Les craintes de Macky Sall
Le président de la République souhaite passer au traitement vital des questions sociales et institutionnelles, alors que la traque des biens mal acquis tendrait à devenir un bourbier pour son pouvoir. Cependant, la forte levée de boucliers notée contre le principe de la médiation pénale devrait inciter les autorités politiques et judiciaires à répondre aux attentes populaires.
Le principe de la médiation pénale qu'envisagerait le pouvoir politique et les autorités judiciaires en charge du dossier des biens mal acquis, lâché en public par le député El Hadj Diouf et le ministre Abdou Latif Coulibaly, n'est pas un recours qui serait tombé du ciel. Selon nos informations, il est sérieusement examiné par le président de la République comme moyen de «sortie de crise» pour se consacrer entièrement aux urgences sociales, institutionnelles, et autres. A cet égard, le vacarme né des «dissonances» survenues entre le porte-parole du Gouvernement et le Garde des Sceaux ne serait ni innocent, ni factice. En clair, cela signifie que le pouvoir, visiblement en difficulté sur les suites à donner à ces affaires, cherche une ou des voies pour s'en extirper.
En effet, contrairement à ce qu'a annoncé la ministre de la Justice Aminata Touré sur l'option intraitable de l'Etat de recouvrer la totalité des biens présumés usurpés sans aucune espèce de négociation avec «les voleurs», la médiation pénale est sérieusement envisagée par le chef de l'Etat. C'est pourquoi d'ailleurs la voix du porte-parole du gouvernement venant «appuyer» celle d'un membre de la majorité présidentielle, Me El hadj Diouf, sur une question aussi délicate, ne peut qu'exprimer un point de vue officieux à finalité sondagière : tester et mesurer la réaction de l'opinion.
Que craint Macky Sall ? Il serait peut-être exagéré de parler de bombe entre les mains des juges en charge des dossiers de biens mal acquis. Mais du point de vue du président de la République, les lenteurs communément notées dans le traitement des cas seraient fondamentalement liées à la crainte que surviennent de «graves» troubles politiques et sociaux qui déstabiliseraient son propre pouvoir et, au-delà, menaceraient la stabilité du pays. L'ombre d'Abdoulaye Wade est passée par là ! Ses capacités de nuisance supposées, même depuis Versailles, les résidus de groupuscules activistes libéraux qui lui ont restés fidèles, les manipulations possibles des marchands ambulants incontrôlables, des jonctions éventuelles avec les secteurs socioprofessionnels en grève depuis bien longtemps, constituent aux yeux du pouvoir autant de cocktails explosifs en mesure de faire vaciller les certitudes sorties des urnes le 25 mars 2012.
Il s'y ajoute que, au plan social, les populations n'ont pas encore l'impression d'être passées d'un pouvoir à un autre par rapport à la satisfaction de leurs préoccupations sociales de survie immédiate. Par dessus-tout, la position ambiguë des autorités de Touba, étiquetées comme des alliées de l'ancien régime en général, de Me Wade en particulier, ne vient pas renforcer la détermination du président de la République à aller au bout des attentes exprimées par les Sénégalais.
Selon nos informations, le chef de l'Etat appréhende donc avec une angoisse non feinte les conséquences d'une arrestation des dignitaires du Parti démocratique sénégalais (PDS) concernés par les délits supposés d'enrichissement illicite. En dépit du score de 65% obtenu à la présidentielle de l'année écoulée, équivalant à un soutien populaire massif au projet de reddition des comptes de la gouvernance sortante, Macky Sall redoute d'être «abandonné» ou même «sacrifié» en cours de route par ses alliés de la coalition Benno Bokk Yaakaar.
Certes, entre alliés, les rencontres informelles se sont multipliées ces derniers temps pour apaiser le climat à l'intérieur de Bby. Mais tout le monde, de Tanor Dieng à Idrissa Seck en passant pas Moustapha Niasse, Abdoulaye Bathily et autres, garde en tête que le mandat de Sall reste, malgré tout, un contrat à durée déterminée (CDD). Les ambitions potentiellement concurrentes ne sont pas prêtes de disparaître pour les beaux yeux du président actuel.
Mais tout compte fait, l'impressionnante levée de boucliers à travers le pays contre la médiation pénale est déjà une réponse populaire qui devrait encourager les autorités politiques et judiciaires à donner un coup d'accélérateur aux dossiers judiciaires qui encombrent les bureaux des juges engagés dans la traque contre les biens mal acquis.
MOMAR DIENG