Publié le 6 Feb 2023 - 22:27
AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE

Une révolution verte dans le Niombato

 

Connu comme capitale de la production de l’arachide au Sénégal, le Sine-Saloum a également des atouts considérables en matière de cultures maraichères. Lors d’une visite de certains périmètres aménagés par le Programme d’appui régional à l’initiative pour l’irrigation au Sahel (Pariis), les experts et bénéficiaires sont largement revenus sur le défi de l’autosuffisance en fruits et légumes, l’autonomisation des femmes, ainsi que les nombreuses opportunités du Sénégal.

 

Malgré des potentiels énormes, la zone centre du pays connait des déficits importants en matière de produits maraichers. Les chiffres font état de 300 à 500 t de déficit par an. Pourtant, tous les atouts sont réunis pour que cette région puisse assurer sa propre autosuffisance en fruits et légumes de qualité. Président de la Coopérative des producteurs maraichers de la vallée de Daresalame, Mamadou Bakhoum est revenu sur la nécessité de corriger cette anomalie.

‘’Notre objectif est de satisfaire entièrement les besoins du marché en matière de produits maraichers. Ce n’est pas normal de continuer à dépendre des produits d’ailleurs, alors que nous avons toutes les possibilités de satisfaire cette demande de nos populations. Avec l’appui de nos différents partenaires et des services de l’Etat, nous pourrons relever le défi’’, a-t-il soutenu lors d’une visite de périmètres agricoles financés par le Projet d’appui régional à l’initiative pour l’irrigation au Sahel (Pariis) à Toubacouta.

Déjà, ce que Bakhoum considère comme une révolution a été entamé dans cette zone du Niombato depuis 2019. Dans les périmètres visités, des technologies de dernière génération ont été mises en place. Il s’agit non seulement de la maitrise de l’eau, mais aussi des couts de production grâce aux installations solaires. Ce qui permet d’avoir des produits de très grande qualité, à des rendements difficilement égalables sur le marché. ‘’Rien que pour la pomme de terre, nous sommes à 29 t à l’hectare. C’est très important. Nous avons un produit extrêmement compétitif. Le cout de production est presque de 82 F pour la pomme de terre. Cela veut dire que quelles que soient les conditions du marché, on peut s’en sortir. Pour l’oignon, nous sommes à plus de 60 t par campagne, pour un cout battant toute concurrence. Encore que nous avons des produits de grande qualité’’, explique le technicien agricole.

Selon le spécialiste, la zone du Niombato regorge de potentialités non encore suffisamment exploitées, malgré les progrès importants réalisés grâce notamment à l’appui des partenaires comme le Pariis.  À son avis, les producteurs de la zone sont loin d’atteindre leur vitesse de croisière. Pour lui, ils pourraient multiplier par 3, voire par 4 les quantités produites si les équipements sont renforcés. ‘’L’année dernière, s’est-il réjoui, on a vendu la pomme de terre bord champ à 300 F. Le prix était de plus de 600 F sur le marché en ce moment, pour un produit dont le cout de revient ne dépasse pas 82 F. Même si on vendait à 150 F, on allait s’en sortir. C’est une grande révolution’’.

Des équipements modernes et des couts de production défiant toute concurrence

Dans ce périmètre situé dans le village de Daresalame, le Programme d’appui régional à l’initiative pour l’irrigation au Sahel a déployé les gros moyens pour accompagner les producteurs et surtout les productrices. Sur les 10 h du périmètre, 4,5 ont été aménagés. Entre les systèmes d’irrigation modernes, les panneaux solaires, les forages et autres équipements agricoles, tout a été mis en œuvre pour non seulement alléger les conditions de travail des femmes, mais aussi augmenter sensiblement leurs rendements. Spécialiste en irrigation du projet, Modou Diouf est revenu sur les équipements mis en place. Il déclare : ‘’Comme il y avait des puits, nous avons fait ce qu’on appelle la mise en eau. Il s’est agi d’augmenter la productivité des puits et des débits disponibles pour rendre l’eau plus accessible. Par la suite, nous avons installé des pompes solaires. Ce qui a permis de mobiliser le débit nécessaire. C’est 45 m3 pour les trois puits disponibles.’’

Grâce à ces installations, renchérit M. Bakhoum, le problème de l’effet oasis qui était un vrai problème pendant la saison chaude a été réglé dans les périmètres. ‘’En fait, explique-t-il, les températures étant élevées pendant certaines périodes, l’humidité atmosphérique est très basse. Les asperseurs permettent de créer un microclimat pour changer l’humidité atmosphérique dans la zone de production. Mais également de réduire l’évaporation sur la surface des feuilles. On peut maintenant faire trois campagnes dans l’année’’.

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AUTONOMISATION DES FEMMES

Le bonheur des productrices de Toubacouta

‘’Aljana amna’’. Le paradis existe (en wolof). Les femmes de Nema Ba y croient. Elles le chantent en chœur en l’honneur du Programme d’appui régional à l’initiative pour l’irrigation au Sahel, qui les finance pour améliorer leurs conditions de travail. La cinquantaine, teint noir, Aissatou Diop de Nema Ba explique : ‘’Avant, on restait dans les champs jusqu’à 22 h pour certaines, voire minuit pour d’autres. On n’avait de temps, ni pour nos enfants ni pour nos époux. C’est pourquoi vous nous entendez chanter ‘les femmes passent la nuit aux champs, les hommes à la maison. Comment on peut faire la grâce matinée ?’ Aujourd’hui, on passe moins de temps dans les champs, on peut s’occuper davantage des enfants et de nos hommes. Voilà pourquoi on dit que nous vivons le paradis’’.

