Ces facteurs bloquants aux examens
La baisse du niveau des élèves est une question qui préoccupe les Sénégalais. Les avis sont partagés sur les causes. Pour inverser la tendance, enseignants et parents d’élèves invitent les autorités à une prise de décision rapide.
Lors de la cérémonie de remise des prix de l’édition 2019 du Concours général, le président de la République, Macky Sall, a interpellé les acteurs du système éducatif sur la baisse du niveau des apprenants. Le président Sall, qui a mis le doigt sur le problème, a noté, par ailleurs, que les taux de réussite au Bfem et au Baccalauréat, et les premiers résultats de l’université, de même que les prix non décernés au Concours général rappellent l’ampleur des défis à relever pour rendre le système éducatif sénégalais performant.
Cela devrait passer par une constante mise à jour des méthodes et contenus des enseignements. Les langues courantes, dont le français, langue officielle du pays, qui perd de son niveau global, sont les matières principalement visées par cette remarque. ‘’Il faut reconnaitre que le niveau continue de baisser. Je pense aussi à l’anglais, que la majorité des apprenants ne parvient pas à parler, après 7 années d’études. De la 6e à la terminale, notamment, tous nos bacheliers devraient être parfaitement bilingues. Cela pose problème’’, remarque le chef de l’Etat Macky Sall.
Il a également plaidé pour une révision du contenu des programmes en sciences, en mathématiques et en histoire.
Le diagnostic des syndicats
Renvoyée aux syndicats d’enseignants, la problématique de la baisse du niveau des élèves est différemment abordée par les principaux acteurs. Le secrétaire général du Syndicat des enseignants libres du Sénégal (Sels), Souleymane Diallo, considère que plusieurs causes peuvent être à l’origine de cette situation, en se défendant naturellement des accusations portées sur les enseignants. Souleymane Diallo constate, ‘’d’abord, la démission des parents’’. Le suivi correct de l’éducation ou de l’apprentissage des enfants n’est pas à la hauteur de ce qui doit être fait. Le second problème, d’après son diagnostic, ce sont les mutations technologiques, avec l’apparition des smartphones qui distraient les apprenants.
‘‘Aujourd’hui, beaucoup d’enfants, au lieu de se concentrer sur les cours, se tournent vers les téléphones. Il y a aussi les conditions d’enseignement, d’apprentissage qui se sont beaucoup dégradées, surtout par rapport au ratio élèves-enseignants, avec des classes pléthoriques, des salles de classe inadaptées, un environnement défavorisé, le programme d’enseignement qui doit être évalué, l’insuffisance des manuels’’, liste-t-il. A cela, il ajoute la formation des enseignants. ‘’On ne va pas se voiler la face : l’Etat devrait tout faire pour améliorer la formation initiale et continue des enseignants’’.
Sur cette lancée, il pointe du doigt une démotivation du personnel enseignant due à des lenteurs dans l’avancement de leur carrière qui ne s’expliquent pas. Le système de rémunération, dit-il, est en inadéquation avec le coût de la vie. ‘’Nous considérons l’ensemble de ces paramètres qu’il faut analyser dans le cadre d’une étude sérieuse pour voir quelles sont les véritables causes pour apporter des solutions. L’éducation doit être érigée en sur-priorité par le renforcement du financement. Si l’Etat met près de 42 % du budget, le constat est que même si c’est vrai, les moyens sont encore insuffisants, au regard des besoins du système‘’, soutient-il. A son avis, il faudra mettre en place une politique de motivation du personnel enseignant, revoir les curricula, notamment le système d’évaluation et le quantum horaire. ‘’Il y a beaucoup de carences qui sont assimilées, du fait de l’insuffisance du quantum horaire’’, argue-il.
Souleymane Diallo croit qu’ils font face à un système hybride qui, parfois, fait de l’échec la règle.
Embouchant la même trompette, le secrétaire général du Saems, Saourou Sène, considère les propos du chef de l’Etat comme un constat qui relève de l’évidence. Selon lui, la baisse du niveau, ce n’est pas seulement en français, mais dans toutes les disciplines. A son avis, plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. D’abord, l’environnement scolaire qui est aujourd’hui fortement concurrencé par la communication qui relève des médias de masse, de la technique ou de l’Internet. Mais également de la publicité. ‘’Vous voyez comment nos tableaux affichent certaines publicités à travers les artères de Dakar ! Quand vous prenez un tableau sur lequel on a écrit ‘Vitfé’, un enfant qui voit ça, il considère que c’est ça la bonne orthographe. Regardez comment nous acceptons de formuler nos messages sur WhatsApp, toutes sortes de communication via l’Internet qui ne respectent ni règle de grammaire ni règle d’orthographe’’, dénonce-t-il.
Ce qui lui fait dire que s’il y a des enfants qui naissent dans un contexte de communication comme celui-ci, ils ne feront pas l’effort de comprendre les règles syntaxiques qui régissent le fonctionnement de la langue, tant du point de vue du parler que de l’écrit.
