La conséquence d’une fuite de responsabilité de la Cedeao ?
Pour condamner un putsch et exiger la libération d’un membre détenu par des mutins, l’organisation sous-régionale est toujours présente. Mais les missions de prévention des crises et de rappel à l’ordre des présidents sur la mauvaise pente semblent de plus en plus reléguées au second plan par la Cedeao.
Une association de chefs d’Etats. L’image est réductrice. Pour certains, elle résume pourtant la situation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’organisation sous régionale a suspendu la Guinée de ses instances, suite au coup d’Etat militaire orchestré le 5 septembre 2021 contre le président Alpha Condé. Une habitude malheureuse désormais reprochée à l’organisation qui en est à sa troisième suspension d’un pays, suite à un putsch militaire en une année (une en Guinée et deux au Mali). Ne fallait-il pas agir en amont pour éviter de pareilles situations ? Certains chefs d’Etat membres de la Cedeao se posent la question, posant le débat sur un manquement de l’organisation à ses responsabilités.
C’est le président libérien qui a crevé l’abcès, lors du sommet virtuel extraordinaire des chefs d’Etat de la Cedeao, mercredi dernier, sur la Guinée. George Weah a invité ses pairs à s’interroger sur les causes profondes des putschs dans la sous-région. « Est-il possible qu’il y ait une corrélation entre ces événements et les situations politiques où les Constitutions sont modifiées par les titulaires pour supprimer les limites de mandats par le biais de référendums ? Ou bien pourrait-il s’agir d’une simple coïncidence ? Si la suppression de la limite des mandats sert de déclencheur pour le renversement de gouvernements, alors peut-être que la Cedeao devrait faire tout son possible pour s’assurer que les limites des mandats dans les Constitutions de tous les Etats membres soient respectées », interpelle l’ancienne star du football.
Les vérités de Georges Weah
Pour beaucoup de spécialistes de l’Afrique de l’ouest, ce qui se passe en Guinée était prévisible, vu les violences et le recul démocratique qui ont accompagné la dernière élection présidentielle d’octobre 2020. De l’annonce de la volonté du président Alpha Condé de modifier la Constitution pour se présenter une troisième fois à la proclamation officielle de sa victoire, beaucoup d’hommes sont morts et des opposants et membres de la société civile emprisonnés. Si l’histoire ne s’est pas encore achevée de la même manière en Côte d’Ivoire, elle s’est écrite de façon similaire, avec la même méthode d’accrochage au pouvoir.
Pourtant, un an auparavant, au sommet extraordinaire de la Cedeao tenu dans les mêmes conditions sur le Mali, le président bissau-guinéen recadrait ses homologues guinéen et ivoirien. « Si l’on doit condamner les militaires à l’origine du putsch, la conférence devrait aussi condamner les pairs qui souhaitent faire un 3e mandat, car ils violent la constitution de ces pays et la charte sur la démocratie et la bonne gouvernance de la Cedeao », interpellait Umaro Sissoco Embaló.
Au moment de sa création, en 1975, la Cedeao avait pour objectif principal l’intégration économique des Etats membres. Cet objectif ayant été contrarié en grande partie par les crises politiques dans la région et des rivalités entre chefs d’Etat se disputant le leadership régional, l’organisation a dû progressivement accorder une place centrale aux questions de paix, de défense et de sécurité.
Dans son rapport « Le Rôle de la Cedeao dans la Gestion des Crises Politiques et des Conflits : Cas de la Guinée et de la Guinée Bissau », publié en 2010, le Dr Yabi Gilles Olakounlé, diplômé en économie du développement à l’université de Clermont-Ferrand I, retrace cette intégration de la politique et de la prévention et de la résolution des conflits dans les missions de la Cedeao. D’après lui, c’est en décembre 1999 à Lomé que les chefs d’Etat et de gouvernement de l’organisation ont adopté le Protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.
Selon le Protocole, « la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement est la plus haute instance de décision dans le cadre des questions se rapportant à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits, au maintien de la paix et de la sécurité, à l’assistance humanitaire, à la consolidation de la paix, à la lutte contre la criminalité transfrontalière et la prolifération des armes légères, ainsi que toutes les autres questions couvertes par les dispositions du Mécanisme ».
Des textes qui existent de 1999
Mais, la Conférence délègue au Conseil de Médiation et de Sécurité le pouvoir de prendre en son nom des décisions pour la mise en œuvre appropriée des dispositions dudit Mécanisme. Ce Conseil de Médiation et de Sécurité (CMS) se compose de neuf Etats membres dont sept sont élus par la Conférence, les deux autres membres étant celui qui exerce la présidence tournante de la Conférence et celui qui exerça la présidence immédiatement précédente. Les membres du CMS sont élus pour deux ans renouvelables.
