou pas. L’agence qui était censée être au courant de ces changements ne m’a pas informée. C’est sur place, au moment d’aller m’inscrire que je me suis rendue compte que les réformes étaient appliquées à l’université où jetais orientée. Au lieu des 170 euros que j’avais prévus, je devais payer plus de 2700 euros. Vous-vous rendez compte ; j’étais dans le désarroi total.’’
Par chance, parmi les autres universités qui l’avaient acceptée et qu’elle avait déclinées, il y en avait qui n’ont pas appliqué la réforme, et qui ont bien voulu la prendre. Une bouffée d’oxygène pour la jeune sénégalaise. Mais cela a eu un cout. ‘’En fait, explique-t-elle, dans le choix de mon université, j’avais tenu compte des possibilités d’hébergement. J’avais choisi une localité où je pourrais être hébergée par un parent. Malheureusement, avec le changement, je me suis retrouvée dans une localité où je ne connaissais personne. Donc, obligée de payer mon logement. Mais, je n’avais pas le choix. Souvent, l’étudiant n’a aucune information. Il ne sait même pas qu’il doit confirmer son visa, une fois dans le pays d’accueil.’’
Dans certaines agences, on s’efforce de proposer des packages pour pallier ces insuffisances. ‘’Quand l’étudiant arrive, on l’aide d’abord à trouver un logement. Une fois sur place, nos agents peuvent les récupérer à l’université, les aider à prendre le moyen de transport pour se rendre dans les villes où ils sont orientés. Et une fois à destination, il y a un agent qui les prend pour les amener à leur logement. La prochaine étape, c’est de venir le récupérer, l’emmener à l’école pour s’inscrire, l’accompagner aussi dans la validation de son visa. On essaie aussi de les mettre en rapport avec d’autres étudiants du réseau qui sont dans la même zone pour qu’ils puissent les coacher. C’est tout un réseau qui est mis en place pour ce faire’’, se défend Mme Mbaye de SoluEtude.
La spirale d’échec
Au Sénégal, ils sont nombreux les élèves et étudiants à penser qu’il est bien plus facile de réussir dans les études dans les pays d’accueil comme la France, du fait des conditions nettement meilleures qu’au Sénégal. Pourtant, les probabilités d’échec sont tout aussi élevées en Occident, surtout lorsqu’on n’a pas l’assistance qu’il faut. Sophie Gueye met en garde : ‘’Quand on vient ici, il faut surtout prier d’avoir des parents qui peuvent t’aider à financer tes études. Autrement, c’est très difficile d’étudier en même temps de travailler pour financer soi-même ses études. D’abord, le travail est dur. Ensuite, tu es obligé de travailler même le week-end. Or, en général, les étudiants profitent surtout des week-ends pour réviser, faire leurs exercices. Car, en semaine, on est tout le temps en cours ou en TD. Ce n’est pas évident.’’
Ceux qui le font, dit-elle, c’est surtout parce qu’ils n’ont pas le choix. ‘’Quand tu n’as pas de parents qui t’envoient de l’argent pour prendre en charge le loyer, la nourriture et les factures, c’est difficile. Certains sont donc obligés d’allier les deux (travail et études), mais ce n’est pas évident ; même s’il y a beaucoup d’étudiants qui le réussissent. On peut facilement imaginer que c’est au prix d’efforts colossaux. Personnellement, je ne le peux pas. Je ne cherche à travailler que pendant les vacances, afin de pouvoir totalement me concentrer sur les études.’’
Par ailleurs, quand on fait des études, c’est aussi pour trouver de l’emploi après le diplôme. Soit dans son pays d’accueil soit dans son pays d’origine. Pour les étudiants qui souhaitent s’installer dans leurs pays d’accueil, le choix de la filière au départ est très important, malheureusement, il est souvent négligé. ‘’Le système français, et plus globalement des pays développés, disait Bocar, est fait de telle sorte que le marché arrive à absorber les diplômés ayant un parcours brillant, surtout dans certaines filières. Ce qui est le cas pour beaucoup de diplômés sénégalais. Je connais énormément de sénégalais comme consultants dans la plupart des cabinets du Big-Four ou dans les entreprises du CAC 40. Le Sénégal ignore même leur vrai potentiel.’’
