Publié le 24 Apr 2020 - 23:23
COUVRE- FEU

La problématique du non-respect

 

Suite à l’état d’urgence sanitaire décrété, certains Sénégalais n’arrivent toujours pas à intégrer les mesures de restriction de certaines de leurs libertés dans leur quotidien. Ainsi, le couvre-feu instauré le 24 mars dernier est souvent violé dans certaines zones du pays. Pourquoi ? Deux sociologues ont répondu à la question et analysé l’approche de l’autorité.

 

Ils ont bravé l’interdit à deux reprises, le temps d’un week-end. Les jeunes de la Médina se sont fait ainsi tristement remarquer à travers des vidéos virales tournées pendant les heures du couvre-feu. Au départ, il s’agissait d’une action collective pour circonscrire le feu qui s’était déclenché dans une ‘’dibiterie’’. L’incendie maitrisé, ils ont improvisé un jubilé à la rue 22. Un fait grave, en ces temps où on interdit non seulement les rassemblements, mais également la circulation après 20 h. Malheureusement, d’autres images de ce genre suivront à travers les réseaux sociaux.

En effet, dans la même commune, une manifestation similaire a été notée, 24 heures avant. C’était, tenez-vous bien, pour célébrer le retour d’une famille en contact avec un cas communautaire et placée en confinement de 14 jours. Des attitudes qui ont outré beaucoup de Sénégalais et irrité les autorités. ‘’Nous avons été informés de ce qui s'est passé à la Médina. Quand j'ai vu les images et que ce sont les familles qui étaient mises en quarantaine dans un immeuble qui sont sorties pour jubiler, je l'ai profondément déploré comme tout le monde’’, a indiqué le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye dans la presse. D’ailleurs, même les défenseurs des Droits de l’homme, prompts à dénoncer la répression policière, ont cette fois fustigée ces attitudes.

Ainsi, dans un communiqué conjoint, la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho), la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH) et Amenesty International/Section Sénégal, ont invité les citoyens  à se conformer au respect scrupuleux des lois et règlements en vigueur et aux mesures barrières préconisées. ‘’Nos organisations ont constaté amèrement, comme l’ensemble de la population sénégalaise , une forme de défiance de certains jeunes de la capitale sénégalaise à l’égard des forces de l’ordre et de sécurité, chargées d’assurer le respect du couvre-feu (…)’’, peut-on lire dans le document.

Seulement, ces agissements ne sont pas une première, depuis l’instauration du couvre-feu, le 24 mars dernier, afin d’arrêter la propagation de l’épidémie du coronavirus. On se souvient du ‘’jubilé’’ des mêmes jeunes de la Médina et de beaucoup d’autres vidéos devenues virales sur la toile, montrant des jeunes violant le couvre-feu et s’en enorgueillir. Les exemples sont nombreux et poussent à s’interroger sur ce qui pousse ces jeunes à braver l’interdit en pleine crise sanitaire.

‘’Il ne s’agit pas d’inconscience’’

D’après le sociologue Dr Ismaël Sène, plusieurs facteurs peuvent expliquer ces comportements. A l’en croire, il ne s’agit pas ‘’d’inconscience’’, comme le dénoncent certains citoyens à travers les médias et les réseaux sociaux. ‘’Je pense bien que la majeure partie des Sénégalais a pris conscience du danger de la maladie. Maintenant, prendre conscience du danger de la maladie ne signifie pas forcément appliquer de manière mécanique les directives de l’Etat en matière de prévention’’, indique le spécialiste.  

Dans la même logique, son collègue et membre du Think Tanks Garap rappelle que personne n’a intérêt à courir volontairement à sa perte. Pour le sociologue Cheikh Tidiane Mbaye, il sera toutefois difficile de mettre en place une action collective et coordonnée pour abattre un ennemi commun. ‘’En sus ou même avant la méthode du bâton, il faudrait une attitude compréhensive à leur égard. Recourir au contexte social total ferait comprendre leur comportement et permettrait de voir comment les sensibiliser sur les dangers de la maladie’’, estime le sociologue. 

Pour ce dernier, en effet, une démarche compréhensive associée à d’autres méthodes classiques permettra de gagner l’adhésion des populations au combat contre cette pandémie. Ce qui pousse Dr Sène à dire que l’autorité doit être capable de convaincre et de faire observer volontairement les mesures sans recourir à la répression. ‘’Je pense qu’au lieu de chercher le problème uniquement au niveau des citoyens, nous devons le chercher dans les deux sens. En effet, au même titre que nous nous interrogeons sur les comportements des citoyens, nous avons l’obligation de questionner la cohérence des mesures et la portée des arguments posés par l’Etat pour imposer ces mesures’’, pense le sociologue.

