A Bangui, les boîtes de nuit sont devenues des boîtes de jour
En pleine journée, des filles en mini-jupes, hauts talons, lèvres couvertes de gloss, se trémoussent sur la piste devant un immense miroir. Des hommes sur des tabourets boivent du whisky tout en esquissant quelques mouvements. Dans la capitale centrafricaine, Bangui, couvre-feu oblige, les boîtes de nuit sont devenues des boîtes de jour.
Elles ouvrent à midi et ferment à 18H00 en raison du couvre-feu qui court de 19H00 à 5H00 du matin depuis une semaine à cause de la menace de la rébellion Séleka, à présent à 160 km de Bangui. Le gouvernement a instauré un couvre-feu pour prévenir des incursions rebelles et mieux contrôler d'éventuels pilleurs.
Au Zodiaque, dans le centre-ville, des videurs contrôlent l'entrée. La musique assourdissante traverse une double porte capitonnée. Ce n'est pas la grande affluence mais une fois entré dans la salle, rien ne permet de déceler qu'il fait bien jour dehors.
"Ce n'est pas plein, c'est à moitié plein. Le 1er de l'an, comme le 31, était sous couvre-feu, il y avait du monde comme une nuit normale", explique Achille Kongba, propriétaire de deux boîtes, le Plantation et le Zodiaque. Il a averti ses clients de ses nouveaux horaires de jour avec des publicités à la radio.
"J'ouvre pour couvrir les charges. En 2001, 2002, il y avait eu trois mois de couvre-feu. On ne pouvait pas rester fermé autant de temps et on ouvrait déjà la journée", explique-t-il.
A l'intérieur, Jacques, un homme d'une trentaine d'années, un verre dans une main, une cigarette dans l'autre, plaisante: "Dans d'autres pays, après la boîte, on tape +l'After+. Il y a aussi les Happy hours... Je ne dis pas que ça va devenir une habitude parce que normalement on travaille mais là, on est en vacances forcées et il faut vivre. On a déjà connu ça en 2001 et 2002 et 2003".
"On a envie de s'exprimer, de vivre. Le peuple souffre. On nous impose ça: la rébellion, la guerre. Les gens qui font ça ne pensent pas au peuple. Il faut que tout le monde se mette à une table de négociation et qu'on arrête les armes", poursuit-il.
Son voisin, géologue au chômage, ajoute: "On en a marre. Je ne peux pas travailler dans l'arrière pays à cause de l'insécurité. Tous les 10 ans, c'est la même chose. Qu'on nous laisse vivre tranquille !"
S'amuser
"On ne peut pas sortir à cause du couvre-feu alors on vient l'après-midi", assure Manuelle, lycéenne en classe de terminale. "C'est pas pareil mais c'est bien aussi l'après-midi. Il y a plus de place sur la piste". "Et puis là, on rentre à 19H00, on mange, on regarde la télévision et on se couche", explique-t-elle.
Mamita, étudiante, renchérit: "On a peur que les rebelles arrivent ici mais on vient s'amuser".
Cynthia Konaté, elle, se plaint: "En ce moment, il n'y a que les Centrafricains qui viennent. D'habitude, il y a les Français, les Camerounais, les Sud-Africains, les Guinéens... Des gens de tous les pays. C'est mieux quand il y a le mélange, c'est plus sympa".
Dehors, Steve, vendeur de rue, propose sur une petite table sa marchandise, soit tout l'équipement pour la boîte de nuit: cartes téléphoniques, cigarettes en paquet ou à l'unité, bonbons pour l'haleine et préservatifs. Mais "les préservatifs en ce moment, je n'en vends pas", assure-t-il.
Au Safari, une boîte voisine, les scènes sont similaires. Sur les murs, des peintures faussement naïves d'Africaines dénudées. Une vingtaine de personnes, dont une majorité de femmes, dansent devant des miroirs ou par petits groupes.
La plupart des +belles de jour+ ne font que danser et ne consomment pas, sauf si quelqu'un "leur mouille la gorge", raconte une des filles. "On n'a pas d'argent mais on aime bien s'amuser", précise une autre. Les patrons les laissent entrer sans payer.
18H00, bientôt l'heure de fermeture, le disc-jockey lance l'une de ses cartes maîtresses, "Gangnam Style". Trois filles s'alignent aussitôt sur la piste imitant à la perfection et de manière synchronisée la chorégraphie désormais planétaire. Le tube coréen fait son chemin partout. Sur les dance-floors occidentaux les plus branchés jusqu'aux boîtes de jour banguissoises. En temps de paix, comme de troubles.