L’Etat, selon lui, gagnerait à mieux suivre l’ensemble de ses étudiants présents à l’étranger, pas seulement les boursiers. ‘’Nous n’avons même pas nos propres chiffres sur la population estudiantine en France, le nombre d’étudiants qui sort chaque année. L’Etat ne connait que ses boursiers, à moins de recourir à Campus France. Je pense que c’est une faille à corriger. Aussi, il faut des offres incitatives pour que les meilleurs d’entre eux puissent accepter de rentrer et développer leur pays et leur continent. A mon avis, il y a plusieurs freins à ce retour, dont les difficultés même à intégrer la fonction publique. Avec le taux important du chômage, j’ai l’impression que l’Etat se dit que cela ne vaut pas la peine de perdre son temps avec les expatriés’’
Par ailleurs, même si nombre de compatriotes arrivent à s’insérer dans le monde de l’emploi en France, ils sont encore nombreux à se voir obligés d’abandonner les études, avant ou après l’obtention du diplôme. ‘’Au-delà même du financement de nos études, il y a la famille restée au pays qui ne se rend pas compte qu’on est simple étudiant. Puisqu’on est en France, ils s’attendent à ce qu’on participe aux dépenses familiales et ce n’est pas toujours évident. Cela a perdu beaucoup d’étudiants qui ont mis en avant le travail plutôt que les études. Beaucoup finissent par abandonner leur rêve de devenir de hauts cadres bardés de diplômes. Ils se contentent d’un simple statut de migrant’’, confie un étudiant établi à Boulogne sur mer.
En outre, il faut signaler que de plus en plus les mouvements de fonds des étudiants sénégalais en France vers leurs familles diminuent. ‘’Aujourd’hui, constate notre interlocuteur pour s’en réjouir, je connais beaucoup d’étudiants qui vivent grâce aux sous que leur envoient leurs familles au Sénégal. Encore que même après la formation, ils ne sont pas assurés de trouver un emploi décent.’’
MIGRATION DES ETUDIANTS SENEGALAIS Une saignée financière et humaine Selon les chiffres de Campus France, en 2020, le Sénégal (27 231 dossiers de candidatures) était à la deuxième place parmi les pays où sont enregistrées le plus de candidatures pour des études en France, derrière l’Algérie (plus de 31000 dossiers), devant le Maroc (plus de 25 000) ; soit une hausse de plus de 40% par rapport à l’année précédente qui marquait le début de la hausse des frais d’inscription. En ce qui concerne le classement des pays par demande de visas étudiants, le Sénégal (7892 demandes) se trouve à la troisième place, derrière le Maroc (15 448) et l’Algérie (11 405). Ce qui veut dire aussi que sur les plus de 27 000 demandes de candidatures, une bonne partie n’a pu obtenir la préinscription, alors même qu’ils ont payé 75 000 FCFA, au moins pour les frais Campus France. D’autres ont pu payer bien plus, s’ils sont passés par les agences. Dans la même période, la France n’a délivré que 16 675 visas pour toute l’Afrique subsaharienne. Selon la même source, le Sénégal est un acteur principal, en matière de mobilité sortante des étudiants. En 2018, près de 14 000 Sénégalais étudiaient à l’étranger, dont 64% en France, 7% au Maroc, 7% au Canada, des destinations en constante progression, depuis une dizaine d’années. Entre 2013 et 2018, le nombre d’étudiants sénégalais au Canada a progressé de 53% contre 264% pour le Maroc. Malgré cette augmentation constante en valeur relative, la France reste à n’en pas douter l’une des destinations privilégiées par les élèves et étudiants sénégalais. Dans le top 25 des pays d’origine des étudiants étrangers (2018-2020), le Sénégal se trouve à la cinquième place avec 13663 étudiants, soit une progression de 55% sur la période 2014-2019. Dans son livre, Ousmane Bocar Ba revenait aussi sur les enjeux économiques de ce phénomène de la migration estudiantine. ‘’En se basant sur un panel de 5 000 étudiants qui arrivent en France à raison de 615€ par mois obligatoires exigés par la France pour justifier ses ressources (l’entretien a eu lieu il y a un an), on se retrouve à injecter près de 92 milliards de FCFA, soit près de 141 millions d’euros dans l’économie française, si ces étudiants terminent leur cycle de Licence...’’, analysait-il. |
Mor AMAR