Pour lui, certains citoyens ne respectent pas le couvre-feu parce qu’ils ne sont pas convaincus de sa capacité à freiner la chaine de transmission. ‘’Les gens circulent toute la journée et on leur demande de rester confinés entre 20 h et 6 h du matin pour ne pas s’exposer au virus. Dans cette logique, le couvre-feu se présente comme si le virus n’était transmissible qu’entre 20 h et 6 h du matin. Or, c’est loin d’être le cas. Moi, je perçois là une certaine incohérence qui peut pousser des citoyens à violer le couvre-feu, tant qu’ils ont les moyens d’échapper aux forces de l’ordre qui sont là pour forcer l’obéissance’’, analyse-t-il.

Ainsi, il reste persuadé que les Sénégalais n’ont pas de problème avec l’autorité.

’Des menaces sur la dynamique unitaire’’

Docteur Ismaël Sène précise toutefois que les jeunes sont plus enclins à respecter le pouvoir que l’autorité. ‘’Le pouvoir désigne la capacité à forcer l’obéissance, alors que l’autorité renvoie à l’aptitude à faire observer volontairement une directive. Cela veut dire que si la personne qui incarne le pouvoir n’est pas en mesure de convaincre du bienfondé de sa décision, en gros, si elle manque de leadership, elle sera toujours obligée de faire recours à la répression pour se faire obéir’’, fait savoir le sociologue.

Pour plus d’efficacité dans l’approche étatique, Dr Ismaël Sène suggère l’intégration d’autres segments de la société dans la lutte contre cette pandémie. ‘’Dans chaque groupe social, dans chaque quartier ou village, il y a des leaders et des personnes qu’on pourrait qualifier de réformateurs de l’intérieur. En fonction des milieux et des contextes, les responsables d’ASC, les ‘’badiénou gokh’, les autorités confessionnelles, etc., doivent être impliqués pour assurer la sensibilisation à la base. Ces personnes, du fait de leur proximité identitaire et du leadership qu’elles incarnent, peuvent convaincre certaines catégories chez qui la parole de l’Etat est à peine audible’’, suggère-t-il.

Le sociologue pense cependant que le contexte actuel a beaucoup renforcé les relations entre citoyens et dirigeants. Toutefois, relève-t-il, à l’état actuel, l’Etat est en train de faillir avec la répression policière et les cas présumés de malversation qui entourent la distribution de l’aide alimentaire qui sont, renseigne-t-il, des menaces sérieuses à la dynamique unitaire notée tout au début de l’apparition de la pandémie au Sénégal.

HABIBATOU TRAORE

Section: 
LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ FINANCIÈRE ET LA CORRUPTION EN AFRIQUE La Bad et Interpol conjuguent leurs forces
DÉBATS D’IDÉES ET RENCONTRES - “SYMBIL ET LE DÉCRET ROYAL” : Fatimé Raymonde Habré lève le voile sur la traite arabe
ACCUSÉS DE LIENS AVEC UN GROUPE TERRORISTE : Deux commerçants sénégalais acquittés
6e FORUM HARMATTAN SUR LA MIGRATION : Placer l’humain au centre du flux migratoire
Le Forum COGESYN au Sénégal : Pour une transformation digitale
CRISE DANS L'ÉDUCATION : Le Saemss et le Cusems dénoncent l'immobilisme du gouvernement
REDDITION DES COMPTES : Cheikh Oumar Diagne réclame la tête de Macky Sall
THIES : ŒUVRES SOCIALES : Les calebasses de solidarité couvrent 126 communes
MAÏMOUNA LY SY, PROMOTRICE DU SALON DU RAMADAN : ‘’Faire de cet événement un rendez-vous incontournable pour tous les musulmans’’
ÉTUDE - PERSONNELS ET ÉQUIPEMENTS DE SANTÉ : Dakar et Thiès se taillent la part du lion
RAPPORT COUR DES COMPTES, GRÈVES SYNDICALES… : Les directives de Diomaye à son gouvernement
COMMUNICATION PUBLIQUE EN CRISE : Le gouvernement face à la grogne sociale
OFFRE OU CESSION DE COCAÏNE : Un Nigérian condamné à deux ans de prison ferme
Union européenne-gendarmerie
CONFLIT AU MINISTÈRE DE L’ÉNERGIE : Les agents en cessation d’activité durcissent le ton
Décès Élimane Ndour
Bus DDD saccagé hier
22e CONGRÈS INTERNATIONAL DE L'ASSOCIATION AFRICAINE DE L'EAU : Dr Cheikh Tidiane Dièye promeut une nouvelle vision africaine de l'eau
SCIENCE ET DÉVELOPPEMENT : La valorisation des résultats de recherche-innovation en question
GRÈVE DU SAMES : Le mot d’ordre suivi à Kaolack et à Kaffrine