Dans un autre registre, Saourou Sène relève la nécessité de réinterroger les curricula et leur pertinence. Il reste persuadé qu’il y a une pédagogie de l’échec dans le système éducatif sénégalais. ‘‘Nos standards de correction sont très durs. Il suffit de s’interroger pour s’en rendre compte, parce que quand nos élèves sont déclarés de niveau faible, s’ils vont en Europe, ils brillent’’. Il poursuit : ‘’Lorsque qu’un professeur d’histoire et de géographie annonce la tenue d’un contrôle continu, les élèves ont tendance à lui demander ça porte sur quoi. Et la réponse, dit-il, est connue par tous. Il dira : ‘Ça porte sur tout’, en sachant qu’un devoir ne peut pas porter sur tout. A partir de ce moment, l’élève est mis dans cette situation qui ne lui permet pas d’avoir une ligne directrice par rapport à sa réflexion. C’est différent de cet enfant à qui on dit : tu auras un devoir qui va porter sur tel chapitre. Des choses qu’ils rencontrent dans le système qui fait que parfois c’est de la loterie dans les examens et concours.’’
Il soutient que pour cette année, la formulation des épreuves a posé problème pour l’épreuve de géographie, à l’examen du Baccalauréat. Ce qui a créé des difficultés aux élèves, car ils ne s’y attendaient pas. Il constate également que pour l’épreuve de mathématiques au Bfem, tout le monde s’est accordé sur le fait que ça a été très complexe pour les élèves.
‘’Un cumul des faiblesses‘’
Tous ces faits, relève M. Sène, posent un problème particulier et font que le résultat reste encore faible. Un cumul des faiblesses qu’il déplore d’ailleurs. ‘’Ces résultats permettent aux uns et aux autres de considérer qu’il y a une baisse de niveau. Mais ils oublient que les élèves qui ont passé le Baccalauréat ou le brevet cette année ont vécu des années de grève dans leurs classes antérieures. Les élèves que l’on fait passer tout en sachant qu’ils n’ont pas le niveau, quel résultat voulez-vous qu’ils produisent ? Il y a ce problème. Je pense qu’il nous faut tous nous retrouver autour d’une table pour évaluer le contenu des enseignements-apprentissages, parce qu’il y a un réel problème pour capter l’attention des élèves. Pour mieux vendre un produit, il faut que le client sente le besoin de l’acheter. Aujourd’hui, le contenu enseignement-apprentissage, est-ce que ça attire les élèves ?’’, se demande-t-il.
Pour Saourou Sène, des cours sur le fondateur du mouridisme Cheikh Ahmadou Bamba, par exemple, pourraient inspirer les élèves. Des besoins en technique, technologie et media sont aussi nécessaires. D’où l’importance, pour lui, de réinterroger les valeurs pédagogiques des enseignements-apprentissages et de réorienter les curricula, les enseignements, dans le but de les réadapter.
Par ailleurs, il dénonce que ‘’le zéro redoublement installe la médiocrité’’. Il rappelle, à ce propos, que c’est en 2009-2010 qu’un arrêté a été signé pour le zéro redoublement sous le régime d’Abdoulaye Wade, sous le magistère de Kalidou Diallo au ministère de l’Education. Une mesure tellement clémente que les élèves l’ont appelée ‘‘Goana’’.
Abdou Faty, lui, trouve que les apprenants sénégalais, contrairement à ce que pensent nos dirigeants, ne sont pas du tout nuls. D’ailleurs, juger de la baisse du niveau des élèves au Concours général est assez sournois, selon lui. Néanmoins, il reconnait les difficultés que rencontre le système éducatif sénégalais.
Toutefois, il fait noter que toutes les écoles qui excellent comme Mariama Ba, le Prytanée militaire ou encore le lycée d’excellence de Diourbel, respectent le ratio élèves-maîtres. ‘’Il n’y a pas plus de 50 élèves dans une seule classe de ces écoles précitées. Elles sont normées, les bibliothèques et les laboratoires fonctionnent et elles ont des internats. En plus de cela, on a pris les meilleurs qu’on a orientés là-bas’’, note-t-il. Soulignant ainsi que les effectifs sont pléthoriques dans les salles de cours de la quasi-totalité des classes des autres établissements publics.
Pis, il souligne que dans une localité comme Sédhiou, un élève, de la 6e à la terminale, est dans un abri provisoire avec un effectif 90 élèves dans une classe. Naturellement, constate-t-il, le niveau ne peut que baisser dans ces conditions. Cela, dit-il, d’autant que les programmes sont surchargés. ‘’Il faudrait aller dans le sens d’alléger les programmes et prendre comme pilier la langue nationale pour apprendre le français et les mathématiques, l’élargir partout’’, soutient-il. Il estime également que les réformes doivent être menées jusqu’au bout. Il déplore tout le tâtonnement qu’il y a eu dernièrement dans les réformes. Il ne trouve pas bien qu’on en commence certaines pour les abandonner quelque temps plus tard. Aussi, pense-t-il que la question de l’environnement scolaire doit être réglée. Selon lui, l’Etat doit faire l’effort de mettre les élèves dans les mêmes conditions que ceux qui sont dans les internats.
‘’Si le gouvernement fait cet effort, nous enseignants serons prêts à accepter des sanctions, s’il n’y a pas de résultats. Mais aujourd’hui, on ne peut pas imputer aux enseignants la responsabilité de cette baisse de niveau des élèves dans une classe bondée qui n’a pas de matériel pédagogique. Ce serait injuste’’, fulmine-t-il.
AIDA DIENE