Depuis 2016, ces femmes de Nema Ba avaient été chassées des lieux par le manque d’eau. Elles allaient de champ en champ dans le village de Daresalame, pour louer des blocs à 5 000 ou 10 000 F. ‘’C’est quand le Pariis est arrivé que nous avons commencé à exploiter à nouveau ce périmètre. Ce que nous avons eu l’année dernière comme production, on ne l’a jamais eu. De plus, on récolte tout le temps ; variété après variété. Non seulement nos champs ont été aménagés, mais nous avons aussi bénéficié de formations très importantes avec l’Ancar qui ont complètement changé nos méthodes’’.

Le défi de la production relevé, il reste à trouver des solutions pour la commercialisation.

En fait, malgré la forte demande et le déficit invoqué, les femmes du Niombato ont du mal à écouler leurs productions. D’une part, à cause d’un problème d’accessibilité. D’autre part, à un problème de stockage. ‘’Quand tout le monde récolte en même temps, il est difficile d’écouler le produit. Et nous n’avons pas de hangars pour stocker nos produits. On est donc obligé de brader pour que ça ne pourrisse pas entre nos mains. S’y ajoute, les périmètres étant un peu enclavés, sans voies d’accès, les acheteurs n’arrivent pas jusque-là’’, a expliqué la présidente des productrices du périmètre de Nema Ba.

Embouchant la même trompette, la présidente du périmètre de Daresalame s’est aussi réjouie de l’allègement de leurs conditions de travail. ‘’Avant les aménagements, nous allions dans les puits, puiser l’eau, verser dans des bassins et après, on procède à l’arrosage. Non seulement c’était pénible, mais la disponibilité de l’eau posait problème. Aujourd’hui, ce sont les asperseurs qui font tout le travail. Pour les zones où il n’y a pas d’asperseurs, il y a des robinets pour arroser les parcelles’’.

PROFIL KHADY MANE

L’illustration parfaite de la réussite du programme

Ayant battu tous les records de productions à Nema Ba, Khady Mané revient sur les défis du maraichage.  

Mariée et mère de 10 enfants, Khady Mané a réalisé la meilleure récolte, lors de la dernière campagne. Dans une zone où c’était une prouesse de faire 20 sacs d’oignons, elle a su faire une production record de 61 sacs, grâce aux aménagements. Elle se réjouit : ‘’Je suis dans le maraichage depuis 1987. Je n’ai jamais fait plus de 20 sacs. Avec la production de l’année dernière, j’ai pu non seulement investir en achetant de la marchandise que je revends, mais aussi acheter une armoire pour mon enfant.’’

De stature assez imposante, la brave dame est aussi revenue sur les changements importants intervenus dans sa vie grâce à ces aménagements. ‘’Auparavant, confie-t-elle, je ne pouvais pas beaucoup voyager et laisser mes champs ici. Maintenant, je peux le faire. Je peux même me permettre d’aller à Dakar pour acheter des marchandises et revenir faire mon commerce. Le temps de travail est réduit de manière significative. Ce qui nous permet non seulement de vaquer à d’autres occupations, mais aussi d’avoir du temps pour nous occuper de nos maris et de nos enfants.’’

Très ambitieuse, elle rêve de booster sa production, en vue de pouvoir aider davantage ses enfants, à les soutenir dans leurs études. Elle déclare : ‘’Nous travaillons pour nos enfants. En sus de les soutenir dans leurs études pour ceux qui sont encore à l’école, j’aurais bien aimé les aider à construire. C’est pour ça que nous travaillons.’’

Altruiste, Khady s’est également érigée en défenseure de ses sœurs dans les champs environnants. ‘’Nous aurions bien aimé que ces exemples, comme l’a réclamé notre présidente, soient élargis aux autres champs de Nema Ba. C’est vraiment notre principale doléance’’.


Des expériences inspirantes

Au total, ce sont cinq périmètres qui ont été aménagés rien que dans la commune de Toubacouta. Il s’agit de Dareselame, Nema Ba, Batamar, Keur Samba Guèye et Keur Aly Guèye. ‘’Tous les cinq sont aménagés et fonctionnels. Pour l’ensemble du bassin arachidier, nous avons un potentiel de 78 ha aménagés. En fait, nous avions 100 ha ; les 22 sont réalisés, il reste 78 ha dont les dossiers d’appels d’offres sont en cours de finalisation pour recruter les entreprises qui vont réaliser les aménagements au cours même de l’année 2023’’, a expliqué le spécialiste en irrigation du Pariis, Modou Diouf.

Selon lui, le Pariis ne s’arrête pas à l’aménagement. Il est aussi dans l’accompagnement des bénéficiaires en amont comme en aval. ‘’Dans ce domaine, nous avons signé une convention avec l’Ancar pour accompagner les productrices dans l’ensemble des périmètres aménagés. Avec l’Ancar, on fait l’état des lieux, on voit les difficultés et on met en place un plan d’action pour les accompagner’’.

En sus de la formation, il y a également la commercialisation qui est une partie importante dans le programme. ‘’Avec l’Ancar, nous essayons de développer une approche qui consiste à vendre avant de produire. L’objectif est d’évaluer avant même de produire le gap, de voir la meilleure période pour être sur le marché, mais surtout de trouver des acheteurs à qui nous proposons des produits de  qualité’’, a-t-il signalé.

Par ailleurs, dans un souci de diversification, le projet a également identifié une vallée qui fait au minimum 200 ha et il envisage de l’aménager avec des casiers rizicoles, pour permettre aux populations de la zone d’y exploiter pendant l’hivernage. ‘’Les études techniques ont été réalisées. Le dossier d’appel d’offres est en cours de finalisation pour recruter l’entreprise chargée de réaliser les travaux d’aménagement’’.

MOR AMAR

 

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