Le Protocole définit des principes constitutionnels communs à tous les Etats membres de la CEDEAO qui incluent, entre autres, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ; la valorisation et le renforcement des Parlements ; l’indépendance de la justice ; et l’interdiction de tout changement anticonstitutionnel ainsi que de tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir. Le Protocole additionnel définit également une série de principes concernant les élections dans les pays membres et le rôle d’observation et d’assistance de la CEDEAO en la matière. Il prévoit, par exemple, qu’« aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques » ; et que « les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique ».
Le Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité tel que défini par le Protocole initial de décembre 1999 et complété et amendé par le Protocole additionnel de décembre 2001 a permis à la Cedeao de légitimer et de structurer davantage ses interventions dans les crises politiques émergentes ou déclarées dans les pays membres. La Cedeao, au niveau de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement mais aussi au niveau du Secrétariat exécutif (puis de la Commission), a été amenée à se prononcer sur la qualité des processus électoraux dans un certain nombre de pays membres, ainsi que sur les modes anticonstitutionnels d’accession au pouvoir, à l’instar de la situation du Togo au lendemain du décès du président Gnassingbé Eyadema (2005).
Des situations politico sécuritaires à maîtriser, avant d’espérer un essor économique
L’éclatement d’un conflit armé en Côte d’Ivoire, la deuxième puissance économique de la communauté (septembre 2002), le retour de la guerre civile au Liberia avant l’exil de Charles Taylor en août 2003, la poursuite de la stabilisation de la Sierra Leone, la détérioration de la situation politique et économique de la Guinée, les élections de 2005 en Guinée-Bissau et la permanence des tensions politico-militaires dans ce pays sur fond de développement d’un trafic international de drogue, ont donné peu de répit aux organes de la Cedeao et mis immédiatement à l’épreuve des faits les ambitions du Mécanisme.
L’exigence de coordination entre les mécanismes de prévention et de règlement des conflits entre la Cedeao, l’Union africaine elle-même en pleine refondation, et l’ONU présente à travers ses missions de maintien ou de consolidation de la paix et son Bureau pour l’Afrique de l’Ouest, est devenue manifeste. La transformation du Secrétariat exécutif en Commission de la Cedeao, devenue effective en janvier 2007 a, par ailleurs, renforcé la visibilité et le caractère supranational de l’organisation.
Au terme d’une série de consultations et de réunions d’experts, le Conseil de Médiation et de Sécurité a adopté, le 16 janvier 2008, un Règlement définissant le Cadre de Prévention des Conflits de la CEDEAO (CPCC), un document qui vise à clarifier la stratégie de mise en œuvre des principes contenus dans les deux protocoles de 1999 et 2001. Le CPCC a été, alors, conçu pour être « une stratégie complète et opérationnelle de prévention des conflits et d’édification de la paix permettant au système de la Cedeao et aux Etats membres de mobiliser les ressources humaines et financières à l’échelle régionale (y compris la société civile et le secteur privé) et internationale dans leurs efforts orientés vers la transformation créatrice des conflits », entre autres objectifs.
Le Sénégal dans tout ça ?
Mais, que sont devenues ces instances et leurs missions ? L’on n’a l’impression que la Cedeao d’aujourd’hui se limite à la Conférence de chefs d’Etat qui cherchent plus à se faire des faveurs qu’à instaurer la démocratie et la bonne gouvernance au sein de l’organisation. Le fait que deux d’entre eux aient fait modifier les Constitutions de leur pays pour rester au pouvoir est assez révélateur sur les réels penchants démocratiques dominants au sein de l’organisation sous régionale.
Au Sénégal, la non-application de la décision de la Cedeao sur l’affaire Khalifa Sall, ancien maire de Dakar emprisonné puis gracié après la Présidentielle 2019, de même que de l’interdiction du parrainage citoyen à tout type d’élection montrent le niveau d’importance que l’on accorde aux décisions de la Cedeao.
MISSION DE LA CEDEAO EN GUINEE "Nous avons vu Alpha Condé, il va bien" La mission diplomatique de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a rencontré le président de la République de Guinée, Alpha Condé, au quartier général de la junte qui l’a renversé, ce 5 septembre 2021. La délégation, composée des ministres des Affaires étrangères de quatre pays et du président de la commission de la Cedeao, Jean-Claude Kassi Brou, est arrivée à Conakry, capitale guinéenne, à bord d'un avion de la république du Ghana, qui assure la présidence tournante de l'organisation régionale. La ministre ghanéenne Shirley Ayorkor Botchwey était accompagnée, outre le président de la Commission, par ses homologues nigérian Geoffrey Onyeama, burkinabè Alpha Barry et togolais Robert Dussey. Après leur visite aux putschistes, le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Alpha Barry, a déclaré aux journalistes : « Nous avons vu le président, il va bien ». Des propos confirmés par le président de la Commission de la Cedeao, Jean-Claude Kassi Brou, qui a affirmé avoir « vu le président au quartier général de la junte ». La délégation est arrivée hier à Conakry, au moment où l'Union africaine (UA) a annoncé sa décision de suspendre la Guinée de ses rangs. |
Lamine Diouf